mare aux grenouilles

Jurisprudence, les coassements des grenouilles sont du tapage nocturne

La cour d’appel de Bordeaux vient de prendre une dĂ©cision pour le moins insolite, en condamnant les propriĂ©taires d’une mare parce que les coassements des grenouilles importunaient leur voisin la nuit.

Catherine Fourniel, prĂ©sidente de chambre Ă  la Cour d’appel de Bordeaux, est appelĂ©e Ă  connaĂ®tre des sommets de cĂ©lĂ©britĂ©. Sous sa prĂ©sidence donc, la cour d’appel de Bordeaux vient en effet de valider, ni plus ni moins, que les coassements des grenouilles sont du tapage nocturne, que tout propriĂ©taire de plans d’eau ou autres abritant des batraciens est condamnable pour tapage nocturne, et que les batraciens en question (issus ou non d’espèces protĂ©gĂ©es) sont de fait « exterminables » afin de faire respecter l’ordre sonore dĂ©sormais en vigueur dans les campagnes.

Cette dĂ©cision de la Cour d’appel de Bordeaux, appelĂ©e Ă  faire date (en l’occurrence l’arrĂŞt a Ă©tĂ© rendu le 2 juin 2016), est issue Ă  l’origine d’un conflit de voisinage dans la commune de Grignols, en Dordogne, 587 habitants au dernier recensement de 2013. Avant de vous raconter les faits, je ne rĂ©siste pas Ă  l’envie de vous nommer les auteurs de cette dĂ©cision historique consistant Ă  rendre les coassements des grenouilles illĂ©gaux, les voici sur cet extrait de compte-rendu :

Ces magistrats mĂ©ritaient incontestablement d’ĂŞtre citĂ©s en premier dans cet article. Leur dĂ©cision contredit en appel une dĂ©cision en première instance prise Ă  PĂ©rigueux (peut-ĂŞtre plus proche des territoires ruraux ?).

Le point de dĂ©part est une plainte dĂ©posĂ©e par Jean-Louis Malfione contre ses voisins Annie et Michel Pecheras. Aucun d’entre eux n’est agriculteur, mais nous avons pensĂ© que ce sujet mĂ©ritait nĂ©anmoins un dĂ©veloppement dans WikiAgri. En cause, une mare, que Michel Pecheras a reconstruite il y a une douzaine d’annĂ©es (elle existait depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations, avait Ă©tĂ© comblĂ©e, il l’a donc remise en route), en la dĂ©plaçant lĂ©gèrement Ă  l’intĂ©rieur de sa propriĂ©tĂ© puisqu’entretemps un voisin (Jean-Louis Malfione) a vu sa propriĂ©tĂ© venir tout près de la limite de la mare en question.

Joint au tĂ©lĂ©phone par WikiAgri, Michel Pecheras donne sa version des faits : « Cette mare existait dĂ©jĂ  de mĂ©moire des grands-parents de ma femme, elle n’a donc pas Ă©tĂ© crĂ©Ă©e spĂ©cifiquement il y a 12 ans. Les grenouilles qui y sont, nous ne les y avons pas introduites. Elles sont venues naturellement. La mare en question voit aussi des canards passer de temps Ă  autres, il y a des poissons aussi… Quand nous avons rachetĂ© cette propriĂ©tĂ©, et que nous avons refait cette mare, elle ne gĂŞnait pas notre voisin. Il m’avait mĂŞme demandĂ© quelle Ă©tait l’entreprise qui m’avait aidĂ© pour la mare, et il avait fait appel Ă  elle, pour construire sa propre mare ! Depuis, il l’a comblĂ©e, et porte donc plainte contre nous pour la nĂ´tre, au prĂ©texte du bruit Ă©mis par les grenouilles la nuit durant la saison des amours… C’est-Ă -dire sur Ă  peu-près deux mois, en avril-mai.« 

Des coassements de 63 décibels, selon huissier

En première instance, le tribunal de grande instance de PĂ©rigueux avait dĂ©boutĂ© le plaignant dans un jugement prononcĂ© le 25 mars 2014. Il avait alors considĂ©rĂ© que le critère permettant de retenir un « trouble anormal dans les relations de voisinage« , Ă  savoir « le degrĂ© de nuisance au-delĂ  duquel est franchie la capacitĂ© de rĂ©sistance de l’homme et de son environnement » (je cite le jugement) n’avait pas Ă©tĂ© atteint. Une formulation juridique prĂ©cieuse mais finalement de bon sens pour estimer que les grenouilles avaient le droit de coasser…

« L’ampleur des troubles (…)
durant la saison chaude« 

La cour d’appel de Bordeaux en a donc jugĂ© autrement. Voici le passage qui justifie sa dĂ©cision :

En d’autres termes, parce que les grenouilles coassent Ă  63 dĂ©cibels (comme quoi, les relevĂ©s d’huissiers, ça sert…), elles sont condamnĂ©es Ă  voir leur mare comblĂ©e, donc Ă  mourir. En fait, dans toute cette sĂ©mantique, seul les mots « crĂ©ation illicite » en Ă©voquant la mare donnent corps Ă  la dĂ©cision, car pour le reste, et sans parti pris dans le conflit de voisinage (le procès comprend d’autres chapitres concernant des arbres ou autres haies mitoyennes plus ou moins entretenues, je vous passe ces dĂ©tails…), on ne retient en dĂ©finitive de ce jugement qu’il ne tient en aucun cas compte des grenouilles elles-mĂŞmes, victimes collatĂ©rales de fait de la cour d’appel de Bordeaux.

« Aujourd’hui, commente Michel Pecheras accablĂ©, il faut tuer les grenouilles qui coassent, les vaches qui ont des cloches autour du cou, faire taire les cloches des Ă©glises, tuer les grillons, les cigales… » Il Ă©tudie actuellement avec son avocat (« mais ça commence Ă  coĂ»ter cher…« ) les possibles recours, entre autres solutions un pourvoi en cassation.

Une jurisprudence qui fera date

Sur cette Ă©ventuelle « crĂ©ation illicite« , je me garderais bien d’Ă©mettre un avis, une règle dĂ©ontologique veut qu’on ne conteste pas une dĂ©cision de justice. En revanche, au-delĂ  de l’aspect clochemerle du conflit de voisinage, c’est toute l’incidence future de cette dĂ©cision de justice dont il convient de mesurer l’importance : dĂ©sormais, il existe une jurisprudence, les coassements des grenouilles sont du tapage nocturne ! Le jugement (je l’ai lu dans son entier) ne mentionne nulle part une quelconque considĂ©ration envers les batraciens, uniquement affublĂ©s du rĂ´le de fauteurs de troubles. Il n’est nullement mentionnĂ© quelque part qu’il faille (par l’un, par l’autre, par des services agrĂ©Ă©s, peu importe) les pĂŞcher pour les rĂ©implanter quelque part, ou que la mare (par exemple) doit ĂŞtre rĂ©implantĂ©e Ă  l’identique X mètres plus loin (cette dernière « solution », toute « écologique » qu’elle semble ĂŞtre, pousserait certes le bouchon un peu loin pour les Pecheras…) : le droit de vie des amphibiens est bafouĂ©, alors mĂŞme que, parallèlement, la ruralitĂ© dans son ensemble et le monde agricole en particulier savent pertinemment toute l’attention rĂ©glementaire qu’il faut porter Ă  ces espèces.

Il existe mĂŞme aujourd’hui des salariĂ©s Ă  plein temps, au niveau des DDT (pas attachĂ©s Ă  l’une d’entre elles, mais tournant de l’une Ă  l’autre), chargĂ©s de dĂ©finir les zones oĂą des crapauducs doivent ĂŞtre implantĂ©s pour permettre, par exemple, aux batraciens de traverser une route sans se faire Ă©craser…

Or, en l’occurrence, que constate-t-on ? Des efforts d’un cĂ´tĂ© (que certains jugent surdimensionnĂ©s, mais ce n’est pas le dĂ©bat ici) pour prĂ©server les diffĂ©rentes espèces de batraciens, tĂ©moins des zones humides et de notre biodiversitĂ©… Et une dĂ©cision de justice de l’autre, qui prend parti dans un conflit de voisinage (c’est son rĂ´le, rien Ă  redire sur cet aspect), mais tout en crĂ©ant une jurisprudence pour le moins Ă©tonnante…

A moins d’un nouveau rebondissement ?

 

Ci-dessous, vidéo de France Bleu Sud Ouest sur le sujet.
La mare de la discorde Ă  Grignols en Dordogne par francebleu-sudouest

En savoir plus : http://www.charentelibre.fr/2016/06/09/dordogne-condamnes-a-cause-de-leurs-grenouilles-trop-bruyantes,3039028.php (article de La Charente Libre sur le sujet).

Notre photo ci-dessous est une copie d’Ă©cran de la vidĂ©o de France Bleu Sud Ouest montrĂ©e plus haut.

Ci-dessous, une photo hors contexte local, prise loin de la Dordogne (en Eure-et-Loir), juste pour montrer l’attention dĂ©sormais portĂ©e en gĂ©nĂ©ral aux batraciens… Et dont n’a pas tenu compte la cour d’appel de Bordeaux.

4 Commentaire(s)

  1. BientĂ´t le retour des procès en sorcellerie…la justice elle mĂŞme se contredit! Les juges ne sont-il pas censĂ© ne pas ignorer la loi?

  2. Vous ne trouvez pas que les oiseaux aussi font beaucoup trop de bruits? Et le vent dans les arbres ? La marée haute et son cortège vagues ? Et Shakespeare, ne fait-il pas beaucoup de bruit pour rien ?

  3. L’article R1334-33 du code de santĂ© publique prĂ©cise que le bruit Ă©mis par une activitĂ© autre que professionnelle ne doit pas dĂ©passer le bruit ambiant de plus de 5 Db, avec des correctifs relatifs Ă  la durĂ©e.
    Quand on sait que l’oreille humaine ne perçoit pas les bruits infĂ©rieurs Ă  25 Db, qu’un frigo Ă©met 40 Db et un lave-vaisselle 60 Db, on constate que cette rĂ©glementation permet d’attaquer son voisin pour toute activitĂ© mĂŞme peu sonore !
    Mais la judiciarisation est pour l’Etat une activitĂ© lucrative, par la TVA sur les honoraires d’avocats et sur l’imposition de leurs revenus.
    De plus cela crĂ©e des emplois et de la zizanie. Pendant que les voisins se chamaillent, ils sont aveugles aux manipulations gouvernementales…

  4. La justice fonctionne mal, la Cour d’Appel parfois aime bien contredire un jugement . Il lui suffit juste de trouver des prĂ©textes et c’est ce quelle fait sans se soucier des dommages collatĂ©raux. Et lĂ , rien Ă  faire, c’est la Cassation après des mois d’attente voire, une annĂ©e. Ce cas est choquant car la mare Ă©tait lĂ  en premier et des nouveaux arrivant ne peuvent se prĂ©valoir de l’ignorer. Ce jugement arbitraire condamne toutes les mares et la faune de France pour peu qu’un pĂ©quin s’installe Ă  proximitĂ© ! il faut se rĂ©volter en nombre. Il doit bien exister des lois qui protège la nature contre ceux qui veulent la dĂ©truire en se mettant juste devant !

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