La cour d’appel de Rennes va-t-elle reconnaitre, ce mercredi 4 mars 2020, « l’acharnement bancaire » (selon les termes du cabinet d’avocats) du Crédit agricole envers l’agriculteur Christophe Bitauld ? Après des années de procédures, ce dernier compte, enfin, obtenir la validation judiciaire qu’il est bien une victime dans cette opposition, et non l’inverse.
Le compte bancaire de Christophe Bitauld au Crédit agricole a été clôturé en 1998… Bien des années plus tard, il continuait de travailler, « tout seul », se rendant déficitaire, à un point tel que lorsque Christophe Bitauld a voulu investir avec sa banque d’alors, il lui a été rétorqué que ce n’était pas possible compte-tenu de l’activité en cours du compte du Crédit agricole.
Cette histoire de compte dormant n’est pas unique. Un article récent du quotidien Les Echos fait état d’un accord passé entre la Wells Fargo et la justice américaine pour y mettre fin : autant comprendre que la quatrième banque des Etats-Unis était coutumière du (mé)fait. Mais en France, on est, d’une manière générale, moins procédurier qu’outre Atlantique. Donc les cas détectés sont beaucoup plus rares, et encore plus rarement portés devant les médias.
Mais cela ne signifie pas que cette pratique n’existe pas chez nous. Cette utilisation de comptes dormants correspondrait ainsi aux spéculations boursières des banques, et à leurs besoins en fonds pour des investissements immédiats, au gré des mouvements et tendances de la bourse. On ne peut pas parler de pratique généralisée, et se pose ensuite la question de la responsabilité de la banque ou de l’un de ses courtiers trop zélé, comme lors du procès de Jérôme Kerviel et de ses activités à la Société Générale.
Mais en l’occurrence, c’est bien le Crédit agricole que Christophe Bitauld attaque en justice, car c’est de cette banque que vient son préjudice. Libre à elle ensuite, si elle le souhaite, de démontrer qu’elle a eu affaire à un opérateur indélicat et de se retourner contre ce dernier, si effectivement l’utilisation de comptes dormants est censée ne pas faire partie de ses pratiques. Mais dans cette affaire, pour l’instant, il n’apparait pas de personne tenant un rôle équivalent à celui qui a valu la condamnation de Jérôme kerviel.
Il faut dire qu’il en aura fallu des procédures à Christophe Bitauld, avant d’en arriver à l’échéance de mercredi prochain à la cour d’appel de Rennes (en ce lieu historique du Parlement de Bretagne). Depuis 1998, son histoire a connu déjà de multiples rebondissements.
Avant 1998, Christophe Bitauld est installé dans la pomme de table. Il subit plusieurs années d’affilée des dégâts dus aux intempéries, plusieurs fois de la grêle notamment. Après avoir tenté un plan de redressement, il doit finalement arrêter son activité, déposer le bilan. Il solde son compte au Crédit agricole à ce moment-là, en 1998 donc. Mais (heureusement) la vie ne s’arrête pas là. L’entrepreneur agricole comprend qu’il ne faut plus garder tous ses oeufs dans le même panier, et tente une diversification non agricole : ainsi, en 2003, il s’associe à deux autres personnes pour la reprise d’une entreprise qui assure l’accompagnement des convois exceptionnels sur la route. Mais lorsqu’il veut assumer sa part dans l’investissement, sa nouvelle banque, le Crédit mutuel de Bretagne, lui refuse l’obtention du prêt. Il doit ouvrir un autre compte à la Banque de Bretagne pour y accéder.
« Ça m’a tout de même fait bizarre, commente-t-il par rapport à cette période, car je suis sociétaire depuis ma naissance du Crédit mutuel de Bretagne, mes parents y étaient, j’y avais mon compte personnel. Et là, on me refusait ce prêt, sans la moindre précision de cause à cette décision. Certes, légalement, rien n’oblige la banque à se justifier. Mais l’esprit mutualiste qui devrait la gouverner aurait dû l’inciter à, au moins, me donner les raisons. Cela m’aurait fait gagner un temps précieux.«
En 2007, l’activité agricole a repris. Un projet photovoltaïque doit parachever le montage financier, et donner un revenu salutaire en cas d’année de perte sèche comme il en a connues avant 1998, et qui servira toujours sinon. Christophe Bitauld revend ses parts de sa diversification non agricole mentionnée plus haut, mais bien sûr cet apport est insuffisant compte-tenu de l’importance du projet et il dépose une demande d’emprunt. La Banque de Bretagne donne son accord de principe… Puis signale qu’elle ne pourra donner suite à la demande de financement. Abasourdi, il va à la Banque de France pour comprendre d’où vient le blocage, et il apprend alors que le Crédit agricole signale qu’il a un découvert de 60 000 €. Aussitôt, raconte-t-il, « je prends rendez-vous avec mon ancienne banque, et elle m’explique qu’il s’agit d’une erreur informatique« . Seulement l' »erreur » en question n’est toujours pas corrigée en 2008. Christophe Bitault saisit alors la CNIL (commission nationale informatique et liberté). « Mais pas de réponse du Crédit agricole« , précise-t-il.
Pour autant, « le Crédit agricole a fini par arrêter son fichage Banque de France, mais sans que ce soit rétroactif, c’est-à-dire que celui qui m’avait été attribué jusqu’alors restait visible des autres banques… » C’est à cette période que Christophe Bitauld comprend ce que sont les fichiers Fiben, « qui contiennent des informations interbancaires sur votre compte, auxquelles toutes les banques ont accès, mais pas vous. Vous ne savez donc pas pourquoi une banque vous refuse un prêt, alors que c’est motivé par ces informations« .
En 2012, il veut vérifier que cette fois tout est effacé à la Banque de France. Mais là, surprise, « ce sont plus de 530 000 € qui sont déclarés comme prêts en cours ! » Lesquels, vous l’avez compris, ne correspondent en rien à l’activité de Christophe Bitauld, et sont donc apparus sur un compte qu’il a clôturé en 1998 ! Du coup, il décide de bloquer l’agence du Crédit agricole avec son tracteur, en signe de protestation médiatisée. Le lendemain, il est reçu par le directeur de la caisse régionale de Rennes. Une négociation a lieu : suspension de toutes les procédures, indemnisation, tout est abordé. Mais aucun accord amiable n’est finalement suivi dans les faits.
Christophe Bitauld lance donc une procédure au pénal contre le Crédit agricole pour usurpation d’identité. « Malheureusement, le juge a nommé la brigade de Redon pour mener l’enquête, et elle n’avait pas les moyens de le faire, alors qu’il existait une brigade financière à Rennes… » D’où un classement sans suite en 2014.
Persévérant, notre homme démarre alors une nouvelle procédure au civil. Le jugement a lieu en 2016, à Rennes : aucune des plaintes n’est retenue, « au prétexte que je n’aurais pas apporté les preuves des causalités à effet« . Ce qu’il conteste, d’où le jugement en appel qui sera rendu ce mercredi 4 mars 2020.
Aujourd’hui, Christophe Bitauld mesure l’étendue des dégâts : « Je suis obligé de tout financer en fonds propres, ce qui limite clairement la portée de mes investissements. Je me retrouve blacklisté sur toutes les banques, sans exception, pour des mouvements réalisés à mon insu par l’une d’elle. Et ce n’est pas seulement professionnel. Cette situation a des répercussions sur ma vie privée. Mes enfants pouvaient prétendre à des études plus poussées que je n’ai pas pu financer. Notre maison d’habitation, malgré le travail de nuit de mon épouse, pourrait être plus agréable à vivre avec quelques travaux que nous n’avons pas eu les moyens d’entreprendre…«
Au passage, toutes les procédures encourues représentent un coût de 32 000 € de frais d’avocats et de frais de justice. Il réclame donc des dommages et intérêts, « à la hauteur du préjudice subi pendant toutes ces années« , de 700 000 €, plus le remboursement des frais. A l’inverse, si la cour d’appel suivait le premier jugement, non seulement il n’aurait droit à rien, mais en plus il devrait payer les frais de justice du Crédit agricole… « Ce qui signifierait la mort de mon exploitation et de mon métier d’agriculteur« .
Volontaire, il affirme à qui veut l’entendre : « Je ne me suiciderai pas à cause du Crédit agricole« . Mais la réalité, il le sait, ne prévoit pas les mêmes « happy ending » que le cinéma. « Une justice indépendante doit se rendre compte de ce que j’ai subi« , défend-il… En croisant les doigts.
Ci-dessous, lors du Salon de l’agriculture Christophe Bitauld a tenté d’alerter les médias sur sa situation.