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« Je me bats pour la place de la femme dans l’agriculture »

Je me rappellerai toute ma vie de la phrase qu’un ami agriculteur m’a dite il y a 7 ans lorsque je commençais à envisager mon avenir dans l’agriculture : « Toi tu ne pourras jamais t’installer, tes parents n’ont pas de ferme et en plus tu es une FEMME ». Il n’en fallait pas plus pour que la reconnaissance des femmes dans l’agriculture devienne mon leitmotiv.

Je m’appelle Cloé, j’ai 24 ans et je vis dans une magnifique station en Haute-Savoie. Depuis gamine je savais que ma vie, ce serait au grand air. Et puis j’ai rencontré Guillaume, agriculteur de père en fils, avec qui j’ai eu deux beaux enfants, dont l’un est décédé dans ses premières heures. L’autre, Camille, grandit derrière les vaches ; comme on dit, c’est dans le fumier que poussent les plus belles fleurs…

Après sa naissance, la décision est prise avec l’accord de notre associé Stéphane : et si je m’installais ? Après tout, cela faisait 5 ans que je travaillais avec eux, dès que mon travail officiel me le permettait, je sautais dans mes bottes pour aller traire ou pirouetter. La machine est en route : rendez-vous dans les différents services de la Chambre, formalités administratives, simulations économiques, montage du dossier … Dès mon premier rendez-vous, le verdict tombe : je dois reprendre l’école… Camille est petite, je pense à tout abandonner… Mais j’ai le sentiment que c’est là que se joue mon avenir, j’ai à l’époque 21 ans, la scolarité est loin derrière moi, mais je me dis que c’est le moment ou jamais !

Je suis donc rentrée en septembre 2012 en classe de BPREA. Pas sans mal, car il faut savoir que l’agriculture n’est pas considérée comme un secteur prioritaire, donc il n’y a que peu de bourses pour les personnes comme moi qui doivent arrêter de travailler pour reprendre une formation. Tant pis, on se serrera la ceinture, il n’y en a que pour quelques mois !

Les mois passent, il faut se lever tôt, aller faire le boulot vers les vaches, emmener le bébé chez sa grand-mère, filer à l’école, passer la journée à regarder par la fenêtre en s’imaginant toutes les choses que l’on aurait pu faire si on n’avait pas été plantée là, sur une chaise. Puis il faut rentrer, aller chercher le bébé, se changer, on étend vite une machine et on fait un brin de ménage, on va attaquer le boulot vers les vaches parce que l’Homme travaille de nuit à la station… Puis la troisième journée commence, on prépare à manger, le bain, le coucher, et enfin, on s’assoit dans le canapé et on souffle…

Parcours à l’installation, parcours du combattant !

En parallèle, le parcours à l’installation continue, ou plutôt le parcours du combattant ! J’obtiens mon diplôme, on m’apprend que je suis obligée de faire une année d’essai, même si je m’installe avec mon conjoint. On nous met plusieurs bâtons dans les roues, refus du dossier en commission, obligation de faire un stage de deux mois dans une autre exploitation… J’ai du mal à trouver un maître de stage : que faire faire à une gonzesse ?

Entre temps, je me bagarre avec l’administration pour réduire ma durée de stage : impossible de caser l’alpage, le stage, les foins, et hors de question que je néglige la première rentrée de ma fille. Ce combat va me valoir l’étiquette d’ « emmerdeuse » à la Chambre, mais qu’importe, j’obtiens gain de cause. Et puis je tombe par hasard sur un numéro, et me retrouve dans une exploitation de 5 associés dont 4 hommes, dans laquelle on me fait confiance et on me laisse prendre des initiatives, et où on ne me prend pas pour une femme mais pour un stagiaire comme un autre. Mon stage se termine, mon dossier est une nouvelle fois refusé, des bruits de couloirs confirment ce que je pensais : je paye cher mon parcours à l’installation chaotique et ma grande gueule. Mais je ne baisse pas les bras.

J’intègre les JA, puis le bureau des JA, où l’on me donne des responsabilités que j’accepte avec fierté. J’ai rendu plusieurs batailles, je suis installée officiellement depuis le 4 mars 2014, jour des 3 ans de ma fille, mais je sais que mon combat pour me faire une place dans ce milieu ne fait que commencer.

Pas la force d’un homme mais un mental à toute épreuve

Je me bats pour la place de la femme dans l’agriculture, pour qu’elles soient reconnues comme des « agricultrices » et non comme des « filles de » ou des « femmes de », mais je ne me leurre pas : nous sommes des femmes, fortes certes, mais nous pourrons mener tous les débats de la Terre, nous n’aurons jamais la force physique des hommes et ils ne faut pas oublier que nous devons faire reconnaître notre place, mais que cette place, c’est EUX qui nous la laisse, et personnellement, je ne revendique pas d’être l’égal de l’homme, car je sais que je ne le suis pas, alors je compense mon manque de force physique par un mental à toute épreuve, et je suis fière lorsque l’on me dit que je suis à présent indispensable à cette exploitation…

Ce combat pour les femmes agricultrices, je ne peux pas l’oublier, car chaque jour il me revient en pleine figure : quand je vais à la boulangerie et que j’entends des « ça pue la vache » ; quand on me dit que j’ai de la chance moi, de ne pas travailler ; quand je traverse un village avec mon tracteur et ma pirouette et qu’on me regarde comme si je venais d’une autre planète ; quand les collègues agriculteurs s’étonnent quand je leur dis que je trais, je foine, je monte à l’alpage, et même que je sais conduire un Vario ! Quand je sors avec mes copines, pomponnée, maquillée et bien habillée, et que lorsque l’on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds fièrement : l’un des plus beau métiers !

Bien que moi, je ne considère pas cela comme un métier, mais plutôt comme une façon de vivre, comme une personne vivrait avec 5 chiens, nous vivons avec 150 vaches, 2 chevaux, 2 chiens, 1 chat et 2 poissons rouges.

L’un des plus beaux métiers

L’un des plus beaux métiers, pourquoi ? Imaginez-vous, vous levez à l’aube, dans un chalet à 1800 mètres d’altitude, avec le chant des oiseaux et votre troupeau couché sous vos fenêtres. Vous soignez tout ce petit monde, sans être obligée de réveiller votre enfant aux aurores pour l’emmener chez la nounou… Puis vous redescendez en ville avec le fruit de votre travail : 800 litres de lait, destiné à la fabrication du Reblochon de Savoie ; ensuite vous retrouvez vos associés qui eux restent en bas, autour d’un café. Et chacun saute dans son tracteur, il faut aller rentrer le foin. Pendant ce temps, votre fille est à l’alpage avec sa grand-mère, en pyjama dans le parc des cochons, mais loin des voitures, du monde et de la chaleur de l’été. Un casse-croûte à midi en vitesse, puis on y retourne… Lorsque c’est le jour de livraison de la viande, j’apprécie le contact avec les clients, heureux de repartir avec leur viande de qualité made in Haute-Savoie. Puis je regagne ma montagne, mes vaches, ma fille

Et ma dure journée se termine par un apéro à la terrasse de mon chalet, devant le soleil couchant, avant d’aller se coucher, bercée par le bruit des cloches et le crépitement du feu dans le fourneau… Ma définition personnelle du mot BONHEUR.

 

En savoir plus : https://www.facebook.com/GaecLhotti (page Facebook du Gaec Lhotti, tenu entre autres par Cloé Mordacq, auteur de cet article).

Note de la rédaction : Nous avons passé, il y a quelques jours, une annonce sur notre page Facebook pour demander une « volontaire » pour exprimer sa vie d’agricultrice ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Nous remercions chaleureusement Cloé Mordacq d’avoir accepté spontanément.

La photo ci-dessous a été prise par ses soins et montre son univers…

9 Commentaire(s)

  1. Vraiment bravo Chloé, la vie a vraiment été dur avec vous et malgré tout vous êtes là, votre revanche sur la vie et sur certain préjugé vous l’avez. Sincèrement, vous méritez l’affiche aujourd hui et c’est pour cela que je vous met de suite sur ma page élevage ou j’ai fais moi aussi un article pour cette journée mais a coté de vous je suis bien petite!
    merci beaucoup de votre témoignage!

  2. Merci beaucoup Patricia, j’avais également vu le vôtre ainsi qu’un statut sur FB dans lequel j’avais vraiment l’impression de me lire … Je suis heureuse de voir que je ne suis pas seule !

  3. Bravo Cloé pour cet article, vous êtes loin d’être seule, je me suis reconnue un peu en vous lisant, certes je n’ai pas d’enfants et je ne suis pas installée, mais la vie de salariée agricole n’est pas facile non plus tous les jours. Etre prise au sérieux c’est une bataille de chaque instants !
    Merci pour ce témoignage !

  4. Bravo ! Je suis fièr qu’il y est des battantes comme toi dans notre département! Tout mes voeux de réussite pour l ‘avenir…!

  5. moi je suis pour que les femme soit reconnue j’ai plein d’amie fille qui ont pas beaucoup de reconnaissance. bravo a toi et bonne continuation

  6. Respect et robustesse Cloé !! Et même d’ailleur, à toute les femmes qui aime se métier très dure, mes temps passionnant .

  7. Félicitations Cloé, pour cette envie de vouloir s’installer et de défendre les agricultrices.

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