Dans cette région septentrionale à climat océanique, des essais en grandeur nature sont menés avec succès en agriculture biologique lors des années les plus chaudes et sèches. L’implantation y est une des clés de la précocité qui est le principal facteur de réussite dans la région.
Diversification des assolements, débouchés rémunérateurs pour l’huile, tête de rotation, plante peu exigeante en azote… Implanter le tournesol en agriculture biologique présente de multiples intérêts dans une région septentrionale comme la Normandie, mais aussi de nombreux défis, notamment au moment de l’implantation. Même si 2024 est une année compliquée pour le tournesol dans la région, les trois années précédentes ont montré en Bio dans les essais, des rendements de 30 à 40 quintaux proches, voire supérieurs, à la moyenne nationale en conventionnel.
« En Normandie, nous cherchons évidemment à semer des variétés précoces et même très précoces », détaille Johann Barthelemi, conseiller en agriculture biologique de la coopérative de Creully basée dans le Calvados. Ceci afin d’avoir une chance de pouvoir les récolter à maturité et d’éviter les problèmes de sclérotinia du capitule qui peut diviser par trois les rendements. « Ensuite, clairement en agriculture biologique, le marché qui nous intéresse est celui de l’huile alimentaire et donc le choix se restreint aux variétés oléiques », ajoute-t-il. On va chercher également un recouvrement rapide du rang. La forme des feuilles et le port de la plante a toute son importance. « Nous préférerons un port en sapin, plus compétiteur sur les adventices, qu’un port en tube, complète-t-il. En outre, nous visons plutôt un port assez bas et des capitules pas trop grosses pour éviter les risques à la récolte ».
Attention d’ailleurs à certains biais cognitifs dans l’évaluation du potentiel de la culture. Ce n’est pas la hauteur qui fait le rendement du tournesol. En outre, les gros capitules ne sont pas forcément un caractère recherché, car ils ont plus de mal à tenir debout et peuvent être plus tardifs. En revanche, obtenir des troncs, gros et courts, semble être un trait intéressant. Toutes ces exigences réduisent assez considérablement le choix des variétés disponibles. Parmi elles, des variétés comme Buffallo (RAGT) semblent offrir un bon compromis, comme ce fut le cas dans des essais menés dans les parcelles de l’agriculteur Valentin Lechat (voir encadré) autour de Saint-Pair-sur-Mer dans la Manche.
Les semis dans le secteur sont réalisés de la mi-avril jusqu’à la mi-mai après différents types de précédents, dont une prairie de luzerne dans le cas de plusieurs essais ici menés. En 2024, la parcelle d’essais a été implantée le 9 mai. En 2023, elle l’avait été le 25 avril et ressemée le 18 mai. Le problème de ravageurs numéro un dans le secteur à l’implantation ce sont les limaces, ensuite par ordre d’importance de dégâts viennent les pigeons et en troisième les corbeaux. L’utilisation d’un anti-limace à base de phosphate ferrique de type « Iron max » est conseillé. Ces dernières années, les essais conduits en partenariats avec les chambres d’agriculture de Normandie ont montré que la densité de semis pouvait être réduite de 75 000 pieds à 65 000 pieds avec la variété Buffallo avec même un impact positif sur le rendement de + 5,6 q/ha.
Lors de l’implantation du tournesol, un apport de 200 kg de tourteau de ricin a été appliqué du fait que la parcelle est concernée par le risque de taupins. Dans ces conditions, ce répulsif semble presque obligatoire. L’efficacité du tourteau de ricin est forte avec à un taux d’environ 80 à 90 %. Les expérimentateurs le distribuent sous forme de « semoulette » car l’utilisation en bouchons est moins efficace. La semoulette est mélangée dans le sol et n’a pas besoin d’être incorporée en localisé sur la ligne de semis. Cet apport joue aussi le rôle d’engrais « starter avec une teneur de 4,5 % d’azote et de 2 % de phosphore. Cependant, le tourteau de ricin apparaît comme un engrais très faiblement dosé comparativement à des guanos ou des farines de plumes et de sang. Il joue malgré tout son rôle d’accélérer la croissance pour une fermeture plus rapide du rang.
Au stade cotylédon, l’agriculteur passe ensuite une fois la herse étrille puis à partir du stade quatre feuilles, il réalise un voire deux binages. L’enrobage de semences en Bio avec un produit testé comme le VITAMIN (Gaïago) semble apporter de très bons résultats à moindre coût pour sécuriser l’implantation du tournesol et par exemple éviter de devoir ressemer. Un investissement jugé faible à 10 € par litre sachant qu’un litre peut traiter des doses de semences pour 10 ha. « Le tournesol marque vite des carences au bore et au manganèse et il répond très fort aux apports d’oligoéléments. Ce type de produit est donc très intéressant en bio », explique Johann Barthelemi. Le traitement peut d’ailleurs être différé six mois à l’avance par l’agriculteur lui-même pour limiter l’astreinte dans une période plus calme. « Il faut cependant savoir que cette application annule la garantie du taux de levée du semencier de la semence certifiée », précise-t-il. Un rapport bénéfices-risques à bien mesurer. Le coût d’un semis de semences certifiées de tournesol Bio est évalué à 150 €/ha. Le VITAMIN appliqué en enrobage de semences n’a cependant montré que très peu d’effet sur le rendement final. En revanche, les chambres d’agriculture de Normandie rapportent « un effet significatif de deux biostimulants appliqués en pulvérisation foliaire, qui comportent soit du bore, soit un mélange de bactéries dont l’une est fixatrice d’azote atmosphérique (azotobacter) ». L’effet est hautement significatif à hauteur de + 8 à + 9 q/ha.
« On gagne quinze jours sur le recouvrement »
Basé à Saint-Pair-sur-Mer dans la Manche, Valentin Lechat est producteur de cultures de vente et de fourrages en bio sur 97 ha avec un troupeau allaitant. Ces dernières années, il s’est équipé d’un semoir monograine performant dont il a fixé l’écartement à 50 cm et qu’il propose également en prestation de service en combinaison avec une bineuse également équipée pour travailler à 50 cm d’écartement. Il sème ainsi ses tournesols, mais aussi le colza, les betteraves fourragères (rendement de 100 t/ha) et le maïs à cet écartement dans ses terres hétérogènes de sables noirs, de limons et d’argile. « Avec ce nouvel écartement, j’estime que je gagne de 10 à 15 jours sur le recouvrement du rang par la culture de tournesol ! explique-t-il. En Bio, c’est très intéressant pour gérer le salissement. Par ailleurs, l’espacement entre plants sur le rang est plus grand, ce qui me semble bien meilleur pour le partage des ressources du sol par la culture ». Ce plus faible écartement permet également de réduire le nombre de passages de bineuse. Après implantation du tournesol, il réalise un passage de bineuse. L’outil est muni de doigts Kress, un investissement additionnel que l’agriculteur ne regrette pas et qui réalise un excellent travail sur le rang. La bineuse est utilisée à raison de cinq à six passages sur betterave fourragère et de 2 à 3 passages sur maïs avec un tracteur de 60 ch.
Contraintes de marché
La séparation rigoureuse des graines de tournesol oléiques et linoléiques est une exigence extrêmement forte au sein des organismes collecteurs pour « éviter de transformer l’huile en mayonnaise » dans les raffineries. Ainsi, les coopératives se spécialisent souvent dans l’une ou l’autre des filières. En agriculture biologique, le marché semble plus porteur pour l’huile en alimentation humaine et donc pour des variétés oléiques. Au sein d’une coopérative multi-filières comme celle de Creully, le choix a été de spécialiser la collecte bio et conventionnelle en 100 % oléique. L’avantage est de pouvoir créer des synergies entre filières bio et non bio lorsque certains lots doivent être déclassés du cahier des charges en agriculture biologique, ou pour la valorisation des récoltes des premières années de conversion. L’avantage du marché oléique est qu’il est plus stable que celui du linoléique qui est plus étroit et plus volatil. Pour éviter tout risque de contamination, la coopérative de Creully exige également l’emploi de semences certifiées.
Alexis Dufumier