d gats rats taupiers

Ils vendent leurs vaches à cause des rats

On se croirait au Moyen-Age ! Une grande partie du Massif Central est dévastée par des rats, avec des implications sanitaires, économiques, et même psychologiques invraisemblables à notre époque. Ce dimanche, une manifestation doit dénoncer le phénomène, dans le Cantal.

Les photos en fin d’article m’ont été fournies
par plusieurs personnes concernées
par le phénomène, que je remercie
chaleureusement pour leur concours

Calamitas ! Ce n’est ni un film d’horreur à petit budget, ni un documentaire sur la vie des champs au Moyen-Age. Mais une réalité de 2016, en France, sur le Cantal et les départements limitrophes : des rats taupiers envahissent le territoire, se reproduisent, prolifèrent même, comme des rats qu’ils sont. Avec à la clef des dégâts, la propagation des maladies dont ils sont porteurs, et de multiples calamités qui touchent la population dans son ensemble, et son activité économique essentielle dans cette zone rurale, l’agriculture.

Quelques chiffres d’abord, pour bien apprécier (si j’ose écrire) l’ampleur du phénomène. Ils m’ont été fournis par Sylvie Bonnet, agricultrice, également présidente d’une association festive, Les Chaumettes en fête, et membre du collectif « rat le bol » (« rat » écrit avec un « t »). 50 % du territoire du Cantal est touché, 4 départements en tout (du Massif central) déplorent des invasions de rats. Celle en cours est remarquée depuis septembre 2015 d’une manière aussi généralisée, localement (autour de la commune d’Allanche notamment) parfois avant (il avait existé des précédents, plusieurs « tentatives » dont la première remonterait à 1979, mais à chaque fois il fut possible, jadis, d’enrayer le phénomène). Aujourd’hui, des comptages montrent qu’il y a jusqu’à 3500 à 4000 rats par hectare, notamment sur le plateau volcanique du Cantal, dont la nature du sol semble favoriser l’habitat. Dans les forêts, plus de 30 % des jeunes pousses d’arbres sont ingurgités par les rats, remettant en cause le renouvellement naturel.

Des dégâts considérables

Les dégâts venus de ces rats taupiers (d’autres préfèrent l’appellation de « campagnols », il y en a aussi dans le Haut-Doubs en Franche-Comté d’ailleurs, mais à un niveau moindre) sont considérables.

 > économiques

D’abord, ils mangent l’herbe des pâtures. De fait, les éleveurs, quand ils mettent leurs troupeaux dehors (ce qui ne va plus tarder avec la fin de l’hiver), n’ont plus rien à donner à manger à leurs bêtes. Ils sont donc dans l’obligation d’augmenter leurs charges, malgré la crise qui sévit par ailleurs, pour acheter des aliments pour bétail. Plusieurs conséquences : 1. la nourriture n’est plus la même pour les êtes, ce qui pose problème dans le cas de certains cahiers des charges ; 2. les charges consenties en plus ne sont pas forcément supportables par tous. Economiquement, certains sont obligés de vendre leurs vaches ! Sylvie Bonnet témoigne : « Moi-même, j’ai dû décapitaliser mon troupeau de 10 vaches. D’autres sont allés jusqu’à vendre 40 vaches ! » Or ces ventes, en pleine crise, se font à des tarifs on ne peut plus faibles par rapport à la valeur réelle des troupeaux et du temps passé à l’élevage ; 3. Non seulement les rats se nourrissent des prairies, mais encore entreprennent-ils désormais d’aller dans les hangars, de s’attaquer aux foins, d’aller dans les ballots d’enrubannage, y compris positionnés en hauteur. Certains éleveurs ont non seulement dû acheter de la paille, mais ensuite racheter des aliments ! 4. Les vaches qui sont tout de même mises dehors pour le peu d’herbe qui reste se mettent à avaler de la terre, parfois même des petits cailloux. Sylvie Bonnet rapporte qu’il y a eu un décès (pas dans son troupeau), et derrière une autopsie : 7 kilos de terre ont été retrouvés dans la panse de la vache !

> sanitaires

Comme chacun sait, le rat est vecteur de maladies, il les porte. Les rats taupiers du Cantal sont des spécimens comme les autres à ce niveau-là, avec en prime une belle taille (120 grammes l’individu, ça fait des gros rats quand même…), donc résistants. Des cas de listérioses ont été recensés, une maladie pouvant entraîner des méningites chez les vaches, ou même l’humain (pas de cas humain pour le moment, ouf !). Les rats peuvent aussi être porteurs des bactéries provoquant la maladie de lyme. Rien de tel n’a été détecté pour l’instant, mais les Cantalous se renseignent désormais et étudient de près la question, pour se prémunir.

Quand les rats vont dans les foins, ce qu’ils ne mangent pas, ils peuvent très bien uriner dessus. Et lorsque les vaches, plus tard, trouvent ce foin dans leurs mangeoires, elles peuvent tout à fat attraper d’autres maladies, a priori moins graves, mais nécessitant tout de même l’intervention d’un vétérinaire. D’où l’obligation pour les éleveurs de changer le foin dès que les rats y apparaissent…

Comme tout animal, le rat a aussi besoin d’eau. Certains châteaux d’eau de particuliers ont été infectés par leur présence, ou celle de cadavres de congénères en décomposition. Sans compter ce qui n’est pas repéré de suite, et qui peut constituer le début d’une épidémie… Alors que les eaux issues des monts du Cantal sont réputées si bonnes !

> psychologiques

Pour les éleveurs victimes des rats, le silence est roi. Pas question de dire que l’on devient obligé de revendre quelques vaches à cause des rats, c’est un véritable traumatisme !

Une autre source d’information m’a signalé un cas extrême, d’un éleveur étant allé suivre un séjour psychiatrique, mais je le cite avec prudence, impossible de vérifier s’il existe d’autres causes…

> Et même pour les particuliers, et le tourisme !

Dans des jardins, des rosiers sont mangés. Sylvie Bonnet m’a rapporté qu’elle connait une personne âgée qui n’ose plus sortir dans son jardin, car la dernière fois qu’elle l’a fait, un rat s’est promené entre ses jambes et son déambulateur, étant à la limite de la faire tomber… En certains lieux, les rats ont bouffé la fibre optique ! Vous imaginez, en zone très rurale comme c’est le cas sur ce coup là, ne plus être connecté à cause des rats ? Et même dans les communes, ceux qui se rendaient au marché d’Allanche ont eu la surprise, un jour avec une forte averse, de voir des dizaines et des dizaines de rats courir d’un coup sur le macadam, craignant sans doute la noyade dans les trous où ils s’étaient fourrés… Du côté des offices de tourisme locaux, enfin, on s’inquiète de l’image dégagée par ces rats qui pourraient nuire à l’envie de venir visiter une campagne à la nature si accueillante par ailleurs…

Comment est-on arrivé à avoir autant de rats, et comment s’en débarrasser ?

Comment se fait-il que cette invasion de rats se poursuive sans coup d’arrêt ? On paye là les règles environnementales trop strictes appliquées sur la région. Une très grande partie est en zone Natura 2000. Ce qui signifie deux choses : 1. attention aux produits que l’on utilise, particulièrement sélectionnés ; 2. pas de labour.

Bon, évidemment, avec les pentes, « pas de labour » c’est naturel dans le secteur, sur la plupart des parcelles. Mais en faire un ou deux là où c’est possible, exceptionnellement compte-tenu de la calamité, aurait deux effets : d’abord éliminer tout ce qui est en surface du champ, ensuite créer des zones sans aucun intérêt pour les rats, donc qu’ils ne traverseraient pas, ce qui permettrait de les confiner à des zones géographiques (relativement) réduites.

Les produits… Ce qui reste autorisé aujourd’hui, c’est de la bromadiolone, l’actuelle étant particulièrement diluée par rapport à ce qui existait il y a quelques années. « Mais justement, précise encore Sylvie Bonnet, tellement diluée que c’est inefficace, surtout sur un nombre aussi grand« .

Certains spécialistes préconisent le piégeage… Là encore, le nombre de rats rend la technique très largement insuffisante : un calcul a été fait, il faudrait quatre heures de piégeage par jour pendant plusieurs mois pour arriver à bout de l’invasion… Aucun éleveur ne peut travailler quatre heures de plus par jour tous les jours aussi longtemps !

Enfin, il y a eu une question posée à l’Assemblée nationale sur le sujet par le député Les Républicains du Cantal Alain Marleix. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a répondu en sortant de son chapeau de la glace carbonique qu’il faudrait introduire sous terre pour asphyxier les rats… Cela date du 18 février. « Depuis, aucune nouvelle », commente Sylvie Bonnet, plutôt perplexe quant à la proposition suggérée.

Une manifestation ce dimanche 20 mars

Ce dimanche 20 mars, à la croix derrière Recoules de Joursac, un large rassemblement est programmé de 11 à 16 heures. Les manifestants sont appelés à venir avec leurs plus vieilles charrues, pour montrer qu’au 21e siècle ils n’ont plus que ce moyen archaïque de défense face au rat. Ils demanderont aussi des graines à moindre coût, compte-tenu de la situation économique du moment.

En résumé, si l’on peut comprendre les motivations environnementales qui ont conduit aux règles applicables (en l’occurrence) dans les zones Natura 2000, ce serait peut-être pas mal de réfléchir à certaines souplesses quand des phénomènes extrêmes, comme celui des rats du Cantal, se produisent. Il pourrait s’agir de dérogations ponctuelles et encadrées, par exemple. Car on en revient, encore et toujours, à ce même état de fait : des règles imposées par des personnes n’ayant jamais mis les pieds sur place, ou ne prenant pas la peine de se déplacer quand on les alerte.

Sans réaction des autorités avec une volonté réelle et concrète, où va-t-on ? On peut imaginer plusieurs scénarios. L’arrêt de plusieurs activités locales, pas seulement paysannes d’ailleurs. L’utilisation de produits carrément interdits par quelques-uns, à bout, qui auront été faire un aller et retour en Espagne par exemple (avec des conséquences pour l’environnement bien plus funestes qu’une utilisation de produits connus qui soit encadrée). Et sans oublier que la prolifération des rats n’a aucune raison de connaître des limites géographiques : aujourd’hui le Cantal (beaucoup) et plusieurs départements limitrophes (un peu), demain qui et à quel niveau ?

DERNIERE MINUTE

Parmi les réactions dans les premières heures qui ont suivi la parution de cet article, celle de Sylvie Goy-Chavent, sénatrice mais surtout, en l’occurrence, conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes dans ce twitt :

Il faut comprendre par là que la toute nouvelle grande région a voté un amendement dans son débat d’orientation budgétaire, prévoyant de budgétiser un moyen de lutte contre les rats taupiers. Je l’ai eue rapidement pour des explications : « Il s’agit d’une volonté inscrite dans le débat d’orientation budgétaire. C’est ensuite, lors du vote du budget, que l’on devient plus précis sur l’action en fonction des projets. » Une volonté au niveau régional, ce n’est déjà pas si mal, non ?

Pétition en ligne

Une pétition existe : https://www.change.org/p/les-pouvoirs-publiques-des-solutions-imm%C3%A9diates-contre-les-milliers-de-campagnols-qui-envahissent-nos-r%C3%A9gions

En savoir plus : http://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne/cantal/de-la-glace-carbonique-pour-lutter-contre-les-rats-taupiers-dans-le-massif-central-931855.html (solution de la glace carbonique suggérée par Stéphane Le Foll) ; http://www.lamontagne.fr/auvergne/actualite/2016/03/04/bientot-un-grand-collectif-de-lutte-contre-les-rats-taupiers_11808832.html (article de La Montagne sur la consitution d’un collectif contre les rats taupiers) ;

Je remercie tous ceux qui m’ont fourni les photos ci-dessous.

Ci-dessous, un champ dévasté par les rats taupiers : moins d’herbe, des trous dans la terre, des galeries souterraines…

Ci-dessous, des galeries creusées en surface par les rats taupiers.

Ci-dessous, gros plan sur les taupinières dont le nombre montre la prolifération des rats…

Ci-dessous, rat taupier dans son trou.

Ci-dessous, le même (gros plan).

Ci-dessous, rat taupier piégé.

Ci-dessous, rat taupier attrapé par un chat (mais attention, le rat est potentiellement porteur de maladies…).

Ci-dessous, l’affiche de la manifestation de ce dimanche.

1 Commentaire(s)

  1. Bonjour il est dommage et regrettable qu’il ne reste plus que la bromadiolone…. avec les dégâts collatéraux sur les prédateurs du rat. il y a quelques années était utilisé le phosphure d’hydrogène P H 3 qui permettait que l’animal soit consommé sans risque, ce gaz était également utilisé pour la destruction des taupes, le traitement des céréales à l’export, au nom du principe de précaution il a été supprimé. L’application en est simple réintroduisons la possibilité de l’utiliser sans le principe de promotion..….qui anesthésie notre société Bien cordialement

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