patriciafreyssac

Il était une fois une agricultrice aux cheveux couleur salers

Si vous êtes friands des réseaux sociaux, et en particulier de Facebook, vous avez déjà apprécié les photos de vaches salers de Patricia Freyssac. Mais même si elle livre volontiers ses opinions, la connaissez-vous vraiment ? WikiAgri est allé chez elle, dans le Cantal, à sa rencontre…

Département rural s’il en est, où l’agriculture et en particulier l’élevage tiennent une place évidente, le Cantal accueille ses visiteurs déjà avec ses vaches, si particulières. Les salers figurent sans conteste parmi les races les plus représentatives de notre terroir. Celles que l’on a de fait envie de regarder. Et sur les réseaux sociaux, elles connaissent une supportrice assidue, Patricia Freyssac. Le Gaec Freyssac, qu’elle tient avec son mari Christophe sur la commune de Barriac-les-Bosquets, est célèbre sur tout Facebook, et même au-delà. A travers ses photos qu’elles diffusent au rythme de trois ou quatre par jour, prises par une telle amoureuse des salers qu’elles ne peuvent que faire aimer ces vaches (jamais de cliché de salers en difficulté, « et pourtant ça arrive, nous sommes comme tout le monde« ). L’objectif consiste à partager l’amour de la salers.

Derrière la carte postale se cache une activité économique, sans laquelle la vitrine n’existerait pas. Le Gaec Freyssac compte 60 mères à la traite, avec leurs veaux, 17 génisses de 24 mois, 20 de 18 mois, et 6 taureaux pour assumer tout ça (heureux mâles). Christophe Freyssac s’est installé en 1989, Patricia travaille sur l’exploitation depuis 2001, elle-même installée en 2009 pour la création du Gaec. 49 hectares en propriété, 32 en location, plus une douzaine d’autres qui viennent d’être repris en location, on n’est pas loin de 100 hectares en tout. Le tout sur deux sites, le premier de 49 + 12 hectares à proximité des bâtiments et de la maison, le second de 32 hectares à 7 kilomètres de là. 5 hectares de blé et autant en maïs ensilage sont cultivés en autoconsommation : « On essaye de s’auto-suffire au max. »

En termes de structures, un bâtiment accueille les 60 mères et leurs veaux (l’hiver, et sinon pour les traites et les nuits). Un autre est destiné aux génisses et jeunes taureaux, à 7 kilomètres (en location en remplacement d’un bâtiment brûlé).

La ferme a un quota laitier de 150 000 litres, avec une valorisation de 100 € la tonne en plus du prix de base en coopérative laitière : « Le lait de salers est valorisé plus cher, explique Patricia Freyssac. Il a une propriété, il n’a pas besoin d’ajout pour nourrir les veaux… » D’ailleurs, l’après quotas laitiers qui va arriver bientôt n’est en rien un problème pour le Gaec : « Nous, ce qui nous intéresse, c’est de valoriser le lait de salers, donc la qualité, pas la quantité. Nous n’avons pas spécialement réfléchi à l’après quotas, mais parce que nous ne devrions pas être impactés directement, les prix ne devraient pas baisser, et nous ne produirons pas plus.« 

Le lait est très important pour le Gaec Freyssac. La race salers est connue comme étant mixte, lait et viande. « Mais la réalité est que tout est fait pour la viande, commente Patricia Freyssac, qui avait d’ailleurs prévenu dès l’arrivée du journaliste : N’oubliez pas de me laisser un espace dans votre article, il faut que je vous parle de notre combat pour défendre la race laitière« 

« Mon combat, maintenir la race laitière »

Patricia Freyssac n’est pas plus du genre à avoir la langue dans sa poche que WikiAgri à éteindre son micro quand ça chauffe, donc allons-y : « La race salers a une particularité. Les mères sont incapables de produire du lait si elles n’ont pas leur veau près d’elles. Je pense que ce sont les seules vaches dans ce cas. Je trouve ça très émouvant, ces mères si maternelles, c’est peut-être pour cela que je me suis tant intéressée à elles. En même temps, cela signifie que pour préserver toutes les facultés de la race, y compris viande d’ailleurs, il faut maintenir l’élevage laitier. Chez nous, mon mari est très porté sur la génétique, nous remplaçons les mères que nous vendons chaque année par 4 ou 5 génisses de 24 mois issues de notre élevage, selon des qualités laitières. De fait, ces qualités ne sont pas les mêmes que celles retenues pour la viande. Et aujourd’hui, dans la grande majorité des concours, les critères identifiés sont ceux des races à viande, uniquement. Il n’existe plus les deux catégories, « lait » et « viande » comme avant car nous ne sommes plus assez nombreux pour représenter les laitières. Alors il est important de maintenir des critères objectifs qui maintiennent les deux élevages. Car si la salers ne devait plus être qu’une race à viande, nous perdrions ce qui fait son intérêt, ces vaches maternelles, qui produisent un lait exceptionnel, qui ne nécessite aucun complément nutritionnel.« 

Les concours, en soi, ne rapportent pas grand-chose. Un prix rembourse tout juste le déplacement, et encore. Mais ils participent à la renommée de la ferme pour les ventes qui suivront. En 2012 et 2013, le Gaec Freyssac a présenté une vache exceptionnelle, Elégante, au concours agricole du Salon de l’agriculture à Paris. Elle a gagné le prix. « Donc, ça arrive, reprend Patricia Freyssac. Mais cela devient de plus en plus dur. Je suis comme tout le monde, je veux gagner. Mais j’accepte de perdre sur des critères objectifs, pas quand je vois que la différence s’est faite à l’engraissement pour la viande. Or, de plus en plus, parce que les dirigeants du syndicat de la race (Ndlr : Groupe Salers Evolution, anciennement UPRA Salers) sont axés sur la viande, le lait est délaissé. Alors que le maintien de l’élevage laitier est primordial, aussi, pour celui de la viande.« 

Un paradis… sans vacances !

Cette tradition laitière que veut maintenir le couple Freyssac présente à la fois des avantages et des inconvénients.

D’un côté, lorsque, après avoir vu toutes les photos de nature de la page Facebook, on se trouve soi-même baigné dans ces paysages où le vert est orné de tâches rousses aux cornes si fières, on a une impression de paradis. Par son attitude, Patricia Freyssac y participe grandement. Elle est en totale symbiose avec son environnement, et en particulier avec ses salers. Elle les cajole, les gratouille, leur parle… Va même jusqu’à faire écouter de la musique à l’une d’elle dont le nom rappelle celui d’une chanson ! En contrepartie, elles le lui rendent bien, vont naturellement vers elle, se montrent affectueuses. Les cornes qu’elles portent ne posent aucun problème, leurs mouvements d’humeur sont rarissimes : pas vraiment stressées ces bêtes-là ! « Les vaches, c’est un peu comme les chiens. Quand un maître ne s’occupe pas de ses chiens, ils peuvent devenir méchants. Sinon, ils sont fidèles, proches de vous. » Et elle ajoute avec un clin d’oeil : « Mes salers ? J’en fais des petits chats ! » Et c’est un fait, quand on se retrouve au milieu d’elles en compagnie de leur « maman », on s’attend presque à les entendre ronronner ! Evidemment, toute la famille participe, le fils de Christophe de 20 ans, la fille de Patricia de 17 ans (famille recomposée) et leurs deux enfants communs, des jumeaux, un garçon et une fille, de 12 ans.

Ça, c’est le côté « paradis ». Franchement, pour une visite d’un jour, on s’y croirait. Largement de quoi être sous le charme. D’une ambiance. D’une femme qui fait découvrir son univers (en tout bien tout honneur bien sûr). De vaches presque trop langoureuses pour celui qui n’est pas habitué (désolé pour le mouvement de recul que le journaliste que je suis a pu avoir avant que la langue n’atteigne mon visage, au moment de prendre les photos…).

Mais il existe aussi l’autre côté. Patricia Freyssac n’utilise pas le mot « contraintes », car ça fait partie de sa vie, une vie qu’elle aime. Mais il faut se lever tous les matins à 4h30 pour la première traite. Faire sortir les vaches pour la journée (en été) un peu après le lever du jour. Les vaches, et les veaux, qui ont chacun leurs places dans le bâtiment de traite. Le soir, avant la traite du soir, tout le monde doit rentrer, chacun dans son espace. Ce n’est pas si simple, un veau se glisse facilement dans l’espace « mères », une mère suit les veaux… C’est tout un job de rétablir tout le monde là il doit aller. Et pour que ça fonctionne, il faut bien les connaître. Toutes les mères, comme les veaux. Ce qui implique de fait la présence de Patricia et Christophe à chacune de ces opérations. Des opérations qui se répètent tous les jours, dimanches compris. 365 jours par an…

« On pourrait prendre des vacances en novembre et décembre, quand les mères restent sous bâtiment, juste avant les vêlages, précise Patricia Freyssac. Mais où aller à cette époque de l’année ? Et puis il faudrait quelqu’un de grande confiance pour s’occuper des vaches dans cette période. Du coup, cela fait très longtemps que nous n’avons pas pris le moindre jour de vacances. Et puis, au-delà, ce qui m’embête, c’est pour les enfants. Le garçon aimerait faire du foot, les entraînements sont à 17 heures, heure de la traite, on ne peut pas l’y conduire. Le sacrifice que l’on accepte pour nous, on l’impose aussi à nos enfants, et ça, ça m’ennuie davantage…« 

Pas la langue dans sa poche…

De fait, Patricia Freyssac est très sensible aux évolutions de l’agriculture de tradition. Sur sa page Facebook (ou sur WikiAgri quand nous lui avions donné la parole, à l’occasion de la journée internationale de la femme rurale, lien en fin d’article), elle n’hésite pas à donner son avis sur nombre d’événements. Les suicides chez les éleveurs ? « Regardez le prix du gasoil il y a 20 ou 30 ans et celui d’aujourd’hui… Parallèlement celui du lait n’a pas bougé. Avec des charges qui ne cessent d’augmenter, comment voulez-vous que tout le monde s’en sorte ? » Les primes ? « L’argent, il en faut. On nous donne des primes, les gens ne voient que ça. Mais on oublie qu’elles s’accompagnent de contrôles, qu’il y en a de plus en plus. » L’engagement ? « Nous n’adhérons à aucun syndicat. Le syndicalisme, c’est comme la politique. Au début ceux qui y vont y croient, et puis ils oublient d’où ils viennent, ne savent plus revenir aux sources. Moi je suis très engagée dans mes opinions, mais pas dans un syndicat, je reste dans ma ferme. » Et vous trouverez bien d’autres sujets développés sur sa page.

Le mot de la fin, je le donne à une de ses voisines, Joëlle Reyt, agricultrice également avec des salers, qui tient une chambre d’hôtes à Ally, à quelques kilomètres du Gaec Freyssac : « Les gens vous envient pour ce que vous avez, pas pour ce que vous travaillez. » Patricia Freyssac aurait très bien pu prononcer cette phrase, elle lui convient si bien…

 

 

En savoir plus : https://www.facebook.com/pages/Elevage-de-vaches-salersElevage-GAEC-Freyssac/164178163628018 (page Facebook du Gaec Freyssac, impossible de ne pas « liker » !) ; https://wikiagri.fr/articles/accrochez-vous-femmes-de-la-nature-!/773 (l’article rédigé par Patricia Freyssac et paru sur wikiagri.fr décrivant sa journée type d’agricultrice).

 

Ci-dessous, Patricia Freyssac avec Elégante, qui a gagné le concours agricole du Salon de l’agriculture à Paris en 2012 et 2013.

Ci-dessous, tels des chatons, les veaux se laissent gratouiller le cou…

… Ou la nuque. « J’ai des préférés, chaque année c’est pareil », précise Patricia Freyssac.

Ci-dessous, l’illustration de la particularité de la race salers par rapport aux autres vaches : les mères (à droite sur la photo) ne peuvent produire du lait qu’avec la présence, derrière elles (dans les enclos à gauche), de leurs veaux !

Avec les « 24 mois » au champ, dans son élément.

Jamais à l’abri d’un bisou un peu baveux…

No comment !

Deux photos ci-dessous : mimétisme de couleurs, entre l’acajou de la crinière et la mèche blonde d’ornement…

Au revoir Patricia, à bientôt, au moins sur votre page Facebook…

1 Commentaire(s)

  1. Un peu de copinage : pour rester suffisamment longtemps pour ce reportage, j’ai passé la nuit dans un gite pas loin, chez Jacques et Joëlle Reyt, sur la commune d’Ally. Excellent accueil, chambre d’hôtes proprette, petit déjeuner copieux, pas cher. Au coeur du pays des salers pour se ressourcer… Plus d’infos : https://www.facebook.com/pages/GAEC-REYT-ALLY/637245783009657

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