Depuis le début du conflit qui oppose la la Russie à l’Ukraine, l’effondrement des prix des céréales et des oléo-protéagineux sur le marché intérieur ukrainien conduit Oleg, comme de nombreux autres agriculteurs qui en ont les moyens, à stocker leurs récoltes pour ne pas vendre à perte. Lorsque le corridor sur la Mer Noire a été ouvert, les cours ne se sont pas redressés.
A Uman en Ukraine, à deux cents kilomètres au nord de la ligne de front la plus proche, la guerre se vit au quotidien au rythme des sirènes qui appellent les habitants de la ville à se réfugier dans des refuges et surtout, au rythme des coupures d’électricité et du réseau internet.
En durant parfois plus d’une journée, ces coupures entravent fortement l’ensemble de l’activité du pays. Mais Vladimir Poutine, président de Russie, a décidé que les Ukrainiens passeraient l’hiver dans le froid et sans lumière.
En attendant, les prix à la consommation flambent tandis que les agriculteurs sont dans l’impossibilité de vendre leurs récoltes aux cours des marchés mondiaux.
Depuis plusieurs mois, la tonne de maïs vaut 120 € sur le marché ukrainien (sortie ferme) et celle de tournesol, 400 €. Le manque à gagner est de près de 200 € par tonne pour le maïs et de 300€ par tonne pour le tournesol.
A à la fin du mois de février 2022, les cours de la céréale et de l’ensemble des commodités agricoles se sont effondrés en Ukraine quand l’armée russe a entrepris d’envahir le pays. Et depuis, les cotations ne se sont pas redressées.
Lorsque les ports de la Mer Noire ont été fermés, les grains stockés dans les silos en pleine campagne ont uniquement été acheminés par camions ou par trains en Pologne, en Roumanie ou vers le port d’Izmail en Ukraine au bord du Danube.
Mais pour que les prix des grains arrivés à destination restent compétitifs, les intermédiaires répercutent leurs coûts de transport et d’assurance sur les prix payés aux producteurs. Et depuis que l’accord maritime sur la Mer Noire a été conclu le 19 juillet dernier, les prix de vente des grains payés aux agriculteurs n’ont pas augmenté.
Même si quelques millions de tonnes ont pu être expédiées par voie maritime, les stocks encore détenus dans les fermes sont colossaux. Les silos sont saturés. L’Etat ukrainien a fourni des sacs-tunnels en plastique pour stocker les grains excédentaires.
En fait plus de 5 Mt de grains (céréales, oléo-protéagineux etc.) étaient expédiées depuis les ports de la Mer Noire avant le début du conflit. Et depuis le printemps dernier, jamais ce chiffre n’a été atteint malgré les dispositions prises pour transporter par tous les moyens disponibles les grains hors du pays.
Aussi, la décision prise le 29 octobre dernier par Vladimir Poutine de ne pas reconduire l’accord maritime sur la Mer Noire ne va pas modifier la situation économique des agriculteurs ukrainiens dans l’impossibilité de vendre, même aux prix actuels, leurs récoltes. Tout au plus va-t-elle la leur compliquer encore un peu plus.
Par ailleurs, des agriculteurs refusent tout simplement de vendre à perte leurs productions.
A Poatash à 30 km d’Uman, Oleg Bilous (36 ans) fait partie de ces agriculteurs. Pluri-actif, il cultive 50 hectares de terre depuis deux ans et l’ensemble du parc matériel nécessaire pour les cultiver.
L’an passé, il a produit 280 tonnes de maïs (5,5t/ha) – c’était sa première récolte d’agriculteur- et cette année, il a récolté 140 tonnes de tournesol (2,6t/ha).
L’hiver dernier, Oleg voulait attendre la seconde partie de la campagne pour vendre chère sa récolte de maïs 2021, afin de compenser par les prix la faiblesse des rendements obtenus.
Malgré la guerre, Oleg n’a pas renoncé pas à ses projets. Il veut se doter d’un parc matériel pour cultiver ses terres et accroître la superficie de son exploitation en louant des dizaines d’hectares supplémentaires.
Et comme le chef d’entreprise dispose d’une trésorerie importante, l’agriculteur a pu financer le printemps dernier sa campagne de tournesol avec ses propres fonds.
Pourtant, les prix des intrants charges ont explosé. Hors frais de transit du champ au silo, chaque tonne de tournesol récoltée lui a coûté 260 €, soit environ 120 € de plus que l’an passé s’il avait alors planté du tournesol à la place du maïs.
En ajoutant les frais de transport du champ au silo distant de 30 km, le prix de la tonne de tournesol lui revient cette année à 310 €. En un an, le prix du transport a en effet triplé.
Sans aides publiques, Oleg ne veut pas se contenter d’un bénéfice de 90 € par hectare pour se rémunérer, payer son fermage (120 €/ha) et investir.
Le 23 octobre dernier, il espérait encore une remontée des cours dans les semaines ou les quelques mois à venir pour pouvoir vendre sa récolte de tournesol. Mais le week-end dernier, il a compris qu’il devra patienter encore longtemps pour vendre à un prix correct ses récoltes….à moins qu’il soit vraiment à court de trésorerie.
Voici en détail l’évolution des couts de production par poste de charges en prenant en compte sur un an l’évolution de la parité de la Hryvnia par rapport à l’euro. Les montants mentionnés par poste de charges sont ceux réellement payés cette année par Oleg.
Ils sont comparés à ceux qu’ils auraient été en 2021 pour se rendre compte dans quelles proportions les charges d’exploitation ont flambé.
2021 2022
1€= 3200 Hr 1 € = 3800 Hr
80000 |
Mécanisation |
120000 |
||
85000 |
Pétrole |
175000 |
||
128000 |
Semences |
160000 |
||
850000 |
Engrais et phyto |
1133300 |
||
0 |
Autres traitements |
870000 |
||
0 |
Drone traitement |
120000 |
||
1143000 | Total | 2578300 |
Soit par tonne:
137 € 261 €
En incluant le transit du champ au silo:
156 € 310 €
_________________________________________________________________________
Production de maïs en 2021
L’an passé, chaque tonne de maïs produite par Oleg ne lui a coûté que 66 € (360 €/ha) car ce dernier avait acheté ses intrants bien avant le début du conflit, avant même la flambée des prix des engrais azotée.
En ajoutant le fermage (125 €/ha), la tonne de maïs lui est revenue à 98 €.
En la cédant à 120 € la tonne, le prix actuel sur le marché intérieur ukrainien, l’agriculteur estime qu’il serait déficitaire. Il ne pourrait ni se rémunérer ni dégager les fonds nécessaires pour autofinancer une partie de ses futures acquisitions.
Légendes photos:
En tête: champ de maïs récolté en 2021 sur lequel a été implanté 50 ha de tournesol en 2022.
En cours de texte: A Poatash à 30 km d’Uman, Oleg Bilous (36 ans) dans son champ en 2021.
Merci à Sasha Ognivenko (Uman) qui a traduit les propos d’Oleg en anglais.