Depuis le début de la guerre en Ukraine, nous rencontrons chaque année quelques agriculteurs à la tête d’exploitations de plusieurs milliers d’hectares et de dizaines de salariés. A Buky, dans la région d’Uman, Olekxandr Pidlubnyi, est l’un d’eux. Il est le directeur de la ferme de 4 500 ha fondée par Yvan Melnyk (cf photo).
C’est dans la salle du restaurant de la ferme qu’il nous a reçus pour faire le bilan de l’année agricole qui vient de s’écouler. Au menu du déjeuner, betteraves rouges, charcuterie et Rassolnik (soupe). Le repas a été élaboré à partir de produits cultivés et d’animaux élevés par les salariés de la ferme.
L’été, la cuisine du restaurant prépare des dizaines de repas par jour pour nourrir les dizaines de salariés et de saisonniers venus travailler pour faire les moissons.
La guerre impacte constament la conduite de l’exploitation, et en même temps, on éprouve le sentiment d’un retour à une certaine normalité quand on parcourt les terres et les bâtiments.
Les étables sont équipées de générateurs pour produire l’électricité nécessaire pour faire fonctionner les trayeuses lorsque le courant électrique est coupé.
En fait, Olekxandr et ses salariés « vivent avec la guerre ». Elle impacte le quotidien de la ferme de Buky même si elle est situées à plus de 700 km des fronts où l’armée ukrainienne affronte les militaires russes.
Le décès de Nazar, le salarié rencontré l’an dernier alors qu’il était en permission, rappelle que le pays est bien en guerre. Nazar est le second salarié de la ferme tué au combat.
A la fin de l’année passée, Olekxander n’était pas parvenu à le remplacer car l’Ukraine manque de bras et le travail agricole n’attire pas les jeunes.
Seuls cinq salariés de la ferme sont aujourd’hui mobilisés car beaucoup d’entre eux ont été réformés, trop âgés ou invalides pour partir combattre.
Le retour des marchés à une certaine normalité
Les marchés agricoles ukrainiens fonctionnent presqu’aussi bien qu’avant la guerre. Aussi, les prix sortie-ferme des produits agricoles ne sont plus amputés par des frais logistiques démentiels.
Par ailleurs, la ferme a acquis des camions pour être indépendants logistiquement et réduire les frais de transport.
« On peut dorénavant produire pour soutenir l’Ukraine et croire à sa victoire », soutient Olekxandr Pidlubnyi.
Fin novembre, Olekxander vendait la tonne de maïs 235 dollars (220 €) alors qu’en 2022 et durant les six premiers mois de 2023, la guerre avait totalement désorganisé l’économie agricole ukrainienne. Elle avait empêché les agriculteurs ukrainiens de vendre leurs récoltés aux cours d’alors.
Fin 2022, la tonne de maïs avait alors étépayée 161 $ environ alors que sur les marchés, le prix mondial de la céréale avait explosé.
A la même époque, la tonne de tournesol avait été vendue 747 $ contre moins de 420 $ en 2022.
Convertir en euros ces prix n’est pas très pertinent car la Hryvnia s’est fortement dépréciée. Aujourd’hui 100 € équivalent à 4300 hryvnias contre près de 3 500 hryvnias il y a moins d’un an.
En fait, les agriculteurs commercent en dollars, donc ce qui leur importe est les prix en monnaie américaine auxquels ils concluent leurs transactions.
Vivre avec la guerre
Or les prix sortie-ferme des céréales – trop faibles France pour couvrir les charges des céréaliers – sont suffisants en Ukraine pour rendre de nouveau rentables la plupart des cultures. Toutefois, la récente dévaluation de près de 25 % de la Hryvnia a considérablement renchéri les coûts de la plupart des intrants importés.
Cependant la situation financière de l’exploitation s’est assainie. Olekxander a dorénavant la trésorerie pour acheter hors saison l’engrais meilleur marché.
Les banques accordent aussi des prêts de campagne. Les taux d’intérêt sont toutefois de 13 % alors que l’inflation est de 10 %.
Le printemps prochain, la ferme envisage l’acquisition de nouveaux tracteurs mais la parité Hryvnia-Dollar accroît considérablement leur prix. Si l’achat se concrétise, ce sera alors le premier investissement depuis trois ans.
L’été passé, la sécheresse a davantage impacté les performances de l’exploitation de Buky que le coût économique de la guerre: prix des intrants payés en dollars et de l’énergie produite par les générateurs, etc.
Le blé d’hiver a en a réchappé – le rendement de 73,4 quintaux était même exceptionnel – et l’orge de printemps s’en sort pas mal (61 quintaux par ha) mais le colza, le soja, le maïs et le tournesol ont souffert du manque d’eau et des fortes températures.
En comparant les rendements de chacune des cultures aux meilleurs résultats des années 2021-2023, les baisses sont importantes : -9 quintaux par ha (q/ha) pour le colza (35 qx/ha en 2022) et le tournesol (36 qx/ha en 2021). Pour le maïs, le repli est de 3 tonnes par hectare (12,4 t/ha en 2021).
Le projet émis à la fin de l’année 2023 de se lancer dans la culture de betteraves sucrières n’a pas abouti. Mais Olekxander n’éprouve aucun regret car les conditions climatiques très sèches n’étaient pas propices pour produire de belles racines.
Elevage laitier
Les bonnes performances en production laitière ont nettement contribué à l’amélioration des résultats économiques de l’exploitation de Buky. Les vaches produisent en moyenne 23 litres de lait pas jour, soit 5,5 litres de plus qu’en 2021. Le taux de matière grasse atteint 40 gr par litre et celui de protéines, 35 gr.
La ferme livre 3 700 litres de lait par jour, soit 800 litres de plus qu’en 2021.
Plusieurs facteurs expliquent cette nette amélioration: les premières génisses croisées Holstein-Jersey sont dorénavant en production et l’ensillage distribué est de très bonne qualité.
Par ailleurs, les marchés du lait et de la viande sont redevenus fluides. L’Ukraine parvient de nouveau à exporter des produits laitiers et des carcasses. Aussi, les prix du lait et de la viande de vache se sont nettement redressés: 65 c le litre de lait et 1,61 € le kilogramme de vache vive fin novembre 2024.
Pour en savoir plus: https://wikiagri.fr/articles/apres-20-mois-de-guerre-on-gere-lexploitation-au-jour-le-jour-yvan-melnyk-directeur-dexploitation/