La consommation d’insectes par les hommes et par le bétail est de plus en plus présentée comme l’une des solutions privilégiées pour lutter à la fois contre l’insécurité alimentaire mondiale et l’impact environnemental de l’élevage intensif
La poursuite de la croissance de la population mondiale et l’essor non moins spectaculaire des classes moyennes, plus précisément dans les pays émergents d’Asie-Pacifique, sont deux des tendances globales majeures prévisibles pour les décennies à venir. Cela devrait avoir bien entendu de très fortes conséquences sur la production agricole mondiale dans un contexte où l’élevage en particulier est accusé d’être l’un des puissants facteurs d’émissions de gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement climatique. Pour la FAO, l’une des réponses à ce dilemme – assurer la sécurité alimentaire d’une population croissante et dont le régime alimentaire se modifie alors que l’accroissement de la production pour répondre à ses besoins est susceptible de nuire à la planète – réside notamment dans l’entomophagie, à savoir la consommation d’insectes par les humains.
Cela peut paraître plutôt dégoutant au premier abord, du moins pour notre goût d’Occidental, voire méprisant pour les populations des pays pauvres – nous aurions le droit, nous, à une alimentation normale, notamment à une alimentation carnée classique, et eux, ils n’auraient droit qu’à des insectes pour se nourrir ! La réalité est cependant bien plus complexe, puisque environ deux milliards de personnes en Afrique, en Asie et en Amérique latine se nourrissent déjà d’insectes et que les plats à base d’insectes sont souvent des plats traditionnels et très prisés dans ces pays. En clair, les pauvres ne mangent pas des insectes parce qu’ils n’auraient rien d’autre à manger.
D’après les experts de la FAO et un certain nombre de spécialistes, les insectes comestibles présenteraient, en effet, de très nombreux avantages tant en termes d’alimentation, de sécurité alimentaire pour les pays du Sud, ainsi que de protection de l’environnement. La FAO a d’ailleurs publié un rapport sur ce thème en mai 2013.
Selon la FAO, plus de 1 900 espèces d’insectes sont comestibles et sont consommées dans le monde, alors qu’il existe environ un million d’espèces d’insectes connues et que ceux-ci représentent plus de la moitié des organismes vivants sur la planète. 250 espèces seraient ainsi consommées en Afrique, 180 en Chine et jusqu’à 550 au Mexique. Les principaux insectes consommés sont les coléoptères, qui représentent près d’un tiers des insectes consommés dans le monde, les scarabées, les chenilles, les abeilles, les guêpes, les fourmis, les sauterelles, les criquets, les grillons, les termites, les punaises ou les cigales. Ils peuvent être mangés soit directement, soit sous la forme de poudres ou de pâtes incorporées à d’autres aliments. L’intérêt de la consommation d’insectes résiderait en particulier dans leur valeur nutritive. Leur teneur en protéines serait proche de celle de la viande traditionnelle. Par ailleurs, les insectes comestibles sont riches en graisses, en vitamines et en minéraux. Ainsi, si 100 grammes de bœuf contiennent 6 mg de fer, pour les sauterelles, ce chiffre peut passer, selon les espèces, de 8 à 20 mg. Enfin, le rendement en viande après transformation, à savoir le rapport entre la viande désossée et la carcasse, est beaucoup plus élevé chez les insectes que chez le porc et fortiori chez les bovins. En définitive, les insectes peuvent être aussi bien utilisés pour l’alimentation humaine que pour l’alimentation animale.
D’après la FAO, leur contribution à la sécurité alimentaire dans de nombreux pays du Sud peut donc s’avérer importante alors que leur potentiel semble être insuffisamment développé, en particulier pour l’alimentation animale. Les experts de l’organisation onusienne estiment ainsi que les farines d’insectes pourraient se substituer aisément aux farines de poisson et diminuer ainsi d’autant les prélèvements de poissons. Une entreprise française Micronutris s’est d’ailleurs spécialisée dans ce secteur. Elle se présente ainsi sur son site internet comme « la première société européenne spécialisée dans l’élevage et l’élaboration de produits à base d’insectes comestibles destinés à l’alimentation humaine ». Elle commercialise par ailleurs des chocolats et des macarons contenant des insectes, qui sont élevés par la société, ainsi que des grillons déshydratés et des vers de farine « à croquer nature à l’apéritif ou selon vos envies »…
La plupart de ces insectes sont collectés dans la nature, notamment dans les forêts, mais certains d’entre eux font l’objet d’un « élevage », notamment en Asie du Sud-Est (Laos, Vietnam, Thaïlande) et en Chine. C’est le cas en particulier des criquets. Or, cet « élevage » présente l’avantage d’être facilement accessible pour des populations pauvres, comme les paysans sans terre, à partir du moment où il ne nécessite pas de gros investissements. Les insectes se développent et se reproduisent rapidement. En outre, pour obtenir 1 kg de viande d’insecte, il faut seulement 2 kg de nourriture, alors que pour 1 kg de viande dite conventionnelle, il faut en moyenne 8 kg de nourriture. Ils ont donc ce que l’on appelle un taux de conversion alimentaire élevé.
Le second avantage des insectes concernerait la protection de l’environnement. Ils constitueraient en premier lieu une alternative à la viande conventionnelle, d’autant qu’ils émettent bien moins de gaz à effet de serre, tel que le méthane, par rapport au bétail traditionnel. Les insectes sont également considérés sous nos latitudes comme des alternatives aux pesticides. Ainsi, par exemple, dans les Pays de la Loire, dans le cadre du réseau Ecophyto, de nombreuses exploitations testent des techniques alternatives aux pesticides en utilisant des insectes. C’est le cas de producteurs de légumes qui recourent à des mini-guêpes, des punaises et des larves de coccinelles pour pouvoir se débarrasser naturellement des insectes ravageurs tels que les pucerons, les mouches ou les chenilles.
La consommation d’insectes comestibles n’est sans doute pas la seule solution pour résoudre la question de la faim dans le monde et favoriser un mode de production agricole plus « soutenable ». Mais c’est sans aucun doute une piste à explorer sérieusement pour les pays du Sud. Alors, en attendant de devoir tous se mettre à manger des insectes, en France, des traiteurs et des restaurants commencent à inscrire à leur menu ces petites bêtes pour nous habituer à ce nouveau mode d’alimentation. C’est le cas, par exemple, du restaurant Aphrodite à Nice qui propose dans son menu les plats suivants : un petit pois carré et son écume de carottes, vers de farine ; un crémeux de maïs, foie gras poêlé, croustillant de grillons au Sarrasin, neige de pop corn et maïs déshydraté ; un dos de cabillaud pané aux arachides, poudre de vers de farine grillés, potiron craquant, polenta’huète ; une inclusion de grillons en bubble au whisky, cubique de pain perdu aux poires ; et enfin une rose des sables aux vers de farine et sucre pétillant…
En savoir plus : www.fao.org/docrep/018/i3253e/i3253e.pdf (rapport de 2013 de la FAO en anglais sur les insectes comestibles, Des insectes comestibles : Perspectives d’avenir en matière de sécurité alimentaire humaine et animale), www.fao.org/forestry/edibleinsects/fr/ (page du site internet de la FAO consacrée aux insectes comestibles issus de la forêt), www.fao.org/docrep/018/i3264f/i3264f00.pdf (synthèse de la FAO sur la contribution des insectes à la sécurité alimentaire, aux moyens de subsistance et à l’environnement), www.micronutris.com/ (site internet de la société Micronutris), http://agriculture.gouv.fr/ecophyto (plan Ecophyto sur le site du ministère de l’Agriculture), http://restaurant-aphrodite.com/aphrodite/latable/alternative/alternative.htm (restaurant de Nice proposant un menu à base d’insectes), http://www.mangeons-des-insectes.com/ (site des adeptes français de l’entomophagie).