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Exploitations agricoles et Covid-19, comment faire face aux difficultés de paiement

Entre les nouveaux outils proposés par l’Etat depuis l’arrivée du coronavirus, et d’autres plus anciens mais qui ont fait leurs preuves, il existe une large palette pour faire face aux difficultés de paiement.

Poursuite du confinement, nombre d’entre nous se sont fait aujourd’hui une raison à recommencer tous les jours les mêmes rituels d’une vie rétrécie, en pause contrainte, dans l’attente de jours meilleurs. Nombre d’entre nous également, travaillent plus qu’à l’accoutumée dans l’angoisse d’attraper et transmettre ce « virus à couronne », qui a, aussi infime soit-il, mis à l’arrêt la planète entière dans un combat silencieux, que personne n’avait vu venir.

Les agricultrices et agriculteurs, comme les soignantes et soignants, les femmes et les hommes de ménage, les employé(e)s de supermarchés, celles et ceux qui continuent à œuvrer pour que le « chaos » ne s’abatte pas sur nous, sont en première ligne et ne comptent plus leurs heures. Pour eux, le temps loin de s’arrêter, est devenu une course de fond pour sauver, soigner, laver, nettoyer ou nourrir.

Le gouvernement ne cesse depuis la semaine dernière de légiférer par ordonnances pour prendre toutes mesures d’adaptation durant l’état d’urgence instauré suivant la loi n° 2020- 290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Attachons-nous à communiquer sur certaines de ces mesures pour que nos agricultrices et agriculteurs puissent poursuivre le combat en première ligne, libérés du risque de difficultés de trésorerie qui les éloigneraient de leur fonction première. Au-delà de ces mesures d’adaptation, existent également des outils qui ont fait leur preuve et que les exploitants doivent impérativement utiliser pour éviter par tout moyen l’état de cessation des paiements.

Un prêt de trésorerie garanti par l’État

Le gouvernement met en œuvre un dispositif exceptionnel de garanties pour soutenir le financement bancaire des entreprises, à hauteur de 300 milliards d’euros. Jusqu’au 31 décembre prochain, les entreprises de toute taille, quelle que soit la forme juridique de l’entreprise (notamment sociétés, commerçants, artisans, exploitants agricoles, professions libérales, micro-entrepreneurs, associations et fondations ayant une activité économique), à l’exception des sociétés civiles immobilières, des établissements de crédit et des sociétés de financement, pourront demander à leur banque habituelle un prêt garanti par l’État pour soutenir leur trésorerie.

Ce prêt pourra représenter jusqu’à 3 mois de chiffre d’affaires 2019, ou deux années de masse salariale pour les entreprises innovantes ou créées depuis le 1er janvier 2019. Aucun remboursement ne sera exigé la première année ; l’entreprise pourra choisir d’amortir le prêt sur une durée maximale de cinq ans. Les conditions d’octroi sont expliquées sur le portail du ministère de l’Economie, des Finances, de l’Action publique et des Comptes publics, dans le dossier « Coronavirus Covid-19 : les mesures de soutien aux entreprises ».

Ce fonds de solidarité a le mérite d’exister mais il demeure un emprunt qui nécessitera d’être remboursé et surtout qui implique, pour l’exploitant en période de crise, d’engager de nouvelles démarches administratives, ce qui n’est pas forcément aisé pendant le confinement où l’assistance de leurs conseils habituels (juristes dans les Chambres d’agriculture ou les Conseils départementaux, cabinets d’expertise comptable, avocats) peut être entravée.

D’autres mesures ou dispositifs ont pour objet de permettre à l’exploitant d’anticiper activement les difficultés à venir.

La médiation du crédit pour le rééchelonnement des crédits bancaires

Il s’agit d’un dispositif public qui vient en aide à toute entreprise qui rencontre des difficultés avec un ou plusieurs établissements financiers. Le médiateur du crédit peut être saisi directement sur son site internet à l’adresse https://mediateur-credit.banque-france.fr.

Les principaux motifs de saisine sont :
 – la dénonciation de découvert ou autre ligne de crédit,
 – le refus de rééchelonnement d’une dette,
 – le refus de crédit (trésorerie, équipement, crédit-bail…),
 – le refus de caution ou de garantie,
 – la réduction de garantie par un assureur-crédit.

Dans les 48 heures suivant sa saisine, le médiateur contacte l’exploitant, vérifie avec lui la recevabilité de sa demande et définit un schéma d’action. Surtout, le médiateur saisit les banques concernées. Il peut réunir les partenaires financiers de l’exploitation pour identifier et résoudre les points de blocage et proposer une solution aux parties prenantes.

Urgence sanitaire, l’allongement des délais des procédures collectives

L’ordonnance du 27 mars 2020 publiée le 28 mars, adapte temporairement les procédures applicables afin de tenir compte de leurs conditions de mise en œuvre durant l’état d’urgence sanitaire et les mois qui suivront sa cessation. L’ordonnance entend favoriser le recours aux procédures préventives et allonge pour ce faire les délais des procédures collectives.

En particulier, la durée légale des procédures de conciliation est prolongée de plein droit d’une durée équivalente à celle de la période de l’état d’urgence sanitaire (soit du 12 mars 2020 au 24 mai 2020) augmentée de trois mois. De même, les durées légales des plans de sauvegarde et de redressement judiciaires pourront être prolongées, ainsi que les délais de procédure imposés à l’administrateur ou au mandataire judiciaires, au liquidateur ou au commissaire à l’exécution du plan.

Le règlement amiable judiciaire, un outil sur mesure pour les agriculteurs en difficultés

L’objectif du règlement amiable judiciaire, procédure spécifique au domaine agricole, est de trouver un accord amiable entre l’agriculteur et tout ou partie des créanciers portant sur des délais de remboursement des dettes (et/ou des remises de dettes). Cet outil est d’autant plus intéressant qu’il est utilisé dès que l’exploitant connaît des difficultés sans être en état de cessation des paiements car cela lui permet d’être réactif face à ses créanciers avant qu’elles ne s’aggravent. Les créanciers sont alors mis en confiance car ils constatent que l’exploitant garde la main sur sa gestion malgré les difficultés.

Cette procédure présente l’intérêt d’avoir un faible coût, de rester discrète et de faire l’objet d’un formalisme souple. Le tribunal judiciaire est saisi par simple requête qui peut être établie par l’exploitant lui-même ou avec l’aide de tout conseil habituel de son choix (son expert-comptable ou son avocat mais également un service juridique dédié à la Chambre d’agriculture, au Conseil départemental ou au sein d’un syndicat).

Pendant la procédure qui peut durer plusieurs mois, le tribunal judiciaire peut accorder une suspension des poursuites pour une durée de deux mois renouvelable, pour la même durée. Dans ce cas la procédure fait l’objet d’une publication au Bodacc (bulletin officiel des annonces civiles et commerciales).

Certes rien n’oblige un créancier à négocier et accepter un accord. Le débiteur reste alors sous la menace des poursuites individuelles de ces créanciers. Néanmoins le règlement amiable judiciaire présente l’intérêt incontournable de permettre que la communication entre l’exploitant et ses créanciers perdure alors que des difficultés sont naissantes mais qu’elles ne sont pas suffisamment graves pour faire craindre aux créanciers qu’ils ne seront pas payés. Dans cette situation la compréhension mutuelle est à même de s’instaurer et des accords « gagnants-gagnants » ont toutes les changes d’être signés.

Durant l’état d’urgence, rien n’empêche l’exploitant de saisir le tribunal judiciaire territorialement compétent d’une demande de règlement amiable judiciaire avec l’aide du conseil de son choix. En fonction du plan de continuation d’activité mis en œuvre par la juridiction, il est possible que l’audience n’ait pas lieu et que le président ou son délégué, dès lors que la demande est justifiée, rende la décision par une simple ordonnance dans laquelle il désignera le conciliateur ayant pour mission de favoriser le règlement de la situation financière de l’exploitation.

Enfin, n’oubliez pas quelles que soient les difficultés, de contacter votre banque pour demander :
 – un report des échéances de votre ou vos prêts bancaires en cours,
 – des précisions sur la couverture de l’assurance de votre ou vos prêts,
 – une baisse des frais bancaires.

La période que nous traversons peut, pour les exploitants, être source de grande anxiété par peur de ne pouvoir faire face aux échéances contractuelles (emprunts, factures de fournisseurs) lesquelles sont dues contrairement aux actes prescrits par la loi ou les règlements qui ont fait l’objet d’un report par la loi votée le 22 mars 2020 qui a instauré l’état d’urgence. N’hésitez pas à vous rapprocher de votre conseil habituel (juriste, cabinet d’expertise comptable, avocat) pour faire un point sur la situation de trésorerie de votre exploitation et pour que tous les outils destinés à passer le cap de cette période économique houleuse sans difficulté, soient utilisés au mieux de vos intérêts.

Isabelle Gaye
Avocat spécialiste en Droit rural
Toulouse

[email protected]
www.avocat-isabellegaye.fr


Notre illustration ci-dessous est issue de Adobe.

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