lections europ ennes 2019

Européennes 2019, le scénario du pire pour le monde agricole

Une droite qui s’effondre électoralement, un RN qui arrive en tête et EELV qui effectue une percée, les résultats des élections européennes du 26 mai 2019 ne sont certainement pas faits pour arranger les intérêts du monde agricole et son sentiment d’être en décalage par rapport au reste de la société.

Il est plus que vraisemblable que l’on ne disposera pas de données pour savoir comment les agriculteurs ont voté aux élections européennes. Néanmoins, on peut considérer que, pour une partie notable du monde agricole, les résultats de ces élections sont au mieux décevants, au pire inquiétants.

La chute de l’empire de droite

Les agriculteurs tendent en majorité à être proches de la droite traditionnelle et à voter en sa faveur. Or, pour la première fois depuis l’instauration d’une élection européenne au suffrage universel en 1979, la liste Les Républicains a réalisé un score à un seul chiffre, avec 8,5 % des suffrages. C’est bien moins que les intentions de vote ne le laissaient entrevoir puisque celles-ci la situaient plutôt aux alentours de 13 %. Cela a été l’une des principales surprises de la soirée électorale.

Mais outre ce très faible résultat, ce qui est encore plus inquiétant pour la droite, c’est que son électorat, qui se réduit déjà comme peau de chagrin, ne peut que se contracter à nouveau à l’avenir si rien n’est changé dans la ligne du parti. Différentes enquêtes (Ipsos, Elabe) tendent à montrer, en effet, qu’il est surtout composé de personnes de 65 ou de 70 ans et plus (tableau 1), de retraités et de personnes à leur compte. On peut donc supposer qu’y figurent de nombreux agriculteurs actifs et retraités.

Tableau 1 – Elections européennes : sociologie des électorats en fonction de l’âge (Ipsos)

Or, on voit bien que LR ne parvient plus à attirer les suffrages des cadres et a fortiori des ouvriers : les premiers votent désormais massivement pour LREM et les seconds pour le RN (tableau 2). D’une certaine manière, on peut se demander si Les Républicains ne sont pas en train de devenir un nouveau Centre national des indépendants et paysans

Tableau 2 – Elections européennes : sociologie des électorats en fonction de la catégorie socioprofessionnelle (Ipsos)

Au final, moins de 45 % des électeurs de François Fillon de 2017, qui avait tout de même obtenu 20 % des suffrages au premier tour de la présidentielle, ont voté pour la liste de François-Xavier Bellamy (34 % selon Ipsos et 43 % selon Elabe). Une partie notable d’entre eux ont donc choisi la liste LREM et d’autres, moins nombreux, la liste RN.

Concrètement, cela signifie qu’avec seulement 8 députés, contre 20 dans l’assemblée sortante, plusieurs eurodéputés LR proches du monde agricole ont perdu leur siège. C’est le cas par exemple d’Angéline Delahaye. Il est aussi évident que le poids de la France au sein du principal groupe au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE), sera bien amoindri et donc que sa voix sur les dossiers agricoles le sera en conséquence.

La revanche des nationalistes

Or, parallèlement à cet effondrement de la droite traditionnelle, les deux courants qui sont souvent vus comme les plus antinomiques des intérêts des agriculteurs par nombre d’entre eux, sont les grands gagnants du scrutin.

C’est le cas en premier lieu du Rassemblement national. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ne donnent généralement aucune consigne de vote, si ce n’est qu’ils appellent à rejeter les courants nationalistes qui s’opposent fondamentalement à la construction européenne. Ils rappellent d’ailleurs dans leur Manifeste pour l’Europe (JA et FNSEA) que « Nos organisations, FNSEA et JA, sont représentatives d’une profession qui s’est trouvée au cœur de la construction européenne depuis ses débuts : la profession agricole » et « FNSEA et JA conservent l’intime conviction que l’Union européenne est l’avenir des agriculteurs, comme celui de l’ensemble des citoyens ».

Or, à l’instar de ce qui s’est passé en 2014, la liste du Rassemblement national est arrivée à nouveau en tête du scrutin, en obtenant cette fois 23,3 % des suffrages dans un contexte européen où plusieurs listes nationalistes europhobes ont réalisé des scores élevés, comme c’est le cas notamment en Italie.

La percée des écologistes

Nombre d’agriculteurs doivent voir également avec inquiétude les scores importants réalisés par les listes écologistes, que ce soit la liste EELV (13,5 %), mais aussi, cela a été moins visible, parmi les petites listes, les listes « Urgence écologie » de Dominique Bourg et du Parti animaliste ont obtenu pas mal de suffrages : 1,8 % pour la première et environ 2,2 % pour la seconde, notamment si on compare ces résultats aux intentions de vote : 0,5% pour la liste Bourg et 1,5 % pour le parti animaliste. Ce sont d’ailleurs les deux « petites listes » qui ont réalisé les scores les plus élevés, bien plus élevés que des listes plus médiatisées comme celle de Florian Philippot, de l’UPR réclamant le Frexit ou l’Alliance jaune de Francis Lalanne. Les listes écologistes et apparentées ont ainsi obtenu au total 17,5 % des suffrages.

Cela s’explique sans doute en grande partie par le fait que l’on observe une montée des préoccupations vis-à-vis du changement climatique depuis quelques mois. On le voit bien avec les mouvements citoyens et de jeunes qui se mettent en place, notamment dans le sillage de la jeune suédoise Greta Thunberg, qui a appelé à la grève de l’école pour le climat à partir du mois d’août 2018. Le sondage « jour du vote » d’Elabe indique ainsi que le changement climatique et la protection de l’environnement ont été les principales motivations du vote le 26 mai. On a pu observer également dans d’autres pays, notamment en Allemagne, en Irlande ou en Finlance une même percée électorale des listes écologistes. Le groupe écologiste au Parlement européen devrait donc avoir un poids important et peser sur les décisions.

En outre, suite à ce résultat et alors qu’il n’y avait pas de candidat écologiste à la présidentielle, il est évident que EELV devrait devenir le principal pôle attractif à gauche dans les années à venir en lieu et place de La France insoumise alors que l’on a bien vu durant cette campagne que les différentes listes de gauche avait déjà beaucoup verdi leurs discours et leurs programmes. Si l’on s’en tient au point de vue de nombre d’agriculteurs, ce n’est pas nécessairement une très bonne nouvelle.

Au final, avec l’affaiblissement de la droite traditionnelle, qui pourrait être durable si rien n’est fait pour faire évoluer sa ligne politique, la confirmation de la toute-puissance du RN et la percée quelque peu surprenante des mouvements écologistes, ces élections peuvent sembler assez cauchemardesques aux yeux de beaucoup d’agriculteurs. Cela ne paraît pas favoriser, en effet, leurs intérêts au risque, à leurs yeux, de baisser la garde sur l’évolution du budget de la Pac et de poursuivre son verdissement. Par ailleurs, ces résultats risquent de conforter les agriculteurs dans l’idée selon laquelle il existe un décalage de plus en plus grand entre leurs perceptions et leurs valeurs et celles du reste de la société, et que, pour reprendre l’image de Jérôme Fourquet, l’îlot du monde agricole est de moins en moins bien connecté au reste de l’Archipel France.
 

En savoir plus : https://www.ifop.com/elections-europeennes-2019 (Sociologie des électorats et profil des abstentionnistes, Ipsos) ; https://elabe.fr/wp-content/uploads/2019/05/rapport_26052019_bfmtv_sondage-jour-du-vote-europeennes.pdf (sondage « jour du vote » d’Elabe) ; https://www.fnsea.fr/actualit%C3%A9s/manifeste-pour-leurope-ja-et-fnsea (Manifeste pour l’Europe (JA et FNSEA) ; https://www.ifop.com/elections-europeennes-2019 (dernier point sur les intentions de vote le 24 mai 2019, Ifop).


L’image ci-dessous est issue de Adobe.

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