Avec ses 17 salariés, l’entreprise du grand ouest normand, valorise un territoire agricole en pleine transition, entre systèmes d’élevage et de grandes cultures, conversions et déconversions en Bio, fermeture de la sucrerie ou encore transmission.
« À gauche pour la moissonneuse et à droite pour l’ensileuse ». Ce dicton a longtemps été celui de l’ETA Suzanne père et fils à Juvigny sur Seulles, dans le Calvados. Ici, la cour de matériel débouche en effet sur la départementale 173 avec d’une part, l’accès aux plaines fertiles de Caen et du Bessin, et de l’autre aux herbages du bocage à forte domination laitière en direction de Vire. Une démarcation devenue aujourd’hui moins nette, de l’avis même de Pascal Suzanne, l’actuel gérant de l’entreprise. La restructuration laitière subie dans le secteur depuis plus de vingt ans maintenant a en effet repoussé plus en arrière les zones d’élevage. Une mutation qui se ressent dans les chiffres avec un nombre de six moissonneuses dans l’entreprise, qui surpasse aujourd’hui celui des quatre ensileuses. Comme quoi les transitions et les mutations semblent toujours devoir se chasser les unes après les autres dans le secteur agricole. Cela n’a pas empêché l’entreprise Suzanne de se développer et de s’adapter à un contexte sans cesse changeant depuis la création, il y a 58 ans maintenant. Elle compte aujourd’hui une équipe de 17 salariés dont 16 chauffeurs et/ou mécaniciens, épaulée par deux ou trois chauffeurs supplémentaires en période estivale.
« Initialement, ce sont mes parents qui ont créé l’entreprise en 1965, afin de valoriser une moissonneuse batteuse FAHR de 2,5 m de barre de coupe et un épandeur à fumier, à côté de l’exploitation agricole de 35 ha. Tout est parti de là », rembobine Pascal Suzanne. Après avoir été associé à l’entreprise depuis 1989 avec successivement plusieurs autres membres de la famille, Pascal en est devenu en 2015 l’unique gérant, aidé par sa comptable Patricia pour le volet administratif. Depuis quatre ans, Mathieu, le fils de Pascal a intégré l’équipe sitôt après avoir terminé ses études. À 24 ans, il dispose aujourd’hui de son bureau, participe à l’organisation des travaux et aux décisions de l’entreprise, rebaptisée Suzanne père & fils. Même si la transmission n’est pas encore à l’ordre du jour, le transfert de compétence et de responsabilité est déjà amorcé.
La structure propose tous les travaux agricoles classiques, de travail du sol, de semis et de récolte. « Nous avons une orientation assez marquée dans les travaux d’épandage d’amendements et d’effluents d’élevage liquides et solides, complète Pascal. Nous travaillons également chez des éleveurs pour la production de compost avec un retourneur d’andain ». Depuis de nombreuses années, l’entreprise développe d’ailleurs auprès de ses clients tout un discours lié à la valorisation des engrais organiques. L’ETA s’est ainsi équipée de pendillards et d’enfouisseurs pour améliorer l’efficacité des épandages liquides. « En l’absence de dispositifs tels que ceux-là, les pertes d’azote peuvent atteindre 70 %, déplore l’entrepreneur. C’est dommage de ne pas valoriser ces unités d’azote, sachant que le chantier d’épandage présente déjà un certain coût ». Pour ce faire, l’ETA dispose de 3 barriques à lisier dont une Pichon de 26 m³ capable de travailler sur de multiples consignes de largeur, de 18 à 28 m. L’intérêt de la machine est d’ailleurs de pouvoir passer en végétation pour des apports précoces ou tardifs sur blé, orge, ou colza et d’élargir ainsi les plans d’épandage de lisier.
Depuis le début des années 2000, l’entreprise s’est également démarquée en investissant dans des dispositifs automoteurs d’andainage des cultures. Au départ, cette activité était destinée à permettre de gérer les maturités hétérogènes du colza, qui rendaient difficile la récolte de l’intégralité des graines. « Aujourd’hui, la demande s’est déplacée vers d’autres besoins, constate le chef d’entreprise. Nous andainons de moins en moins de colza et de plus en plus de cultures comme les céréales, le chia, la lentille, le pois-chiche, le sarrasin et notamment des porte-graines comme les betteraves rouges, le persil et les mélanges pour autoconsommation… Nous couplons cette prestation, avec le battage par une moissonneuse avec pick-up à tapis qui est plus adapté que les coupes conventionnelles. Cette évolution de la demande est essentiellement liée à l’essor des cultures en agriculture biologique. Aujourd’hui, malheureusement, nous constatons les effets de la crise de cette filière. Nous voyons plusieurs de nos clients qui se déconvertissent passé les cinq ans d’engagement ». Malgré tout, l’essor qu’a connu l’agriculture biologique ces dernières années, a entraîné une hausse de l’activité pour les chantiers de récolte de l’herbe. « Les exploitations en agriculture biologique couvrent jusqu’à 75% de leurs surfaces en herbe, estime Pascal. La demande est forte, sachant que celles-ci sont exploitées à raison de trois à quatre coupes par an ». Le phénomène lié au Bio a conduit également à une moindre demande pour l’ensilage de maïs en plante entière, mais en revanche à une demande plus forte pour de l’ensilage de maïs épi qui se complète bien dans les rations à base d’herbe.
Outre la clientèle agricole, l’entreprise Suzanne père et fils travaille également avec plusieurs collectivités territoriales pour le transport et l’épandage de boues de station d’épuration. « Mon fils dispose de la licence de transport routier. Cette activité occupe environ deux emplois à temps plein toute l’année », constate Pascal. L’ETA apporte ses services aussi au conseil départemental, à l’ONF et à plusieurs communes pour des chantiers d’élagage, de débroussaillage, de fauchage et de nettoyage des prairies. L’entreprise déploie aussi son savoir-faire auprès des particuliers pour l’assainissement ainsi que pour le pressage de pommes au cœur de ce bassin fortement cidricole et où les pommiers font partie du paysage.
Les dirigeants de l’ETA ont toujours été attentifs au potentiel des nouvelles technologies, depuis le remplacement des attelages à piton par des attelages à boules et à l’arrivée des freins à air. Ces dernières années, les entrepreneurs ont généralisé l’utilisation des systèmes de téléguidage, le suivi des chantiers via les appareils Karnott… « Depuis douze ans, nous nous sommes investis dans le télégonflage. Je ne reviendrai pas en arrière, assure Pascal Suzanne. Dans nos secteurs qui sont parfois humides, cela nous offre une souplesse de travail et un bien meilleur respect des sols. Nous gagnons également en puissance de traction. Il reste cependant un point à améliorer du côté des pneumatiques qui ne sont pas encore totalement conçues pour travailler à basse pression ». Parmi les autres limites liées à l’évolution des matériels, Pascal pointe une complexification forte qui est responsable selon lui d’une nouvelle répartition du travail : « Quand j’ai démarré, le temps de préparation des chantiers représentait 30% d’un chantier. Aujourd’hui, nous sommes passés à 50%, mais une fois lancés, les attelages ont plus de débit à l’hectare ».
Le parc matériel :
Alexis Dufumier