Que d’encre coule sans cesse pour critiquer la Pac ! Pourtant, l’unique politique de l’Europe commune à tous ses Etats-membres n’a pas toujours été si décriée. Et, sous l’impulsion notamment du député européen Michel Dantin, elle pourrait retrouver ses attraits… Dès 2018 !
Et si l’omnibus faisait sortir du train-train quotidien ? On appelle ainsi « omnibus » l’ensemble des mesures rectificatives que l’on apporte au milieu d’une législature européenne. Il est donc courant qu’il y ait un volet agricole dedans, la Pac étant la seule politique commune à tous les Etats. Pour autant, dans la majorité des cas, il ne s’agit que de petites rectifications à la marge. Jusqu’à présent, une seule fois, en 2002, il y a eu un véritable « mid term review », une révision à mi-parcours.
Or, en 2018, il y aura à nouveau un bilan de santé de la Pac, acté ce mercredi 22 novembre en commission de l’Agriculture du Parlement européen.
S’il n’a échappé à personne des dysfonctionnements dans la Pac actuelle, on n’espérait pas de changements majeurs avant la fin de la législature. Or c’était sans compter sans le travail de trois députés européens, qui ont considéré que certaines mesures correctives ne pouvaient attendre encore plusieurs années, d’autant que la législature en cours pourrait se prolonger du fait du Brexit. Il fallait même faire d’autant plus vite que de nouvelles élections européennes ont lieu en 2019, avec obligatoirement es changements, des temps d’adaptation, et qui sait peut-être même l’envie de moins considérer l’agriculture.
Ces trois députés européens travaillent sur le sujet depuis un an et demi. Ils ont axés leurs travaux à partir de deux rapports parlementaires publiés par leurs consoeurs (du groupe PPE) l’Irlandaise Mairead McGuinness et la Française Angélique Delahaye. Ces trois députés, ce sont l’Italien socialiste Paolo De Castro, l’Allemand Albert Dess et le Français Michel Dantin, ces deux derniers du groupe PPE.
Leur rapport est en trois parties. Il s’agit, primo de renforcer l’organisation des producteurs et leurs positions sur la chaine d’approvisionnement alimentaire, deuxio d’améliorer les relations au sein de la chaine d’approvisionnement alimentaire (et d’organiser un juste retour de la valeur ajoutée de l’amont à l’aval avec la promotion du contrat écrit), et tertio enfin de clarifier les dérogations au droit à la concurrence lorsqu’elles sont demandées par des organisations agricoles.
Derrière la technicité de ces réflexions se cache en fait une Pac moins technocratique, plus humaine, répondant davantage aux aspirations légitimes des agriculteurs européens. Et surtout plus simple ! Un exemple. Le concept de la reconnaissance des organisations de producteurs existe déjà dans la Pac actuelle, et a ouvert une forme de dérogation au droit classique à la concurrence, lequel considère une telle pratique comme une entente. Pour autant, cette reconnaissance méritait pour le moins des éclaircissements dans la phase pratique.
Dans un communiqué, Michel Dantin explique la démarche : « L’accord sur la partie agricole du règlement Omnibus constitue un véritable bilan de santé de la Politique Agricole Commune. En obtenant l’accord du Conseil des ministres européens sur sa position, le Parlement européen opère un tour de force en imposant à la Commission et aux Etats membres un changement total de logiciel en ce qui concerne les relations au sein de la chaine d’approvisionnement alimentaire et la gestion des risques. »
Il précise également que cette action est concrète, directement applicable, parce que réfléchie et acceptée au niveau européen, et depuis de longs mois, contrairement à certains débats qui se sont déroulés dans le cadre des états généraux de l’alimentation, ne tenant compte que du contexte national, y compris lorsque le sujet dépend de l’Europe. « Alors que les états généraux ont abouti à la signature d’une « charte de bonne volonté », nous avons inscrit dans le marbre de la législation européenne un droit individuel au contrat écrit pour les agriculteurs. Nous avons également inscrit la possibilité pour les acteurs de la chaine, dont les interprofessions, de négocier a priori des clauses contractuelles de partage de la valeur ajoutée et de son évolution sur le marché pertinent mais également sur le marché des matières premières. En outre, nous obtenons une clarification de l’application du droit de la concurrence au secteur agricole avec le renforcement des pouvoirs des organisations de producteurs de nature économique qui pourront maintenant planifier la production et négocier les volumes et les prix en dérogation au droit de la concurrence. Cette position a été d’ailleurs validée a posteriori par la Cour de Justice dans le cadre du jugement « endive » ! Enfin, des pas importants ont été faits sur la question de la gestion des risques, puisque les outils de type assurantiels ou les fonds de mutualisation pourront être utilisés à partir de 20 % de pertes. »
Pour les lecteurs de WikiAgri, Michel Dantin commente en outre : « Cela fait un an et demi que nous travaillons sur ce sujet. Dans une certaine indifférence, mais avec des résultats concrets à l’arrivée. Les médias se sont plus attachés à autre chose. Alors que ce bilan de santé va changer réellement l’application de la Pac en cours.«
Pour résumer, il existe deux philosophies par rapport à la Pac.
Soit changer tout ; mais alors, les rares propositions alternatives ne prennent pas en compte toutes les difficultés, par exemple que le simple fait de sortir de la Pac apparait tout aussi compliqué que pour un pays de sortir de l’Europe, on voit tous les problèmes posés avec le Brexit. Et s’il existe une proposition européenne de changement, d’origine socialiste, portée par le député européen français Eric Andrieu, c’est en restant dans le cadre de la Pac mais en la modifiant, au gré de ses partenaires politiques (le document, réellement intéressant par endroits, semble toutefois souffrir d’origines trop variées).
Soit rendre l’existant bien plus efficace qu’il n’est. Quelque part, renforcer la Pac… Pour ne pas dire la sauver quand on sait qu’il existe un courant de pensée européen relativement fort pour en baisser le budget. Or notre crise agricole, en France, a démontré que nos agriculteurs sont très majoritairement tributaires des aides. Que l’on trouve cela « normal » ou non, c’est une vérité.
Créée à l’origine dans l’objectif d’assurer aux citoyens-consommateurs européens des prix raisonnables, la Pac a pour vocation de compenser le manque à gagner des producteurs. Au fil du temps, ce système, décrié par certains dès son commencement (son histoire syndicale a vu naître la Coordination Rurale en même temps que la Pac), a pourtant d’abord montré qu’il avait de solides raisons d’exister. Malheureusement, au fil du temps, clairement, des failles sont apparues…
Michel Dantin fait donc partie de ces hommes qui croient en une Pac forte, mais qui n’en est pas moins lucide quant aux limites de celle qui est appliquée aujourd’hui. Il travaille d’arrache-pied à en corriger les imperfections, dans la limite de ses responsabilités : membre du parti majoritaire au Parlement européen (le PPE), membre de la commission agriculture et développement rural au Parlement européen… Et au-delà, considéré comme l’un de nos plus grands spécialistes de l’agriculture dans le contexte européen. Lors de la campagne de la dernière élection présidentielle, il avait activement participé à l’écriture du programme agricole du candidat François Fillon. L’homme est respecté, parce qu’il honore son mandat de réelles convictions (qu’on les partage ou non, je sais que ses adversaires respectent son engagement), et d’un travail dont l’essence est tirée de très nombreuses discussions sur le terrain ou à la faveur de rencontres sur les salons agricoles, tant avec des « agriculteurs de base » qu’avec des « gros pontes » de l’agroalimentaire. D’un naturel discret, préférant les apartés aux grandes déclarations (sans pour autant refuser de répondre, bien au contraire), il parvient ainsi à travailler plus sereinement, et certainement plus efficacement que beaucoup.
Faudra-t-il, à l’avenir, revoir complètement le fonctionnement de la Pac ? Cela reste possible voire vraisemblable pour les uns, franchement souhaitable pour les autres. D’ailleurs Michel Dantin consent qu’il n’a pas pu, avec ses collègues, tout modifier comme il l’espérait : « Il manque un véritable renouvellement des outils de gestion de crise, et je mènerai ce combat dans le cadre de la préparation de la prochaine Politique Agricole Commune avec la mise en place d’une réelle réserve pluriannuelle de crise.«
Mais en attendant, sans être parfaite et en restant critiquable, la Pac qui existe retrouve de sa cohérence. L’application des nouvelles mesures est prévue dès le premier semestre 2018. Les agriculteurs européens, et notamment français, ne peuvent que s’en féliciter.
Ci-dessous, Michel Dantin (lors du dernier salon de l’agriculture).
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Bonjour,
« (et d’organiser un juste retour de la valeur ajoutée de l’amont à l’aval avec la promotion du contrat écrit), »
Je pensais que l’amont c’étaient les producteurs et l’aval la distribution
Retourner de la valeur ajoutée des producteurs vers la distribution me semble déjà largement excessif !