Face à une forte problématique de qualité des eaux, comment une exploitation peut-elle associer rentabilité économique et performances environnementales, tout en conservant des cultures représentatives des exploitations régionales ? Le lycée agricole de La Saussaye, au cœur de la Beauce chartraine, peut apporter une partie de la réponse.
Son exploitation est engagée depuis une dizaine d’années pour faire évoluer le système de production, à travers des essais qui impressionnent par leur précision. L’expérimentation est quasiment devenue sa raison d’être. Grâce à la diffusion de références, l’EPLEFPA de Chartres La Saussaye a été propulsé au top des acteurs agricoles du territoire, en termes de développement de pratiques agricoles plus durables. Dans un contexte où la concentration en nitrates des eaux souterraines est trop élevée (le captage d’eau potable de Chartres métropole situé sur le site de l’établissement a des pics de concentration en nitrates supérieure à 50 mg/L), et où l’enjeu phytosanitaire est essentiel, le chef d’exploitation entre 2007 et 2013, Thomas Renaudin, n’a pas attendu le plan Ecophyto pour agir.
Après 2005, année où l’exploitation obtient la certification « agriculture raisonnée », les modifications du système de culture se succèdent : les cultures sont diversifiées, la rotation est allongée, passant de 3 à 5 cultures. L’engagement dans l’action 16 du plan Ecophyto en 2009 permet à la ferme de recevoir un appui financier et technique aux expérimentations, mais aussi à la valorisation pédagogique, auprès des apprenants, de ces dernières.
Morgane Grimaud, chef de projet sur l’exploitation, explique comment s’organisent les expérimentations. « Des essais en parcelles de 3 bandes de 1 ha ont été mis en place, chaque bande testant une des modalités de réduction des produits phytosanitaires et fertilisants (Ndlr : rappelons, au passage, qu’Ecophyto vise, plus loin que la seule réduction de l’usage de produits phytosanitaires, en mettant plus d’agronomie dans la réflexion). Dans tous les cas, la rotation dure 5 ans et voit se succéder trois cultures d’hiver et deux cultures de printemps : blé dur, colza, blé tendre, orge de printemps et pois de printemps. Les 3 systèmes sont testés sur 5 parcelles ; ainsi, tous les ans, chacune des cultures est observable.«
Ce système est le « témoin » de l’essai. Les interventions son faites en fonction des conseils que la Chambre d’agriculture d’Eure-et-Loir donne à ses adhérents. La gestion des adventices est permise par la diversité des cultures de la rotation, 1 ou 2 déchaumages en interculture et un labour d’hiver avant les cultures de printemps. La stratégie de désherbage est chimique, la fertilisation est raisonnée à partir d’une mesure du reliquat sortie d’hiver, sur les conseils de la Chambre (Azofert).
L’objectif est plus amitieux : il s’agit de réduire les consommations d’azote et de produits phytosanitaires tout en maintenant la rentabilité. « Cette fois, les leviers agronomiques mobilisés sont le mélange de variétés en blé tendre, une diminution de 20 % de l’apport d’azote pour limiter l’utilisation de régulateurs sur céréales, une diminution de la densité de semis de 7 % pour le blé dur et 10 % pour le colza, et un retard de date de semis pour le blé tendre« , explique Morgane Grimaud.
Pour cet essai, l’idée est de tester la faisabilité d’une réduction plus importante en herbicides par l’introduction du désherbage mécanique sur toutes les cultures. Une bineuse 6 rangs (3 mètres, avec écartement de 50 cm pour le colza), une herse étrille (6 mètres) et une houe rotative (8 mètres) sont utilisés. D’autres leviers agronomiques sont mobilisés : date de semis retardée en blé tendre, densité de semis augmentée pour les céréales et le pois (pertes de pieds liées au désherbage mécanique en plein), réduction des apports d’azote. Des herbicides sont appliqués en rattrapage si nécessaire.
En moyenne sur les cinq premières d’expérimentation, les systèmes raisonné et intégré obtiennent sensiblement la même marge brute (respectivement 1017€/ha et 1022€/ha) alors que les IFT (indices de fréquence des traitements) ont diminué par rapport à la référence cantonale MAE, pour le système intégré : moins 24 % pour l’IFT herbicides et moins 58 % pour l’IFT hors herbicides. La marge brute du système en mécanique est légèrement plus basse (1002 €/ha), mais ce système permet de réduire l’IFT de 41% par rapport à la référence cantonale MAE. L’expérimentation a toutefois montré que le temps de travail était inversement proportionnel à l’IFT.
Enfin, à l’échelle de l’exploitation, on observe une réduction du recours à l’azote minéral de 28 % au cours des quatre dernières années.
Les systèmes de culture présentés sont novateurs. « Les agriculteurs de la région sont très attachés à leur conduite conventionnelle, explique Morgane Grimaud. Il y a peu d’agriculteurs sensibles à cette thématique et encore moins qui se risquent à changer leurs pratiques. C’est pourquoi nous travaillons aujourd’hui à montrer que ces conduites raisonnées et intégrées existent et qu’elles sont cohérentes… Malheureusement leur technicité fait peur !«
La diffusion se fait aux agriculteurs d’aujourd’hui, par l’intermédiaire de réunions et tours de plaine organisés avec la Chambre d’agriculture, mais aussi aux professionnels agricoles de demain, et c’est là que le statut particulier de l’exploitation de La Saussaye entre en jeu. Par sa mission de formation, le lycée enseigne à ses élèves le raisonnement des systèmes de production afin de répondre aux exigences économiques et environnementales. L’organisation spatiale des essais (en bande) permet de faciliter l’observation des parcelles. Les données technico-économiques obtenues sont utilisées par les professeurs d’économie ; derrière, l’enseignant d’agronomie peut ainsi montrer comment les différents leviers utilisés dans sa discipline permettent de maintenir voire d’améliorer les performances économiques de l’exploitation. « La prochaine étape est de faire participer les élèves à l’évolution de notre système de culture« , conclut Morgane Grimaud.
Pour la nouvelle campagne, l’exploitation est lancée dans un allongement de la rotation qui compte cette fois sept cultures : blé tendre, pois, blé améliorant, colza, blé dur, orge de printemps, lin de printemps. Le lin et le blé améliorant (à teneur en protéines plus élevée pour la panification) répondent à une évolution de la demande du marché.