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Ecotaxe, le ras le bol fiscal, c’est maintenant !

Les événements récents en Bretagne autour de l’instauration d’une écotaxe au 1er janvier 2014 montrent que le ras le bol fiscal est bel et bien devenu une réalité en France qui dépasse le cas strictement breton.

Les manifestations d’opposition à l’écotaxe qui se sont déroulées en Bretagne sont l’expression évidente d’un « ras le bol fiscal », selon l’expression désormais célèbre du ministre de l’Economie Pierre Moscovici, avec ce que les manifestants arborant les bonnets rouges, symboles de la révolte paysanne des Bretons du XVIIe siècle contre l’Etat central, ont qualifié d’« impôt de trop ».

Est-ce une question spécifiquement bretonne ou bien le détonateur d’une révolte des contribuables français qui couve depuis quelques temps ? Il est évident que la situation économique actuelle en Bretagne a joué un rôle de déclencheur puisque ce projet d’écotaxe s’inscrit dans un contexte de crise profonde des secteurs agricole et agro-alimentaire qui représentent un tiers des emplois bretons et dont témoignent les récentes difficultés des abattoirs Gad, des volaillers de Doux et de Tilly-Sabco ou des filiales bretonnes de Marine Harvest, groupe norvégien spécialisé dans le saumon. Néanmoins, la volonté du gouvernement de suspendre l’application de l’écotaxe, qui était initialement prévue le 1er janvier 2014, tend à montrer qu’il avait certainement peur d’une contagion du mouvement à d’autres régions, comme des informations de la sous-direction de l’information générale de Rennes divulguées dans Le Figaro le laissait entendre et plus largement d’un rejet massif de sa politique, comme les records d’impopularité de l’exécutif dans les enquêtes d’opinion semblent en attester, ainsi que son revirement quelques jours plus tôt sur la taxation des produits d’épargne.

Ce « ras le bol fiscal » exprimé par les Bretons conduit à trois types de réflexions. La première réflexion que ces événements inspirent est que François Hollande et le gouvernement ont sans aucun doute commis trois péchés originels, même si, d’un point de vue politique, ils pouvaient sans doute difficilement faire autrement, et qu’ils le payent actuellement à travers cette affaire de l’écotaxe. Le premier péché a été d’avoir sous-estimé la gravité de la crise, notamment durant la campagne électorale. On se souvient notamment à ce propos du dossier consacré à la France en mars-avril 2012 dans le magazine anglais The Economist. Celui-ci reprochait alors aux principaux candidats d’ignorer la réalité économique en parlant d’un véritable « déni français » à ce propos. Or, en procédant ainsi, la légitimité d’une politique d’austérité qui ne dit pas vraiment son nom, puisque le gouvernement parle plutôt de « sérieux budgétaire », apparaît de fait moins légitime aux yeux des Français. En même temps, on le sait, il est quasiment impossible d’être élu en France si l’on annonce la couleur à l’avance, comme a pu le faire par exemple en 2012 quelqu’un comme François Bayrou. Le second péché originel a été de choisir, pour le rétablissement des finances publiques, d’augmenter les recettes, et donc les impôts, plutôt que de baisser les dépenses. Certes, aucun gouvernement précédent n’avait cherché à faire baisser les dépenses publiques, alors que celles-ci figurent pourtant parmi les dépenses les plus élevées au sein de l’Union européenne en pourcentage du PIB. En outre, François Hollande et la gauche ont dû se dire qu’en abaissant les dépenses publiques, cela pouvait déclencher une multiplication des contestations de la part de celles et de ceux qui verraient leurs moyens se réduire, et notamment les catégories qui sont des clientèles traditionnelles de la gauche, à savoir les salariés de la fonction publique. L’annonce, au début de la campagne de François Hollande, de l’embauche de 60 000 personnes supplémentaires dans l’Education nationale était par conséquent un signe clair de ce point de vue. Enfin, le troisième péché originel pour le gouvernement a été de faire croire que l’augmentation de la fiscalité ne serait supportée que par les plus riches, en mettant en particulier l’accent sur la fameuse taxe à 75 % pour les hauts revenus. Or, à l’évidence, cela n’a pas été le cas. C’est cette accumulation d’incohérences que François Hollande et le gouvernement paient aujourd’hui à travers ces manifestations de « ras le bol fiscal », dont le spectaculaire rejet de l’écotaxe en Bretagne a été le signe le plus tangible.

Un triangle d’incompatibilité

Cet épisode démontre également que le gouvernement est soumis à ce que l’on pourrait appeler un « triangle d’incompatibilité ». Il fait face, en effet, à trois types de contraintes qui sont largement incompatibles et qu’il cherche pourtant tant bien que mal à respecter. La première contrainte, ou le premier « sommet » du triangle, est de nature économique. C’est la contrainte du rétablissement de l’équilibre des finances publiques (déficit des administrations publiques et endettement public), notamment imposée par les engagements européens de la France et les investisseurs internationaux, mais aussi celle de la compétitivité économique. Dans le langage hollandiste, c’est le « sérieux budgétaire » et le « socialisme de l’offre ». En même temps, le gouvernement se trouve aussi soumis, y compris dans son propre rang, à une pression en faveur d’une « autre politique », qui fait largement fi de ces contraintes, pression également exercée par l’aile gauche du PS, le Front de gauche et une large partie d’Europe écologie Les Verts. La seconde contrainte est celle de l’opinion. Elle consiste à répondre autant que possible aux préoccupations de l’opinion sur le chômage, le pouvoir d’achat, la sécurité, l’immigration et donc de plus en plus sur la fiscalité, comme les enquêtes semblent le prouver ces dernières semaines. L’engagement de voir la courbe du chômage se retourner d’ici la fin de l’année et la politique de « fermeté » de Manuel Valls en matière de sécurité sont parmi les principales réponses apportées par le gouvernement à ces préoccupations. Enfin, la troisième contrainte est de nature politique et électoraliste. Elle se traduit par le souhait d’établir des compromis entre différents courants de gauche – pratique typique de François Hollande à la tête du PS et de Jean-Marc Ayrault lorsqu’il dirigeait le groupe socialiste à l’Assemblée nationale – et d’envoyer des signaux en direction des clientèles traditionnelles de la gauche et, au-delà, vers ce que l’on pourrait appeler une « gauche culturelle », c’est-à-dire celles et ceux qui ont une sensibilité de gauche, par exemple, dans le monde associatif et les médias.

Or, il est évident que, sur un certain nombre de thèmes, ces trois contraintes ne sont pas compatibles. C’est le cas de façon caricaturale avec l’écotaxe, même si celle-ci a été votée durant la présidence Sarkozy à la fois par l’UMP et le PS. En effet, elle constitue un impôt supplémentaire et donc une rentrée fiscale nouvelle dans l’objectif de réduire le déficit public de sorte à répondre à la contrainte économique. Elle est également un signal envoyé aux écologistes, qui ont dû avaler pas mal de couleuvres jusqu’à présent en participant au gouvernement, et plus largement à toutes celles et tous ceux à gauche qui ont une sensibilité écologiste. Mais il est évident qu’elle se heurte à la troisième contrainte, qui est celle d’une opinion de plus en plus travaillée par le « ras-le-bol fiscal ». En clair, tenter de prendre en compte les trois contraintes a été une gageure pour le gouvernement. Dans un premier temps, les contraintes économiques et politiques l’ont donc emporté, avant que la contrainte d’opinion finisse par prendre le dessus suite aux manifestations bretonnes et amener Jean-Marc Ayrault à suspendre l’application de l’écotaxe, tout en ne la supprimant pas totalement afin de respecter tout de même quelque peu la contrainte politique (et donc de ne pas trop décevoir les écologistes).

De l’importance politique de la question fiscale

La dernière réflexion qu’inspirent les événements bretons est que, de façon un peu paradoxale, la question de la fiscalité n’était jusqu’à présent pas nécessairement un enjeu politique central en France, mais qu’elle est à coup sûr en train de le devenir. En effet, si l’on excepte le Rassemblement des contribuables français (RCF) dirigé par le très controversé Nicolas Miguet, il n’existe pas en tant que tel de parti des contribuables. Les frondes fiscales sont aussi souvent vite disqualifiées en étant « taxées », sans faire de jeu de mot, de jacqueries locales, comme dans le cas breton actuel, ou alors de mouvement populiste, à l’instar du mouvement antifiscal de commerçants et d’artisans, l’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA), dirigé par Pierre Poujade dans les années 1950. Or, on a pu voir dans d’autres pays l’apparition de mouvements de révolte de contribuables qui se sont exprimés électoralement par la voix de partis politiques de défense des contribuables. Cela a été le cas en particulier en Scandinavie, dans des pays où la fiscalité et les dépenses publiques sont très élevées, mais aussi aux Etats-Unis à la fin des années 1970 avec le mouvement des contribuables qui ont adopté par référendum en Californie la fameuse proposition 13. Cette proposition, qui s’intitulait « Initiative du peuple pour limiter la taxation de la propriété », a amendé la Constitution californienne en limitant fortement la ponction fiscale que l’Etat pouvait exercer avec une réduction de la taxation foncière. Cette sorte de révolte pacifique de contribuables annonçait la révolution conservatrice de Ronald Reagan et le rejet de plus en plus massif aux Etats-Unis d’un Etat interventionniste et dépensier et d’une fiscalité élevée. D’un certain point de vue, le mouvement des Tea Party aux Etats-Unis est aussi en partie un mouvement de contribuables.

Sommes-nous dans un tel cas de figure en France ? Il est sans doute encore top tôt pour le dire. Cependant, il est évident que la question de la fiscalité sera centrale dans les prochaines échéances électorales, à commencer par les élections municipales et européennes de 2014 où le « ras-le-bol fiscal » risque de se transformer en « ras-le-bol électoral ». La sanction électorale risque donc d’être très lourde pour le gouvernement, notamment dans une Bretagne, qui est pourtant un bastion de la gauche depuis plusieurs décennies.

En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/seule-la-fin-de-lecotaxe-arretera-les-bonnets-rouges/800, www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/10/28/01016-20131028ARTFIG00526-fronde-bretonne-les-rg-prevoient-des-actions-tres-dures.php (information du Figaro sur le risque de contagion du mouvement de contestation breton), www.economist.com/node/21551478 (dossier de The Economist consacré à la France).

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