chevrerie

Demain, je ne serai plus éleveur

Le choix de s’arrêter, la fierté que l’on doit mettre de côté… Demain, je ne serai plus éleveur. Une autre facette du métier que j’ai souhaité vous expliquer ici.

Je me présente, Sébastien Besson, 37 ans, passionné depuis mon plus jeune âge par l’élevage. Mon parcours dans l’agriculture débute avec ma formation agricole à la maison familiale rurale des Dronières à Cruseilles, en Haute-Savoie. Bepa puis Beta en alternance, pour obtenir « les aides » de l’Etat Français. Je découvrirais par la suite  à quel point ces « aides »  sont mesquines et culpabilisantes. Et surtout, quelles allaient m’asservir au système pour 10 ans au minimum…

En 1997 débute mon parcours à l’installation… pour se mettre dans le bain ! Commencent alors les tentatives de découragements des représentants locaux de notre syndicat majoritaire, qui jugeaient que l’installation d’un jeune dans un secteur de fortes pressions agricoles était inutile…

« Quotas qui se monnayaient en liquide,
sans témoin… »

Je m’installe alors sur la ferme de mes grands-parents, qui avaient cessé leur activité 18 ans plus tôt, ainsi que sur la terre de cousins qui, à 74 et 75 ans, cessaient leur activité. La ferme de mes cousins me permet d’acquérir les 60 000 litres de quotas minimum tant convoités… Quotas qui à l’époque se monnayaient en liquide, sans témoin, avec le consentement de la profession et des collègues.

En effet cela permettait de trier les « gros et les petits », « les riches et les pauvres »… N’étant ni « gros ni riche » j’achetais le cheptel laitier de mes cousins 10 fois sa valeur réelle, grâce à des prêts généreux de l’Etat à 2 % … Cool !

Le 1er avril 1999, en signant ces prêts, je devenais officiellement « fonctionnaire » de l’Etat Français, et l’ouvrier du Crédit mutuel.

S’enchaine à partir de là une multitude d’épreuves et de difficultés, comme tout à chacun, qui feront de mon parcours dans l’agriculture, un calvaire…

Voici quelques uns des faits marquants qui font qu’aujourd’hui mon rêve s’est transformé en une terrible désillusion :

– 4 jours après mon installation, 20 cm de neige et aucun stock de fourrage entrainent sur mes vaches laitières, qui n’étaient pas vaccinées par les anciens proprietaires, une terrible épidémie de pneumonie. De 400 litres de lait par jour, les 4 premiers jours, je suis passé à 50 litres au fond du tank… Les 400 litres,  je les produirai à nouveau, mais seulement 8 mois apres mon installation.

– Le bâtiment des grands-parents, plus que centenaire tombant en ruine, je le rénove avec les moyens du bord… Coupe de sapins, sciage, et autoconstruction totale… Mais ces travaux réalisés sur deux ans seront inutiles… En effet, en 2001, un glissement de terrain détruit la totalité du bâtiment. Ce glissement de terrain aura pour effet d’interdire toute reconstruction en dur, et toutes possibilités de remettre l’eau et l’électricité sur l’exploitation (zone rouge).

– En 2003, un incendie détruit à nouveau le bâtiment que j’occupais en location.

– 2004, je décide de reconstruire deux tunnels pour continuer, malgré tout, ma passion, mon métier, sur les terres de mes ancêtres. S’en suivra alors des années de galères à transporter de l’eau dans des citernes pour abreuver des bêtes malgré le gel l’hiver, le bourbier l’été… L’électricité étant toujours produite par un groupe électrogène (souvent en panne !).

– 2013, les finances étant toujours au plus bas, je décide une reconversion en élevage caprins et production fromagère en vente directe.

– 2014, fin du remboursement de mes prêts, et enfin je gagne de l’argent !

« mon sentiment le plus fort a été celui
de l’abandon de nos instances dirigeantes »

Durant toutes ces années, mon sentiment le plus fort a été celui de l’abandon de nos instances dirigeantes… En effet, lors du glissement de terrain et devant les médias nationaux, les responsables de la Chambre d’agriculture de la Haute-Savoie ainsi que les responsables de la FDSEA me feront de belles promesses… Promesses de leur soutien dans la poursuite de mon activité… La seule nouvelle de ces gens-là durant les années suivantes sera une facture de 3000 euros pour les conseils avisés mais néanmoins inutiles de leur majestueux technicien en bâtiment…

Il est évident que, durant toutes ces années, mes erreurs, mes lacunes, mes faiblesses en élevage, en gestion, ont contribué aussi aux  dégâts sur mon exploitation. Sortant d’une école où on nous apprend le métier dans des livres, j’ai dû redescendre de mon piédestal pour apprendre le métier et la vie au cul de mes vaches.

« … la solution la plus simple (…)
mettre une corde au plafond… »

Dans l’hiver 2014  n’arrivant plus à faire face a cette paperasserie envahissante, trouvant injuste de faire mes 35 heures à l’extérieur pour payer des charges sans cesse grandissantes, je décide d’arrêter mon exploitation… Durant toutes ces années, cette idée d’arrêter ne m’a jamais quitté, mais qu’allaient dire les voisins, les collègues, la famille? Allaient-ils me considérer comme un lâche, comme un fainéant, comme un incapable… Bref mon choix se porte alors sur la solution la plus simple à mes yeux… Mettre une corde au plafond de mon tunnel et fuir la réalité…

Mais la chance m’a enfin souri, et un ami me parle et arrive à me faire réfléchir sur la situation ; je décide dès lors de prendre ma vie en main et de me battre, non pas pour boucler comme je peux les fins de mois ni pour pallier les problèmes quotidiens sur l’exploitation. Mais de tout poser à plat et d’envisager d’autres solutions que celles qui s’offraient à moi…

La providence d’une rencontre virtuelle met sur mon chemin celle qui me permettra d’enlever ces oeillères qui m’ont enterré dans cette voie sans issue, je décide donc enfin de cesser mon activité et de quitter ces terres ancestrales pour vivre. Cette rencontre virtuelle, devenue réelle, me permet aujourd’hui d’envisager une reconversion certainement agricole, plus épanouissante et moins usante moralement.

« le courage d’en parler
avant de commettre l’irréparable »

En résumé, les principales raisons qui ont failli causer ma perte sont intraprofessionnelles. Les voisins, les instances, ont été mes pires ennemis durant ces années. La solitude et le manque d’assistance ont été des facteurs négatifs, mais qui m’ont motivé pour sortir la tête de l’eau…

Aujourd’hui, si je prends la parole ici, ce n’est pas par fierté ni par besoin de reconnaissance, encore moins de pitié, j’ai pour ma part toujours assumé ma vie et mes choix… Je vous parle simplement ici pour que ce sujet ne soit plus un tabou, pour que les agriculteurs puissent parler de leurs problèmes sans être jugés ni montrés du doigt… Pour que ceux qui sont dans un cas similaire au mien puissent trouver la force et le courage d’en parler avant de commettre l’irréparable…

 

La photo ci-dessous a été prise par Sébastien Besson, du temps où il était éleveur…

3 Commentaire(s)

  1. Félicitation pour ce témoignage et ton courage d’aborder le sujet.
    Il ni a malheureusement rien à rajouter, la solidarité paysanne a été abordé, les instances agricole, les banques, se sont d’ailleurs les même que l’on y retrouve. L’image de la belle agriculture est un peu ternie mais elle va vite s’en remettre
    Bon courage pour cette nouvelle vie, et encore merci d’avoir oser.

  2. Bravo pour la prise de conscience puis pour ce choix difficile à concrétiser…Et si de nombreux agriculteurs devaient en arriver là pour retrouver une vie un peu plus « normale », voir plus sereine. Ce métier sous payé restera-t-il vivable et durable notamment dans les productions contraignantes d’élevage ???

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