coq de peche 7bis

Coqs de pêche limousins, des plumes qui font mouche

Quand les agriculteurs rendent service aux pêcheurs. En Corrèze, on élève des coqs… pour la pêche ! Avec leurs plumes grises et dorées, les pêcheurs réalisent des mouches particulièrement efficaces pour la pêche à la truite. Un concours national récompense les plus beaux coqs de pêche chaque année à Neuvic.

C’est une tradition limousine ancestrale, pas si insolite que cela. Tout l’hiver, les pêcheurs préparent leurs mouches avec des plumes de coqs. Au fil du temps, les meilleurs coqs fermiers ont été sélectionnés pour la qualité de leurs plumes, si bien que l’on parle de « coqs de pêche du Limousin ». Elevés en semi-plein air, ces gallinacés déclinent une incroyable palette de gris, relevés par des touches dorées. « En fait, c’est plutôt des pointillés de différents gris, du cendré au rouillé. Ces motifs sont uniques au monde et ils imitent parfaitement les nervures des insectes », s’émerveille l’éleveur Laurent Val installé près de Naves (en Corrèze).

Ces coqs élégants pèsent moins de trois kilos, enveloppés d’une masse exubérance de plumes souples, brillantes et solides. On prête à cette race rustique une origine espagnole, du fait de sa ressemblance avec le coq indio. Cela semble cohérent, car la région est traversée par une route de Saint-Jacques de Composelle. Mais le caractère sanguin des coqs limousins fait plutôt songer à des coqs de combat… Côté génétique, les standards n’ont jamais été formellement établis mais les caractéristiques des coqs limousins sont avant tout liées au terroir, comme la brillance et les couleurs : « L’amplitude thermique détermine la production de duvet et de plumes. La nature du sol compte énormément aussi, le granite corrézien apporte des minéraux essentiels qui donnent la brillance. Les coqs élevés sur des terres argileuses sont bien plus ternes », constate Gilles Brochet, juge du concours des coqs de pêche de Neuvic et champion du monde de montage de mouche en 1978. « Certains disent aussi que la radioactivité naturelle du sol corrézien stimulerait le système endocrinien des coqs, et donc la poussée des plumes. Mais je crois plus à l’influence du climat », ajoute Laurent Val.

Quelle plume pour quelle mouche ?

Autre particularité : le coq limousin est le seul que l’on plume vivant, deux à trois fois par an. Avec l’âge, la plume gagne en raideur. « Nos coqs changent de couleur au fil des saisons. Du coup, les pêcheurs choisissent la teinte la plus proche des insectes qu’ils observent », explique Gilles Brochet. Les plumes limousines ont des qualités sportives irréprochables : flottabilité, mimétisme avec les insectes, brillance, robustesse, élasticité, transparence… Chaque plume est destinée à un montage de mouche particulier : les hackles (plumes du cou) donnent un maximum de flottabilité aux mouches sèches, les pelles de cape (plumes rondes du dos) conviennent pour les mouches noyées, les pelles d’ailes sont idéales pour réaliser les abdomens et les lancettes (longues plumes du flanc) sont réservées aux leurres de grande taille.

« Cependant, les insectes de rivière deviennent de plus en plus petits et les poissons détectent depuis longtemps les leurres trop grossiers. Les mouches doivent donc être miniaturisées et de couleurs particulièrement attirantes », souligne Laurent Val.

Neuvic, berceau du coq de pêche

Chaque premier mai à Neuvic, la foire-concours des coqs de pêche distingue les plus beaux spécimens. En moyenne, 200 animaux sont présentés, provenant de toute la France. Le lycée agricole Henri Queuille de Neuvic élève également des coqs de pêche limousins sous les conseils de Gilles Brochet. « Il y a douze ans, chaque lycée a développé un programme de sauvegarde des races anciennes ou des petites races en développement. Avec l’Inra et le comité des coqs de pêche de Neuvic, le lycée de Neuvic a réuni 70 coqs de la région, représentant les souches les plus anciennes », explique Serge Touzanne, responsable de l’exploitation pédagogique du lycée. Le but était de définir un standard, avec un travail de sélection et d’identification généalogique. « Suite à la concurrence des coqs américains, espagnols et des mouches synthétiques, on a réduit les effectifs. Mais on conserve cet élevage car le coq de pêche est un emblème de la région », poursuit Serge Touzanne.

« Mais je trouve que leur standard s’est plus attaché à la morphologie qu’à la qualité de la plume », regrette l’éleveur Bruno Boulard (Forges, en Corrèze) qui remporte régulièrement le concours. En tout cas, les lycéens ont mordu à l’hameçon, fréquentant assidument le club de pêche à la mouche.

Deux professionnels et beaucoup d’amateurs

Difficile de vivre de cette activité, qui constitue pour autant un joli complément de revenu. Les éleveurs vendent les plumes en vrac ou des leurres. Les plus belles plumes valent plus d’un euro. Avec un seul coq, on peut réaliser jusqu’à 1000 mouches chaque année. Seuls deux éleveurs corréziens sont professionnels, dont Bruno Boulard : « J’ai 80 coqs de pêche limousins que j’élève dans des volières de 4 mètres carrés, avec une niche pour les intempéries. Je les nourris à 70 % au blé, à 20 % au maïs, et à 10 % avec des compléments granulés. Ces minéraux apportent encore un peu plus de brillance. Sur cent poussins, je n’en garde que dix, et il faut attendre deux ans pour savoir si c’est un bon coq de pêche. »

L’éleveur vend essentiellement sur internet mais il avoue que les affaires marchent moins bien : « Depuis la crise, mon chiffre d’affaires est passé de 25 000 à 10 000 euros, donc je me suis lancé dans l’élevage de brebis… Mais certains clients se déplacent encore pour acheter des plumes de qualité et pêcher dans la région. » De même, la maison Guy Plas d’Argentat vit surtout des voyages qu’elle organise autour de la pêche.

Tous les autres éleveurs font des mouches pour le plaisir, comme Laurent Val, ancien conseiller de la chambre d’agriculture et aujourd’hui maçon : « Pour moi, c’est une passion. J’élève des coqs de pêche depuis l’âge de huit ans. Aujourd’hui, j’ai 150 coqs en semi-plein air dont 50 % de race limousine. En 1984, je me suis présenté au concours de Neuvic et depuis, je me passionne pour la génétique. Sur 400 poussins, je garde seulement trois ou quatre coqs pour la reproduction. Avec le spécialiste de la pêche à la mouche Charles Gaidy et l’Inra, nous voulions corriger les défauts des coqs du Limousin. En effet, leurs plumes n’ont pas toujours une régularité et une géométrie parfaites. Aussi, on a utilisé des coqs asiatiques pour affiner la plume sans perdre la couleur et la brillance naturelle des coqs limousins. J’ai aussi des coqs espagnols pardo pour améliorer la pigmentation des plumes. Le coq limousin doit s’adapter à l’évolution de la pêche pour avoir une valeur économique. Ma génétique est utilisée par de nombreux éleveurs, ce qui me permet juste de rentabiliser mon élevage. » Ses coqs sont régulièrement primés lors du concours de Neuvic. En 2014, quatre de ses six jeunes coqs présentés ont fini dans les cinq premiers.

Mais Laurent Val voit bien plus loin, rêvant que le coq de pêche limousin devienne un outil de développement du territoire : « On réfléchit à promouvoir le tourisme autour des rivières et du coq de pêche. Même si le nombre de coqs diminue chaque année, la demande est importante et la qualité des plumes et toujours meilleure. En parallèle, on essaie de quantifier les aspects économiques : cet élevage de diversification pourrait aider à l’installation d’agriculteur. Elle peut aussi être couplée avec un gite de pêche… Ce type de prestation manque dans la région. »

 

En savoir plus : http://www.sanama.fr (salon international de la mouche artificielle, 21 et 22 février 2015 à Saint-Etienne) ; http://www.moucheguyplas.com (commerçant de mouches et autres accessoires de pêche) ; http://jeanpierre.labarre.pagesperso-orange.fr/page-4.html (autres infos sur les coqs de pêche).

 

Article Précédent
Article Suivant