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Chine, du culte du petit livre rouge à celui de la viande rouge

Un accord commercial signé en novembre par la Roumanie avec la Chine prévoit une livraison très importante de viande roumaine à l’Empire du milieu. Il est le reflet d’une soif quasi insatiable de viande de la part de la population chinoise qui devrait se poursuivre dans les années à venir.

Fin novembre, la Chine et la Roumanie ont signé un accord commercial au terme duquel les Roumains s’engagent à livrer à l’Empire du milieu pendant plusieurs années 500 000 bovins et 3 millions de porcs. Cet accord peut être considéré comme anecdotique, mais c’est loin d’être le cas.

On observe, en effet, en Chine depuis plusieurs décennies maintenant une profonde modification du régime alimentaire de la population. A l’époque où le petit livre rouge de Mao était diffusé à plusieurs millions d’exemplaires, c’est-à-dire avant l’ouverture économique opérée par le régime à la fin des années 1970, les Chinois se nourrissaient principalement de féculents (de riz en premier lieu bien entendu) de légumes et de très peu de viande. Tout ceci a bien changé. Dans un rapport publié en 2009, la FAO indiquait qu’entre 1980 et 2005, la consommation de viande par habitant en Chine avait plus que quadruplé, celle d’œufs avait été multipliée par 8 et celle de lait, par 10. La Chine est d’ailleurs devenue le premier pays consommateur de viande dans le monde à partir de 1992, dépassant ainsi les Etats-Unis. Selon la FAO, elle totalise désormais près de 30 % de la consommation mondiale, soit une part quasiment deux fois supérieure à à celle de l’Union européenne et plus de deux fois supérieure à celle des Etats-Unis. Des données publiées en 2013 par l’Earth Policy Institute indiquaient, en effet, que les Chinois mangeaient deux fois plus de viande en volume, et non par habitant, que les Américains.

Une consommation de viande qui explose

Cette consommation a littéralement explosé puisqu’elle est passée de 8 millions de tonnes en 1978 à 71 millions de tonnes en 2012. La viande porcine reste la plus consommée en Chine puisqu’elle représente près de trois-quarts de la viande consommée et alors même que la moitié des porcs dans le monde se trouvent en Chine. Néanmoins, la consommation de viande bovine se développe rapidement et celle-ci devrait se poursuivre dans les prochaines décennies. Un rapport de Rabobank Food & Agribusiness Research Advisory Group estime que la consommation par habitant de viande bovine en Chine pourrait ainsi progresser de 24 % dans la décennie à venir.

Cette croissance de la consommation de viande n’est pas un phénomène spécifiquement chinois. C’est une évolution qui est perceptible dans un grand nombre de pays en développement, tout particulièrement en Asie de l’Est. Ainsi, selon la FAO, du début des années 1960 jusqu’au milieu des années 2000, la consommation de lait par habitant dans les PED a quasiment doublé, tandis que celle de viande a plus que triplé et celle d’œufs a quintuplé. Ceci s’explique par trois facteurs principaux : l’augmentation des revenus dans ces pays, la baisse de la pauvreté et corrélativement, la montée des classes moyennes et enfin leur urbanisation croissante. L’élévation du niveau de vie, l’appartenance aux classes moyennes et le fait d’être citadin conduisent généralement à une modification du régime alimentaire avec une augmentation importante de la consommation de produits issus de l’élevage et notamment de viandes.

La « transition alimentaire »

C’est ce que certains spécialistes ont appelé la « transition alimentaire ». Les populations des pays connaissant un développement économique passent, en effet, d’un régime alimentaire traditionnel basé sur des céréales à un régime plus diversifié et basé en particulier sur la consommation de produits d’origine animale (viandes et produits laitiers).

La situation de la Chine paraît particulièrement emblématique de ce point de vue. En l’espace de quelques décennies, chacune de ces trois caractéristiques – niveau de revenus, de la pauvreté et d’urbanisation – a été profondément bouleversée à une vitesse accélérée et à une échelle… chinoise pourrait-on dire. On connaît ainsi le développement extraordinaire que le pays a connu depuis les années 1980. Le PIB par habitant est ainsi passé d’environ 300 dollars au début des années 1980 à 6 071 dollars en 2012 et pourrait même atteindre 9 865 dollars selon les prévisions du FMI. Il a donc été multiplié par 20 entre 1980 et 2012 et le sera peut-être par 33 entre 1980 et 2018 (par comparaison, le PIB par habitant de la France a été multiplié par 3,2 entre 1980 et 2012 et pourrait l’être par 4 entre 1980 et 2018). Au début des années 1980, selon la Banque mondiale, plus de 80 % de la population chinoise vivait dans l’extrême pauvreté alors que le PIB par habitant de la Chine était alors environ deux fois inférieur à celui de pays comme Haïti ou le Sénégal.

Aujourd’hui, les pauvres représentent seulement un peu plus de 10 % de la population totale et certains estiment que plus de 500 millions de Chinois appartiennent désormais aux classes moyennes (définies par des revenus annuels se situant entre 6 000 et 30 000 dollars) et qu’ils pourraient même être un milliard à l’horizon 2020. Enfin, selon les Nations unies, seuls 20 % des Chinois étaient citadins en 1980. Or, en 2011, la population vivant en ville est devenue majoritaire pour la première fois dans l’histoire du pays. Pauvre et rurale au début des années 1980, la population chinoise s’est enrichie, appartient de plus en plus aux classes moyennes, est majoritairement citadine… et mange une quantité de plus en plus importante de viande. L’une des conséquences symptomatiques pour la population chinoise de cette alimentation de plus en plus carnée est l’accroissement très rapide de la taille des adolescents chinois, de près de 7 cm pour les garçons des années 1980 jusqu’au début des années 2000.

Consommation, donc production, en hausse

Pour répondre à cette demande croissante de viande de la part de la population chinoise, la production locale, et notamment la production de viande bovine, a nettement progressé ces dernières décennies. La Chine est d’ailleurs le premier producteur mondial de viande. C’est la raison aussi pour laquelle le pays est devenu le principal consommateur et importateur de soja dans le monde puisque quelque 80 % de la demande de soja servirait à y nourrir les animaux d’élevage (tourteaux de soja). Les importations chinoises de soja représentent les trois-quarts de la consommation du pays et plus de 60 % des exportations de soja dans le monde.

Cependant, depuis quelques années, la production de viande en Chine ne peut suivre le rythme de croissance de la consommation, ce qui explique l’augmentation spectaculaire de son prix, qui a triplé depuis 2000, mais aussi le recours massif aux importations. La Chine est ainsi devenue importatrice nette de porcs depuis cinq ans. Les autorités de Pékin multiplient par conséquent les accords commerciaux comprenant des dispositions spécifiques consacrées à la viande. Ce fut le cas récemment avec l’Inde en mai 2013, l’accord prévoyant d’autoriser l’importation en Chine de viande de buffle indienne, ou encore avec la Nouvelle-Zélande, en juin 2013, cet accord permettant à cette dernière de pouvoir à nouveau exporter de la viande vers la Chine.

L’accord conclu en novembre par la Chine avec la Roumanie se situe dans cette même soif insatiable de viande qui a fait dire au Premier ministre chinois le 25 novembre dernier, à l’occasion de la visite de son homologue roumain : « Nous pouvons acheter tout ce que pourrez nous livrer ! »…

 

En savoir plus : www.viandesetproduitscarnes.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=503:evolution-de-la-consommation-et-de-la-production-de-viande-bovine-en-chine&catid=97&Itemid=435&lang=fr (article sur l’évolution de la consommation et de la production de viande bovine en Chine paru dans Viandes & Produits carnés), www.earth-policy.org/data_highlights/2013/highlights39 (article sur la consommation de viande en Chine publié par Earth Policy Institute), http://rabobank-food-agribusiness-research.pr.co/57448-rabobank-report-china-s-growing-appetite-for-beef-creates-opportunities-for-key-suppliers (résumé du rapport de Rabobank Food & Agribusiness Research Advisory Group), www.franceagrimer.fr/content/download/7015/40697/file/Conso-2011.pdf (synthèse de France Agrimer sur la consommation mondiale de viande), http://www.fao.org/docrep/012/i0680f/i0680f02.pdf (partie sur l’élevage du rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture de la FAO en 2009), www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2013/02/weodata/index.aspx (données économiques du FMI), http://donnees.banquemondiale.org/theme/pauvrete (données sur la pauvreté de la Banque mondiale), http://esa.un.org/unup/unup/index_panel1.html (données sur l’urbanisation de l’ONU).

Notre photo : transport de porcs, en Chine, province du Sitchouan.

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