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CETA prendre ou à laisser

Et si, contre toute attente, la ratification du CETA était recalée en France, et cela pour des raisons essentiellement liées à la défense de notre agriculture ? Ce qui paraissait une formalité après la signature du traité par Bruxelles semble, sinon totalement compromis, du moins ouvrir le débat sur l’avenir de notre agriculture. Il était temps !

Cet accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada, déjà accepté par Bruxelles, doit en effet désormais passer par l’acceptation de chaque pays concerné. En France, le vote du Parlement devait ressembler à une formalité, puisque le Président de la République est favorable à cet accord, et qu’il dispose d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale. Seulement les faits (un premier vote défavorable dans la nuit de mercredi à jeudi qui a poussé à un tour de passe-passe pour repousser le vote « officiel » à mardi prochain) en décident autrement pour le moment… En attendant, donc, mardi.

Sans refuser systématiquement le libre-échange, ne pas tout accepter dans ces accords

En quoi pose-t-il problème ? Ce n’est pas la vocation du libre-échange en elle-même qui est remise en cause par la majorité des contestataires (sauf pour quelques-uns), l’heure est depuis longtemps à la mondialisation, les échanges commerciaux favorisent l’entente entre les peuples et contribuent à éviter les conflits. A condition bien sûr de trouver les bons équilibres dans ces échanges. A condition aussi que l’agriculture européenne ne soit pas systématiquement la variable d’ajustement autorisant la vente de nos services. A condition enfin que nos modes de vie et nos choix sociétaux en Europe ne soient pas remis en cause par ces accords.

En particulier, le CETA, à l’origine, paraissait comme l’un des accords de libre-échange le plus « acceptable », les modes de vie canadiens et européens étant comparables. De plus, et c’était l’argument des nombreux parlementaires européens, français y compris, qui y ont été favorables en février 2017, l’Europe seule est trop isolée dans le monde, il lui faut des alliés, et le Canada présente de bonnes garanties à ce niveau. En d’autres termes, accepter le Canada pour mieux contrer ensuite le Brésil (par exemple) avec lequel les divergences sont bien plus affirmées. Seulement, depuis février 2017, les faits ont démontré l’inverse. Je pense que les députés européens français soucieux de notre agriculture qui ont voté en faveur du CETA en février 2017 étaient sincères, dans cette approche consistant à dire « on accepte le Canada pour mieux refuser d’autres ». Mais depuis, la Commission européenne a signé un accord avec le Mercosur (Brésil, Argentine…), montrant que la vocation était au « tout libre-échange », et non au choix des meilleurs alliés.

De fait, y compris pour les partis politiques qui ont voté cet accord à travers leurs députés européens en février 2017, la réflexion évolue. C’est le cas au sein des Républicains notamment, sachant que d’autres groupes parlementaires, déjà contestataires ou l’étant devenus, rendent l’opposition à la signature par la France de ce traité bien plus importante qu’on ne l’aurait imaginée.

Le contenu, ce qui fait débat

Lorsque la loi EGAlim (loi Alimentation) est passée, récemment, plusieurs articles y figurant poussent le monde agricole français à toujours plus de vigilance vis-à-vis des attentes sociétales, de qualité, de sécurité sanitaire, de bien-être animal. L’argument donné, parfaitement valable au demeurant, était de répondre au mieux aux évolutions de notre société, inquiète pour son environnement ou une éventuelle forme de malbouffe. Mais parallèlement, le volet agricole de l’accord du CETA prévoit l’importation en Europe de viande bovine qui ne répond pas à ces critères de qualité. On lui reproche notamment une nutrition animale à base de farines animales (ce qui avait été la cause des deux crises de la vache folle en France), ou encore l’utilisation d’antibiotiques refusés sur notre territoire.

Il existe en fait plusieurs volets arguments dans cette contestation. Celui consistant à dire que ce nouveau contingent sur le marché européen arrive au plus mauvais moment pour des filières animales en crise, et pourrait donc les précipiter vers la faillite n’est pas, politiquement, celui qui est le plus repris : il faut se faire une raison, de nos jours le monde agricole intéresse de moins en moins nos politiques. En revanche, là où il y a une sorte de front commun d’opposition, j’ai envie de dire tous partis confondus (en dehors de La République En marche…), c’est sur la sécurité sanitaire : les farines animales réveillent d’affreux souvenirs, refait parler de la maladie de Creutzwald-Jacob dont on n’a pas eu le temps d’oublier l’orthographe, et c’est la peur d’un nouveau scandale qui sensibilise aussi bien communistes que souverainistes, écolos que républicains, socialistes qu’insoumis ou autres extrémistes d’un bord ou de l’autre.

Comment les agriculteurs réagissent

Les deux principaux syndicats agricoles sont sur le pont, mais avec des modes d’action différents, pour dénoncer le CETA. La Fnsea a choisi des actions ciblées en province, devant des préfectures, à des dates différentes. Et sans doute aussi un lobbying peu visible mais réel auprès des élus. Le tout à partir d’un slogan identifié depuis plusieurs semaines désormais, « n’importons pas l’agriculture dont nous ne voulons pas ». La Coordination rurale était présente (avec près de 120 de ses membres ayant fait le déplacement) mercredi dernier, le 17 juillet, devant l’Assemblée nationale (précisément aux Invalides, juste à côté, car interdiction de manifester directement devant l’institution), puisqu’à l’origine le vote devait intervenir ce jour.

J’étais personnellement avec les seconds, passant une bonne partie de la journée avec eux. Ils ont rencontré plusieurs députés, de toutes les obédiences sauf une (je ne précise pas, vous avez compris), la plupart venant jusqu’à eux, certains recevant une mini délégation dans leurs locaux. Et j’ai constaté, au fur et à mesure de la journée, une évolution dans l’attitude de chacun. Au départ, l’état d’esprit était dans le style « on ne va tout de même pas crever sans rien dire », et petit à petit, chacun s’est pris à espérer, car tous les discours entendus montraient, et le président de la Coordination rurale Bernard Lannes n’a pas manqué de le souligner de ses interviews, « une société civile en accord avec ses agriculteurs« . Concernant le vote, tout le monde a vite compris qu’il serait repoussé à la nuit, dans la plus grande discrétion. Mais tout de même, la bonne dizaine de députés rencontrés, encore une fois de toutes les obédiences, allait dans le même sens : refus du CETA. Avec une seule nuance éventuelle : ne pas le voter, ou voter contre. Evidemment, Bernard Lannes notamment, a bien compris le risque du « non vote », qui signifie aussi laisser passer la majorité actuelle, il a fortement incité à voter contre à chaque fois.

Société civile, un exemple d’intervention, celle de Patrick Maurin

Parmi les « non agriculteurs » qui se manifestent en faveur d’une défense de l’agriculture française, on peut noter l’intervention de Patrick Maurin, conseiller municipal de Marmande, connu pour deux marches citoyennes pour dénoncer le tabou autour du suicide des agriculteurs. Ce mercredi 17 juillet, il est venu à l’Assemblée nationale pour s’enchainer symboliquement à ses grilles un bref instant (le temps que les forces de l’ordre réagissent…), et dénoncer ainsi le mal-être des agriculteurs, qui serait agrandi selon lui par la signature des accords du CETA ou du Mercosur. Il a fait l’objet de nombreuses interviews médiatiques, et a donc participé à la diffusion d’un message favorable à la défense des agriculteurs français.

Finalement, le vote le mardi 23 juillet 2019

Un vote a finalement bien eu lieu dans la nuit de mercredi à jeudi, mais pas directement sur le CETA, les députés ont voté sur une « motion de rejet préalable » suggérée par le groupe socialiste, finalement repoussée de peu : 110 voix pour, 136 contre. Si elle était passée, il n’y aurait même pas eu de vote du tout sur le CETA, il aurait été rejeté, tout simplement. De fait, un vent de crainte a circulé dans l’hémicycle, d’où un report à la semaine suivante, le temps de bien vérifier que chaque membre de la majorité fera son job sans risque de mise en minorité par une forte contribution adverse. C’est donc ce mardi 23 juillet qu’aura lieu le vote à l’Assemblée nationale.

Mais si on imagine que les ténors de Lrem vont passer leur week-end au téléphone, les opposants aussi. Opposants politiques, opposants de la société civile, opposants économiques, et donc opposants agricoles. Avec 304 députés sur 577, Lrem devrait logiquement passer son texte… Mais ce calcul comptable omet des sensibilités touchées par les arguments de crainte y compris dans les rangs de la majorité parlementaire.

Que se passera-t-il pour le vote ?

Mardi, le vote ne sera pas ce que l’on appelle un « vote de confiance ». C’est-à-dire qu’il n’engage pas le gouvernement au-delà du sujet traité, il n’y aura aucune obligation, pas même morale, de dissoudre de l’Assemblée en cas de vote contre. En d’autres termes, chacun peut voter en son âme et conscience sur le sujet sans pour autant risquer d’engager l’avenir de sa formation dans un engrenage politique.

Si La République en marche est majoritaire à l’Assemblée, elle ne dispose finalement que d’une quinzaine de députés au-dessus de la majorité absolue (Elle compte 304 députés, majorité absolue à 289 députés). Elle ne peut donc pas s’autoriser, par exemple, à exclure ceux qui, parmi ses élus, ne voteraient pas selon les consignes, a fortiori s’ils dépassent la quinzaine. Le parti présidentiel lui-même pourrait être tenté par une opération de reconquête de l’opinion publique (entachée récemment par l’affaire de Rugy) en communiquant dans le sens, non pas d’une remise en cause du traité, mais d’une renégociation de sa part agricole : plutôt que de faire passer aux forceps un texte à trois ou quatre voix près – ce qui susciterait un regain d’amertume – pourquoi ne pas récupérer politiquement le fait qu’il soit renégocié dans le sens souhaité par notre société française, par exemple en s’abstenant mardi, et en laissant les contestataires le repousser ? Car l’issue du scrutin, en définitive, dépend avant tout de l’attitude des députés En marche, tant il semble aujourd’hui évident que la mobilisation des opposants sera forte.

Dans ces conditions, les syndicalistes agricoles disséminés sur tout le territoire ont jusqu’à mardi pour convaincre chacun leur député de voter contre, ou sinon de s’abstenir. A l’heure où ces lignes sont écrites, la perspective d’un rejet du texte dans son état actuel ne semble pas aussi utopique qu’elle aurait pu paraitre il y a seulement quelques jours…


Les photos ci-dessous (sauf la dernière) ont été prises le mercredi 17 juillet lors de la manifestation de la Coordination rurale aux Invalides (au plus près de l’Assemblée nationale).

Ci-dessous, quelques manifestants, dont Dominique Pipet avec sa pancarte.

Ci-dessous, Bernard Lannes, président de la Coordination rurale, interviewé par une journaliste de l’émission C dans l’air.

Ci-dessous, certains manifestants ont essayé de quitter les Invalides pour se porter directement devant les portes de l’Assemblée, mais ils se sont heurtés à un cordon des forces de l’ordre.

Ci-dessous, Véronique Le Floch, secrétaire générale de la Coordination rurale, répond aux journalistes de LCI.

Ci-dessous (photo fournie par son entourage), l’élu de Marmande Patrick Maurin s’est symboliquement enchainé aux grilles de l’Assemblée nationale.

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