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Céréalier et boulangers, père et fils

Il était une fois un céréalier qui installa dans sa ferme une meunerie, puis une boulangerie. Son fils aîné devint boulanger, le cadet s’occupant de la commercialisation.

En marge de la fête du pain (qui dure toute la semaine, jusqu’au 19 mai), WikiAgri vous propose le portrait d’une famille qui, à partir d’une exploitation céréalière dans les Yvelines, a créé une meunerie, puis une boulangerie. De l’épi au pain, tout est maison !

Devant le four, Jules, Emile et Marc Winocour.

 

Sur le papier qui enveloppe le pain, lourd et croustillant à souhait, on peut lire « à la farine de meule, pétri et cuit à la ferme ». Le Moulin des Moissons arbore fièrement son savoir-faire, pour le moins original, celui qui allie la culture agricole des céréales et l’utilisation d’une partie des récoltes pour une tranformation, sur place, en farine, puis en pain. Derrière, les consommateurs rafolent de ces pains entièrement façonnés par les mains d’une même famille. Nous sommes à Grosrouvre, dans les Yvelines, pas très loin de Rambouillet.

« Notre exploitation est familiale, explique Marc Winocour, céréalier installé depuis 1984. Je représente la quatrième génération, mes enfants sont la cinquième. Nous sommes dans un contexte pédoclimatique complexe, peu favorable, sur un terrain issu d’une ancienne forêt défrichée, et d’ailleurs attenant à la forêt de Rambouillet. Nous sommes soumis aux aléas climatiques, et les parcelles n’ont pas une très grande qualité agronomique. Les terres ont tendance à s’acidifier. Rien à voir avec nos voisins, pourtant proches, des environs de Thoiry. L’exploitation céréalière (Ndlr : 155 hectares, 70 de blé, 35 de colza, 20 de maïs, 15 d’orge d’hiver, 5 d’avoine et le reste en jachère) par elle-même est tributaire des aides Pac. Or, j’ai toujours su que celles-ci allaient diminuer. Plusieurs années en arrière, Jacques Chirac avait annoncé qu’on avait sauvé la Pac jusqu’en 2013, sous-entendant qu’ensuite ce serait différent. Mes quatre enfants, deux fils et deux filles, ont toujours participé aux moissons, dès leur adolescence. Je voulais donc leur transmettre – enfin, à ceux qui voudraient – une exploitation viable, d’où l’idée d’une diversification avec la meunerie. »

Plus précisément, l’idée est devenue projet le jour où Marc Winocour n’a pas pu valoriser une variété de blé qu’il estime, le Camp Rémy, justement appréciée des meuniers pour sa fluidité. Sa coopérative lui a pris au tarif courant, sans plus. Un peu comme si une coopérative viticole mettait dans le « vrac » une appellation contrôlée. Quelque part, ça fâche.

Le père aux champs, un fils au fournil, l’autre dans la commercialisation

« J’ai analysé la situation, reprend notre interlocuteur. Positionné en Ile de France, à proximité de Paris, en un lieu où les habitants ont du pouvoir d’achat, il y avait quelque chose à tenter. Alors j’ai décidé de valoriser tout seul mon blé Camp Rémy. Je me suis rapproché d’un ingénieur meunier du cabinet Bourbon à Buc (Ndlr : également dans les Yvelines), qui m’a beaucoup aidé dans la réflexion et l’évolution du projet. J’ai suivi des stages de conducteur de meunerie ou encore à l’institut natonal de la boulangerie à Rouen, où je me suis retrouvé avec des élèves de CAP de 14 ou 15 ans, ils ont dû penser se retrouver avec leur grand-père… Mais ce travail d’étudiant a porté sur une réalisation : nous avons monté notre première meule de pierre. Nous avons tout auto-financé, de toutes façons aucune banque ne m’aurait suivi sur ce qui pouvait s’apparenter à un coup de folie. beaucoup de matériel d’occasion a été acheté, par exemple aux grands moulins de Sedan.« 

Quand Marc Winocour dit « nous », il associe en fait ses deux fils qui aujourd’hui sont dans le projet. « L’aîné, Emile, a suivi une école hôtelière. Il a travaillé en restauration et en hôtellerie, c’est lui a pris en main la boulangerie aujourd’hui. Après s’être formé auprès de Max Zanata à la fabrication du pain « à l’ancienne ». La première année, il se levait toutes les nuits pour surveiller ses pâtes, et allait ensuite sur les marchés, par exemple celui de Rambouillet où le maire, Gérard Larcher, nous a obtenu une place en étant convaincu du bien-fondé de notre démarche. Mon autre fils, Jules, a lui suivi des études commerciales. Et aujourd’hui il s’occupe des opérations de marchés, des commandes, des livraisons. L’un et l’autre avaient fait la moisson enfants, ils ont donc une connaissance parfaite de toute la chaîne. Moi, j’ai gardé la partie agricole, la production céréalière. » Précisons pour cette dernière que 12 % du blé récolté sur l’exploitation sont utilisés pour la meunerie, le reste étant commercialisé de manière classique à la coopérative.

L’exploitation est en agriculture raisonnée depuis plusieurs années désormais, mais plus que dans les champs (« où ça a moins d’incidence« ), c’est au niveau du stock dans les greniers que Marc Winocour se refuse à utiliser le moindre pesticide. « Le grain est ventilé à froid pour faire fuir les insectes éventuels, sans le moindre ajout de quoi que ce soit« , précise-t-il. L’exploitation est ainsi labellisée HVE de niveau 2 (haute valeur environnementale) et devrait passer de niveau 3 bientôt. C’est aussi une manière de répondre aux aspirations des consommateurs de pains. Une autre consiste à mettre au point le goût. « Aujourd’hui, nous cultivons 6 à 7 variétés de blé, car certaines fonctionnenent bien dans certaines, d’autres dans d’autres, l’objectif étant de pouvoir à chaque fois réussir un assemblage de quatre variétés pour nos farines. Nous avons un logiciel pour nous aider dans ces assemblages. Nous avons une période de tests avant de valider un mélange. Nous recherchons à obtenir le goût uniforme le plus proche de celui de l’année précédente de manière, là encore, à répondre à la demande. »

Avec l’image du blé devenu farine puis pain dans la même maison, le Moulin des Moissons parvient désormais à une notoriété certaine. Outre les marchés locaux, la commercialisation s’opère dans des restaurants parisiens, certains Monoprix ou autres grandes surfaces (« dans les rayons, nos pains sont à côté des Poilane« ), des cantines scolaires… On peut même, lorsque l’on habite pas trop loin, venir chercher son pain à la ferme, le vendredi après-midi ou le samedi matin. Et rien n’empêche d’avoir préalablement passé une commande particulière.

Plusieurs emplois créés

Aujourd’hui, 2 boulangers à temps plein, 1 vendeur à temps plein, plusieurs étudiants pour les marchés en plus de Emile et Jules Winocour, cela fait l’équivalent de 6 salariés sur l’activité boulangerie. Côté exploitation agricole, il faut ajouter au parternel un chauffeur de tracteur à temps plein, et un homme d’entretien à mi-temps. L’activité crée de l’emploi, et devrait poursuivre dans cette voie avec du matériel rénové qui devrait compléter l’existant dans le bâtiment de 100 mètres carrés dévolue à la meunerie.

Ayant avancé pas à pas dans la meunerie puis la boulangerie, Marc Winocour est bien placé pour répondre à la sempiternelle question : quand le blé passe de 200 à 250 € la tonne, de combien de centimes augmente la baguette ? « Le prix du blé n’influe pas, ou extrêmement peu, sur le prix global. Les charges les plus importantes sont la main-d’oeuvre, et le coût de l’énergie. La meunerie est un gros consommateur d’énergie, de fait la moindre augmentation du prix de l’énergie se ressent autrement plus conséquemment que celle du blé. A cela il faut ajouter, pas pour nous mais pour beaucoup de boulangers, les coûts des loyers pour les locaux, et parfois même pour le matériel. Le prix du blé n’intervient qu’après dans l’échelle d’importance des composants du prix d’un pain.« 

Pour mieux apprécier l’activité du Moulin des Moissons, rien de tel qu’une visite à travers quelques photos commentées ci-dessous.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Pour en débattre, rendez-vous ci-dessous dans l’espace « Ecrire un commentaire ».

En savoir plus : www.lemoulindesmoissons.com (site internet de la ferme).

La meule à pierre, premier élément pour moudre le grain.

Ces petits tamis figurent ce qui se passe à l’intérieur d’une machine qui secoue le grain moud reçu, pour en ressortir de la fine farine sous le dernier tamis, moins fine au-dessus, et carrément les écorces au premier niveau.

Etape suivante, la pâte est pétrie ici.

Suit une succession d’étirement, d’aération, et de repos de la pâte à pain.

Dans cette chambre maintenue à température constante, les pains lèvent doucement. Dans le Moulin des Moissons, on tient à l’aspect traditionnel du pain, alors les pains que l’on voit là seront ne cuits que le lendemain.

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