Camille, jeune femme de 24 ans, vient de perdre Augustin (*), son mari de 31 ans, producteur de porcs dans la Somme, qui s’est suicidé. Elle témoigne car elle veut que « les choses soient dites », et que « sa mort ne reste pas impunie ».
Camille avait tout juste 15 ans quand elle a rencontré Augustin, son ainé de 7 ans. Depuis, ils ne se sont plus quittés. Elle n’était pas issue du milieu agricole, elle s’y est mise, et a appris à l’aimer. Augustin était l’homme de sa vie, le seul qu’elle ait connu, aimé, chéri.
« Croyez-vous qu’il soit normal qu’une femme de 24 ans aille le samedi matin, seule, le lendemain du suicide de son mari de 31 ans, lui choisir un cercueil ?« , souffle-t-elle entrecoupant le récit de sa vie par les souvenirs les plus récents, et les plus terribles.
En 2004, au décès de son père, Augustin était appelé à reprendre l’exploitation familiale. Seulement sa famille en décidait autrement : il faisait le job, pour ça oui, mais au titre d' »aide familial ». Ce n’est qu’en 2011 qu’il a réellement repris la ferme, Camille devenant alors « conjointe collaboratrice ». Et pas question d’aller plus loin, jamais les terres n’ont été cédées à Augustin par sa mère, qui au contraire a mis en place un contrat de fermage.
« Pensez-vous qu’il soit normal qu’une femme de 24 ans aille choisir une place dans le cimetière le lundi matin ?«
L’élevage naisseur engraisseur de porcs fonctionne en auto-consommation, l’aliment vient des cultures de blé, orge, féverole et soja. « Pour autant, malgré l’aliment naturel, le prix est resté le même que pour un élevage industriel« … Camille n’en veut pas à la coopérative, Cobevial, pour autant, « ce sont les seuls qui nous ont aidé » face aux prix bas, aux taxes et impôts, à la dépendance aux aides Pac… « 3 500 € de charges diverses par mois, on ne pouvait gagner de l’argent qu’à partir de 3 500 € de ventes, ce qui n’arrivait presque jamais… » D’où l’importance des aides Pac… Le jeune couple prend la crise de l’élevage en pleine figure, avec en plus un contexte particulier défavorable : le fait qu’il faille s’acquitter du fermage à sa propre famille. Et un autre : malgré plusieurs demandes renouvelées, la banque refuse de renégocier les taux des emprunts.
Déjà, le 28 février 2016, Augustin tente de se pendre. « C’est moi qui l’ai trouvé, je l’ai décroché in extremis, il était encore conscient. » Il ne s’agissait pas d’une tentative « avertissement », mais déjà d’une réelle volonté d’en finir. Chaque jour, les problèmes financiers de l’exploitation remontaient, chaque jour, l’impression de s’enfoncer dans un tunnel sans sortie…
« J’ai 24 ans, si Augustin m’a laissé en vie, s’il est parti tout seul, c’est qu’il voulait que je vive… Mais quelle vie ?«
Parallèlement, le couple veut vivre sa vie intime. Augustin et Camille veulent des enfants. Malheureusement, là aussi, rien n’est simple, l’enfant espéré n’arrive pas tout seul, il faut passer par les fécondations in vitro. « J’ai encore un embryon congelé avec Augustin« , souffle Camille, « j’aurais dû l’accueillir dans quelques jours… » Mais Camille ne sera jamais maman d’un enfant d’Augustin.
Car le vendredi 27 octobre 2017, là, il y a à peine un mois, tout se précipite. Augustin se pend à nouveau. Son frère (salarié dans l’exploitation) et Camille le découvrent, et tentent encore et encore de le ranimer en attendant les secours. Mais cette fois ces efforts sont vains.
Que s’est-il passé cette fois ?
« Tous les ans, la banque nous accordait une avance de trésorerie. 9 500 € sur le compte de la ferme pour ne pas cesser de régler nos fournisseurs et notre bail de fermage le temps que les aides Pac arrivent. Cette année, elle a refusé. L’agence s’est vue obligée de passer par une autorisation du siège, qui a donné un avis différent. Alors que les conditions étaient les mêmes que les années précédentes, avec la même assurance de voir la somme arriver sous forme d’aides Pac peu de temps après…«
Augustin s’est retrouvé avec une double pression, celle de la jonction budgétaire jusqu’aux aides impossible à réaliser comme les années précédentes d’une part, et celle de sa propre famille réclamant le bail du fermage d’autre part. Ce sont ces deux « responsables » que Camille veut voir payer « pour avoir tué Augustin » : une famille incapable de comprendre, « si loin de l’idée que l’on se fait de la solidarité paysanne« , et cette banque, d’apparence si inhumaine, ne jouant pas son rôle d’aide aux entreprises rurales pour au contraire les enfoncer : même si l’installation avait été bancale dès le départ (notamment avec ce fermage…), fallait-il d’un coup décider, sans préavis ni consultation, d’arrêter les frais ? Les conséquences ont été funestes…
Camille poursuit : « Quand nous avons su que la banque refusait le prêt, j’ai été voir notre député local. Il s’appelle Emmanuel Maquet, il est intervenu, demandant d’une part la renégociation des emprunts aux taux actuels, d’autre part de rallonger le délai de remboursement de l’emprunt d’installation, de façon à rendre les mensualités plus acceptables. Ce qui aurait abaissé de moitié la mensualité. Au passage, on dit toujours du mal des hommes politiques, il m’a fallu ces circonstances pour en croiser un de profondément humain. Grâce à lui, la banque a obtempéré et a fini par accorder le prêt… Est-il normal qu’il faille voir son député pour obtenir la reconduction d’un prêt dont dépend la survie d’une entreprise agricole ? Mais pour Augustin, c’était trop tard. L’argent est arrivé sur le compte de la ferme… Le lendemain de son départ ! » Et la banque n’a jamais évoqué la renégociation des taux des emprunts…
Derrière, c’est l’anéantissement. Une vie envolée (Augustin), une autre déchirée (Camille). Plus celle du frère de Augustin bien bouleversée aussi, puisque, évidemment, au-delà de la peine et des questions, la ferme s’arrête et son avenir professionnel avec.
« Il faut qu’ils payent, ils ont tué Augustin« , répète Camille. « Ils » représente à la fois une partie de la famille (« Augustin m’a avoué au bout de 6 ans de vie commune que sa mère l’avait battu petit« ) intransigeante devant la rente représentée par le fermage, au point d’envoyer des relances au moindre retard, sans en chercher les causes. Et d’augmenter la pression. « Ils », c’est aussi, bien sûr, la banque. Les employés locaux disent à Camille n’avoir rien pu faire devant des directives du siège. Ce qui n’anéantit pas les responsabilités, mais ne fait que les déplacer au niveau de ce siège parisien.
Camille est en train de laisser partir les porcs, par petits lots. « Les truies, je les inséminais moi-même, je m’étais attachée à elles, ça fait de la peine pour elles aussi… » Elle était devenue paysanne. Et la ferme va s’arrêter.
Elle déménage aussi, car « la maison appartient à la grand-mère, elle la laissait en échange de l’entretien, étant entendu dans l’accord qu’elle s’acquittait de la taxe foncière. Quelques jours après le départ d’Augustin, j’ai reçu cette facture aussi… » Elle poursuit un petit boulot, entamé depuis quelques mois, consistant à garder des enfants au sortir de l’école (« cela faisait du travail en plus, ce n’était pas facile, mais on avait tellement besoin d’argent… Aujourd’hui il ne me reste que ça…« ).
La détresse n’est pas envolée, le deuil pas encore fait, qu’il a bien fallu penser à l’ »après ». Elle demande à la Msa, sur les conseils de personnes étant passées par ces mêmes moments difficiles (sinon elle n’aurait jamais su que ça existait), une aide aux frais d’obsèques, prévue dans ces cas là. Elle s’entend répondre que dans son cas, du fait qu’elle a un autre travail (« pff, un mi-temps qui ne rapporte pas de quoi assumer les imprévus« , soupire-t-elle), ça ne peut pas fonctionner. Alors que les personnes qui l’ont conseillée étaient dans le même cas et l’ont obtenue sans problème… « J’ai l’impression qu’on veut profiter de mes 24 ans pour ne pas m’accorder les soutiens auxquels j’ai droit« , se révolte Camille.
Elle reparle de ce « harcèlement familial« , de cette banque… « Comme je leur en veux ! » Et se donne une mission : « Il faut que ça se sache, je sais que d’autres subissent le harcèlement familial, que d’autres sont lâchés par leur banque aux pires moments, il faut le dire, dénoncer !«
Ce mardi 21 novembre, Augustin aurait eu 32 ans. Mais c’est à 31 ans qu’il a choisi de partir. « Augustin m’a laissé en vie, répète-t-elle, il voulait que je vive.«
(*) Augustin n’est pas le véritable prénom du mari de Camille. Tous les faits exposés sont eux totalement conformes à la réalité.
Des amies de Camille ont monté une cagnotte en ligne pour l’aider financièrement à se reconstruire une vie. On la trouve sur ce lien : https://www.leetchi.com/c/solidarite-de-camille-25483589.
C’était le temps des amours, le 30 avril 2011, Augustin tient Camille dans ses bras lors de leur mariage…