La problématique essentielle du colza en techniques culturales simplifiées est liée à son interculture très courte avec la céréale à paille qui précède, estime Francis Bucaille, agronome, auteur de « Revitaliser les sols » et cofondateur de Gaïago. Lui qui a cultivé chaque année plus de cent hectares de colza pendant trente-cinq ans, nous livre des pistes pour gérer efficacement cette problématique.
Wikiagri – Quels sont les points d’attention pour la conduite du colza en techniques culturales simplifiées ?
Francis Bucaille : Du point de vue du respect des sols, le colza est une plante qui se trouve relativement bien adaptée aux techniques culturales simplifiées et au semis direct. En effet, le colza se sème et se récolte à la belle saison, lorsque le risque de dégradation des sols par l’intervention des engins est faible. Toute la problématique est liée en réalité à l’interculture après la céréale à paille qui le précède, laquelle est très courte. C’est le gros sujet qui influence la bonne implantation du colza et donc tout le succès à suivre de la culture. Dans les années 70 – 80, cette interculture était gérée par le brûlage des pailles dans des régions spécialisées en céréales comme le Berry par exemple. Ces agriculteurs avaient bien compris le lien entre la présence des pailles au sol et les levées difficiles du colza.
Wikiagri – Selon vous, il n’y a pas de difficultés particulières liées à la faim d’azote ?
FB – Pour expliquer le lien entre la présence des pailles au sol et les levées difficiles, il est d’usage d’expliquer le problème par une faim d’azote. Ce seraient les flores de décomposition qui auraient un besoin physiologique d’azote pour construire leurs propres tissus et leurs protéines, azote dont les pailles qu’elles dégradent sont dépourvues. C’est cette consommation en azote qui pénaliserait ainsi la levée du colza. S’agissant des difficultés de démarrage des semis de colza après céréales à paille, je peux aujourd’hui assurer qu’il n’en est rien dans l’immense majorité des situations. La preuve en est que les apports d’azote/soufre dans ces cas ne sont pas efficaces. D’ailleurs, les sols sont souvent pourvus en reliquats azotés à cette période de l’implantation. La problématique vient en réalité du fait que la paille des céréales contient des substances antigerminatives allélopathiques comme la coumarine. L’interculture qui est très courte ne permet pas son élimination. Cette substance allélopathique a pour effet de pénaliser la germination du colza, ainsi que la croissance des jeunes plantules. Toute la pratique de l’agriculteur doit viser à gérer au mieux cette problématique.
Télécharger gratuitement plus de 20 pages pour tout comprendre sur le sujet !
Wikiagri – Quels choix faudrait-il faire pour gérer les pailles ?
FB – Pour bien gérer les pailles, il ne faut surtout pas les enterrer superficiellement, au risque de mettre en contact ces substances allélopathique avec les graines de colza qui sont semées à très faible profondeur. Le risque d’interaction biochimique négative est donc d’autant plus important. Une des pratiques pour bien gérer ces pailles est de les enlever, sachant cependant qu’il restera toujours les chaumes, ainsi que les menues pailles. Dans ma pratique, j’ai opté au fil des années pour une technique différente, à savoir de faucher la céréale le plus haut possible lors de la moisson. On laisse ainsi debout un maximum de paille. Ensuite, il s’agit de semer directement dans ce couvert de pailles. Les pailles seront ainsi couchées au moment du semis, mais elles ne se retrouveront pas au niveau du lit de semence. Le fait de couper haut, limite également la production globale de menues pailles qui ont, elles aussi, un effet allélopathique important. On parvient ainsi à réduire cet effet « cul de batteuse » en bandes sur lesquelles l’implantation des colzas est souvent médiocre.
Wikiagri – Quelle est la bonne modalité d’implantation ?
FB – Pour un semis TCS de colza, je préconise de ne pas intervenir sur le sol et de procéder à un vrai semis direct, et de rouler si nécessaire après le semis. Pour obtenir une bonne vigueur et protéger la plante des altises, il est conseillé de réaliser un apport d’engrais azoté. Cette pratique de fertilisation azotée est d’ailleurs reconnue dans la réglementation par un système de dérogation. Le statut de nutrition azotée à ce moment est important pour gagner en vigueur. Des biostimulants orientés vers la nutrition en azote (bactéries fixatrices d’azote) peuvent aussi aider à ce point précis de l’itinéraire technique, en traitement de semence par exemple. Cette nutrition azotée globale à cette période végétative est intéressante d’un point de vue économique, car l’azote est capté dans la biomasse du colza. En sortie d’hiver, c’est l’évaluation de cette biomasse qui servira de base au calcul de la dose d’azote qu’il restera à apporter dans les outils d’aide à la décision. Une bonne nutrition du colza à l’hiver est donc aussi porteuse d’économies sur le poste des engrais. Le colza a par ailleurs tout à fait cette aptitude à piéger les nitrates du sol en automne et ainsi éviter leur lessivage.
Wikiagri – Comment prenez-vous en compte les risques météorologiques ?
FB – L’expression « c’est la levée qui fait le colza » a tendance à se vérifier dans de très nombreux cas. En ce sens, j’envisage surtout le risque du manque d’eau pour le semis. À choisir, si la structure du sol le permet, je conseille de semer même dans une terre sèche avant une pluie et non pas d’attendre une première ondée pour semer dans une terre déjà humide. En cas d’année à précipitations régulières, semer dans le sec n’a pas de signification véritable. En revanche, en cas d’année sèche, la technique du semis dans le sec permet de rendre efficace une pluie limitée qui peut déclencher la germination de la graine. Le sol non perturbé autorise un accès à des couches profondes plus fraiches. Dans ce scénario, un semis post pluie, ne peut que, par la perturbation superficielle du sol, autoriser l’évaporation rapide de cette eau rare. Quelquefois cela ne permet que le gonflement, puis la perte de la capacité germinative des graines. Une autre problématique du colza est de réduire le risque de montée en floraison pendant l’hiver. C’est un vrai casse-tête avec le réchauffement climatique qui favorise des arrière-saisons redoutablement douces. Une solution qui présente ses limites est de retarder un peu la date de semis. Les apports d’azote déjà évoqués contribuent également à limiter le risque de floraison précoce. La plante amorce en effet sa floraison en cas de stress alimentaire. Un bon statut azoté a pour effet positif de le limiter.
Wikiagri – Comment assurer une bonne structure de sol ?
FB – Un des principaux leviers pour assurer la meilleure vigueur possible du colza est de s’assurer une bonne structure du sol. En effet, le pivot de la plante de colza n’est pas tellement puissant. En cas d’obstacles dans le sol liés à des zones compactées, la plante de colza a tendance à produire des contournements au niveau de ses racines, qui sont préjudiciables pour l’efficacité de l’exploration racinaire et donc de la nutrition en eau et en nutriments. Voilà pourquoi une bonne structure de sol est impérative. En situation à risque et sachant qu’il vaut mieux privilégier un semis direct du colza, la gestion de la structure du sol doit être anticipée par des interventions avant les semis du précédent, c’est-à-dire un an avant le semis du colza lorsque le précédent est une céréale à paille d’hiver. Il s’agira de bien observer la structure du sol sur la parcelle et par exemple d’intervenir par l’action d’un travail au fissurateur à profondeur adaptée. En revanche, à mon sens, travailler le sol pendant l’interculture avant l’implantation du colza représente une prise de risque beaucoup trop importante à cause de l’assèchement profond du sol.