Jusqu’à présent, l’Inde est parvenue à faire face à sa croissance démographique. Mais lorsque le pays sera aussi peuplé que la Chine dans les années 2020, le défi de ce pays ne résidera pas seulement dans sa capacité à nourrir plus de 1,3 milliard d’habitants, mais surtout à bien les nourrir. Or à ce jour, un tiers des 800 millions de malnutris de la planète sont des Indiens…
Son destin est tracé. Dans les années 2020, l’Inde sera le pays le plus peuplé de la planète. Et il faudra alors non seulement nourrir 1,3 milliard de femmes, d’hommes et d’enfants mais aussi continuer à produire toujours plus de produits agricoles. En effet, la population indienne ne se stabiliserait pas avant 2050 autour de 1,5 milliard d’individus!
Aussi, le cap de 2020 n’en est d’ores et déjà plus un ! Et la nouvelle loi sur la sécurité alimentaire promulguée le 10 septembre 2013, visant à renforcer la sécurité alimentaire de l’Inde, s’inscrit simplement dans la continuité des précédentes.
L’Inde protégera encore pendant de nombreuses années son agriculture de la concurrence mondiale pour produire plus et renforcer la sécurité alimentaire du pays. Car dans moins de 10 ans, il sera non seulement nécessaire de nourrir 100 millions d’Indiens supplémentaires mais aussi d’améliorer les conditions de vie des 250 millions actuellement malnutris. Et aussi paradoxalement que cela puisse être, il faudra aussi répondre à l’évolution des habitudes alimentaires d’une classe moyenne urbanisée, dotée d’un pouvoir d’achat élevé. « Si bien que la production agricole de l’Inde devra croître d’au moins 2 à 3 % par an alors que sa population augmente d’un peu plus de 2 % ! », analyse Jean Joseph Boillot. Il est conseiller du Club du CEPII, spécialiste des grandes économies émergentes et auteur, entre autres, de « L’Inde pour les nuls ».
Comme par le passé, l’Inde compte sur ses propres moyens et sur ses paysans pour relever ses défis. « La plus grande démocratie de la planète ne sacrifiera pas sa sécurité alimentaire sur le banc du libéralisme et de la libéralisation des échanges mondiaux », ajoute le chercheur.
Début 2014, le gouvernement indien, conduit par Narenda Modi, n’a pas approuvé le volet agricole de l’accord de Bali sur l’organisation mondiale du commerce. Il n’était pas en effet question que son pays renonce, malgré les pressions exercées par les grands pays exportateurs, à sa politique publique de stockage de produits agricoles. C’est un dispositif indispensable pour approvisionner correctement le marché intérieur, les mauvaises années de récoltes en particulier.
« Sinon, un tel renoncement aurait conduit à livrer des centaines de millions de paysans à la concurrence mondiale sans avoir les moyens de s’en prémunir », assure Jean Joseph Boillot. Le gouvernement indien a même refusé le moratoire de quatre ans qu’il lui avait été accordé les pays négociateurs.
En fait, l’Inde a besoin de temps pour être compétitive et surtout, ses priorités sont toutes autres. Au regard des progrès accomplis par le passé, le potentiel de croissance de la production agricole indienne est immense. Les différentes révolutions « vertes, blanches bleues » et les nouvelles technologies diffusées ont permis d’accroître considérablement les rendements et d’augmenter les productions. Mais les marges de croissance sont encore importantes car la production moyenne de blé ou de riz par hectare est bien plus faible qu’en Chine et bien sûr, qu’en Europe.
Jusqu’à ce jour, c’est avec des pratiques agricoles parfois encore rudimentaires, sur des petites exploitations d’un ou de deux hectares, mais surtout avec une nouvelle classe d’agriculteurs modernes sur des exploitations de moyenne taille que les pays indiens sont parvenus à hisser leur pays, à la première ou la seconde place mondiale des pays producteurs de lait, de riz ou de viande entre autres.
La politique de stockage à laquelle tient le gouvernement indien n’est qu’un des volets de la loi sur la sécurité alimentaire. Ses caractéristiques ressemblent peu ou prou à celles de la Politique agricole commune des années 1960 et 1970 avec des prix agricoles fixes, supérieurs aux cours mondiaux, et des taxes à l’importation pour protéger le marché intérieur. Et comme à l’export, le pays est quasiment absent, le subventionnement des ventes ne se pose pas encore.
Sur le terrain, la politique agricole indienne préserve un modèle de production de dimension familiale sur des exploitations de quelques hectares en incitant les paysans à produire autant qu’ils le peuvent puisque les débouchés de leurs récoltes sont assurés. En effet, la Food Corporation of India (Fci) leur achète chaque année leurs excédents pour les revendre ensuite à perte aux plus démunis dans le cadre du programme national d’aide alimentaire.
Actuellement, plus de des deux tiers de la population, soit environ 820 millions de personnes, bénéficient du programme national d’aide alimentaire, essentiellement dans les villes où la lutte contre la malnutrition est bien organisée. Il en est tout autre en zones rurales !
A ce jour la collecte de la Fci porte par exemple sur à 12 à 15 pour cent de la production indienne de riz. Aucun quota n’est fixé mais le grain livré doit satisfaire certains critères de qualité. Pour les céréales, les livraisons portent sur plus de 60 millions de tonnes.
Enfin, la sécurité alimentaire de l’Inde repose aussi sur la capacité du gouvernement à améliorer ses infrastructures de transport pour acheminer et collecter ses produits agricoles, mais sur des capacités de stockage plus performantes. Même si des progrès ont été déjà été accomplis.
Toutefois, la loi nationale sur la sécurité alimentaire coûte chère aux finances publiques mais pour le gouvernement, il n’est pas question de renoncer à la dimension redistributive de cette loi.
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/la-retentissante-polemique-autour-de-linterdiction-du-boeuf-en-inde/3731 (article de Eddy Fougier sur la vache sacrée en Inde).
Notre photo d’illustration ci-dessous est issue du site Fotolia et montre une rizière en Inde. Lien direct : https://fr.fotolia.com/id/65870500