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Au nom de la terre, une saga familiale pour attirer les cinéphiles vers le monde paysan

Et si le cinéma proposait (enfin) un film précis et documenté sur la réalité du quotidien du monde paysan ? A travers une saga familiale (en partie inspirée de sa propre histoire) racontée sous la forme d’un western moderne, le cinéaste Edouard Bergeon vient de terminer le tournage de Au nom de la terre, à découvrir sur les écrans à l’automne prochain.

WikiAgri a pu assister à l’une des toutes dernières journées de tournage. Edouard Bergeon est auteur de plusieurs reportages et documentaires pour France Télévision. Ce cinéaste de talent présente la particularité d’être également fils de paysan (il avait raconté son histoire dans le documentaire Les fils de la terre, sorti en 2012), et même d’être un jour agriculteur lui-même, puisqu’il a obtenu son BPREA (brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole) récemment, fin novembre. « Certes, je ne suis pas encore sur le tracteur au quotidien, précise-t-il, mais j’aide ma mère exploitante, pour un jour peut-être lui succéder sur la terre de mon père.« 

Une véritable fresque sur 40 ans et trois générations

C’est donc en parfaite connaissance de cause qu’il met en scène une saga familiale sur 40 ans (1982 puis de 1996 à 1999 et de nos jours), avec le souffle d’un western moderne, aux paysages grandioses. Les personnages sont certes inspirés de sa propre vie, mais, à l’inverse du documentaire les fils de la terre, le film Au nom de la terre n’est pas totalement autobiographique. « C’est une fiction inspirée du réel, d’une histoire vraie. Donc il y a du vécu, que j’ai connu, et des scènes entièrement créées. Le but étant de raconter une histoire cohérente avec un propos. Il était impossible de raconter l’histoire exacte, ça ne marcherait pas au cinéma pour un film de fiction, on n’y croirait pas… » Le personnage central, que l’on pourrait apparenter au père du réalisateur et qui s’appelle Pierre dans le film, est campé par Guillaume Canet. A l’affiche également, l’actrice Veerle Baetens, Anthony Bajon, et l’éternel spécialiste des seconds rôles qui marquent : Rufus.

Ce film sur la transmission dans le monde agricole est une véritable fresque. On y découvre d’abord les bonheurs simples de la campagne : à cheval, à vélo, les ados dans le blé lors de la moisson, les scènes des premiers émois, les repas de famille, la piscine en bottes de paille… Parallèlement, Edouard Bergeon veut montrer « le système » et son évolution. Pierre veut la suivre avec un nouveau bâtiment à poulets, alors que son père (dans le film le père Jacques, joué par Rufus) était déjà en plein dans ce système, mais à travers une période favorable, les fameuses 30 glorieuses…

Edouard Bergeon : « Le mal-être des paysans (…) comment le système les précipite vers la faillite et les laisse mourir »

Le système en question y est décrit comme un rouleau compresseur, où les différents acteurs (banque, firme agricole qui opère l’intégration, coopérative…) poussent Pierre à travailler comme un damné, sans forcément être rémunéré en retour si les cours ne suivent pas. Toute ressemblance… n’est pas si fortuite !

Le réalisateur précise le cheminement, et le message essentiel qu’il souhaite diffuser : « J’ai réalisé le documentaire Les fils de la terre qui a ensuite été adapté au théâtre. Pour écrire le scénario de la fiction, je suis reparti d’une feuille blanche avec mes coauteurs. C’est un autre film. Les deux parlent du mal-être des paysans et de leur abandon, ou comment le système les précipite vers la faillite et les laisse mourir « 

Une journée sur le tournage du film

J’ai eu personnellement le privilège d’assister à une journée de tournage. Celui-ci s’est concrétisé en deux temps principaux, le premier l’été dernier, le second fin janvier, afin de montrer le site lors de saisons différentes. La ferme choisie, aux confins de la Mayenne et de l’Orne, est sur une légère butte et surplombe un paysage rural étendu, et surtout de toute beauté. Une ferme qui n’est pas sans rappeler celle qu’Edouard Bergeon a connue enfant, du côté du Poitou. Une véritable ferme comme décor donc.

Vincent Barré, son agriculteur au quotidien dans la « vraie vie », explique qu’il a pu la laisser à disposition (le site ayant été choisi après des reconnaissances de la production du film) parce qu’elle ne constitue plus, aujourd’hui, le site principal de son exploitation. Je l’ai croisé avec son fils Charly, assistant aux scènes de tournage du jour. Evidemment, il ne s’est pas privé de discuter, sans déranger le travail, avec les uns ou les autres. Sur ce qu’il a pu observer sur les coulisses du film, il confie : « Quand il a été question de faire un film sur l’agriculture chez nous, j’avoue que j’étais méfiant. Il y a tellement de gens qui disent n’importe quoi sur le monde agricole, et qui récupèrent notre image. Mais là, en l’occurrence, on voit tout de suite qu’on a affaire à des personnes qui connaissent notre milieu, qui savent comment nous fonctionnons. » Ajoutant, sur le thème du film : « Le mal-être paysan, c’est vrai que ça existe. J’en connais, des collègues autour de moi, qui en souffrent. Et c’est vrai aussi qu’on n’en parle pas. Pas assez en tout cas.« 

Dans le film, une scène essentielle montre un bâtiment d’élevage en flammes, un incendie qui précipite les problèmes financiers du personnage principal, Pierre, campé donc par Guillaume Canet, l’un des meilleurs acteurs du box-office français actuellement. « A l’origine, il y avait une bâtisse en ruines, m’a expliqué rapidement Edouard Bergeon entre deux prises de vues. Nous l’avons retapée, puis incendiée pour les besoins du film. Evidemment, ensuite, tout sera nettoyé, l’agriculteur d’ici n’aura pas à pâtir du tournage.« 

L’opinion de Rufus : « Je n’ai pas souvenir d’autres films qui évoquent ce thème »

Rufus, 76 ans aujourd’hui, a derrière lui une longue carrière cinématographique, quasiment sans interruption depuis 1968, car il a toujours excellé dans les seconds rôles. Là encore, sa présence va sans conteste bonifier le film. Il joue le père Jacques, père de Pierre (Guillaume Canet), sorte de patriarche qui ne parvient pas à comprendre le productivisme dans lequel se jette son fils, lui n’en ayant pas eu besoin, il gagnait de l’argent avec beaucoup moins de bêtes et plus de main-d’oeuvre, mais aussi grâce au contexte des 30 glorieuses…

Lors de ma venue sur le tournage, Rufus tournait une scène dans laquelle le père Jacques, seul, découvrait le sinistre du bâtiment incendié. Une fois sa partie terminée, il m’explique : « Est-ce que je joue le rôle du méchant ? Oui, le père n’arrête pas de tout reprocher à son fils, et ne lui vient pas en aide (Ndlr : le scénario va même plus loin, il continue de percevoir le fermage du fils y compris quand ce dernier est aux abois financièrement). Mais je ne suis pas si sûr, dans le fond, d’être le méchant dans l’affaire. Oui, le personnage est rugueux.« 

Au-delà, j’ai interrogé l’acteur sur ses propres connaissances, son vécu, par rapport au monde paysan, et à ce mal-être décrit dans le film. « Vous savez, moi, j’ai toujours vécu dans des villages. Alors forcément, des paysans, j’en connais, et j’en ai toujours connu. Bien sûr j’ai discuté avec eux. L’agriculture a tellement évolué ces dernières années qu’ils sont comme dépossédés de la réalité de leur vie, ils perdent leurs repères…« 

Alors il s’est pris au jeu. Au-delà du rôle qu’il y tient, Au nom de la terre est devenu pour lui une manière de décrire des réalités que finalement peu de gens connaissent : « Je ne voudrais pas que les gens le perçoivent comme un film dramatique, aient peur d’aller le voir. C’est un beau film, beaucoup de vérités y sont décrites. Je n’ai pas souvenir d’autres films qui évoquent ce thème…« 

Pourquoi aller voir Au nom de la terre ?

Le bonheur de vivre à la campagne, la difficulté à transmettre une exploitation agricole. Jacques transmet son exploitation. Pierre la reçoit, en pleine mutation et mondialisation. Thomas (fils de Pierre donc) part et ne la reprend pas. Cette fresque complète sur trois générations a de quoi ravir le grand public tout comme le monde agricole par son côté « saga familiale ». Nous sommes tous touchés par une cellule familiale, et son évolution à travers les époques. Enfin, la trame du film expose tous les éléments pour se poser des questions sur la transformation de notre société, et les implications sur ses servants. A prendre comme un film détente au premier degré, ou comme le point de départ d’une réflexion profonde : les deux sont possibles !


Ci-dessous, le visuel, « en tournage », du film Au nom de la terre.

Guillaume Canet, l’un des meilleurs acteurs français actuellement, tient le rôle-clé du film (photo Philippe Vandendriessche).

Rufus, qui joue le rôle du père Jacques, le patriarche de la famille (photo Philippe Vandendriessche).

Edouard Bergeon, réalisateur (photo Philippe Vandendriessche).

Edouard Bergeon aux commandes !

Edouard Bergeon avec Rufus.

Préparation d’une scène de tournage devant le bâtiment incendié.

Vincent et son fils Charly Barré, les occupants de la ferme « dans la vie réelle ».

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