Aux Etats-Unis, la politique agricole et une partie des 3 000 milliards de dollars débloqués pour relancer l’économie américaine viennent en appui pour maintenir à flot les farmers. Les producteurs de soja et de maïs font partie des bénéficiaires. En Europe, les agriculteurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes leur a fait comprendre le commissaire européen à l’agriculture Janusz Wojciechowski.
En présentant l’édition 2020 du Cyclope sur les marchés mondiaux, Philippe Chalmin a analysé l’impact de la crise sanitaire sur les marchés agricoles dans un chapitre spécial dédié à cet événement majeur. Sa survenance en mars dernier a rendu quelque peu obsolète l’ouvrage alors même qu’il était prêt à être envoyé à l’impression.
Selon le coordinateur de l’ouvrage, les prix de l’éthanol se sont effondrés et ils resteront durablement faibles tant que les cours du pétrole ne se seront pas redressés. Par ailleurs, les Etats-Unis pourraient finir la prochaine campagne 2020-2021 avec 100 millions de tonnes (Mt) de maïs en stock.
En effet, les farmers vont avoir planté plus de 5 millions d’hectares ce printemps, la plus importante superficie depuis 2012.
Pris dans leur ensemble, les marchés agricoles ont été différemment impactés par la crise sanitaire du Covid-19. Depuis le mois de mars dernier, ils ont surtout été soumis à des facteurs contradictoires, tirant les cours, tantôt à la hausse, tantôt à baisse.
Or les marchés des céréales étaient bien approvisionnés, et ils le seront toujours dans les semaines à venir. Selon le Conseil international des céréales (CIC), la production mondiale de céréales et d’oléo-protéagineux serait de 3 300 Mt durant la campagne 2020-2021. Or en 1986, l’année de la parution de la première édition du Cyclope, les marchés mondiaux, seules 1 500 Mt avaient alors été récoltées, se souvient Philippe Chalmin.
En fait, la crise sanitaire du coronavirus a rappelé la dimension stratégique de la production de maïs. Le fonctionnement du marché de la céréale la plus produite dans le monde (1 168 Mt en 2020-2021 selon le CIC ; + 50 Mt en un an) est étroitement lié à celui des produits pétroliers et des filières animales.
Dès que le confinement de l’économie est entré en vigueur, le marché du maïs dédié au bioéthanol et la production de cet hydrocarbure ont été divisés par deux entre les mois de février et avril. Or, sur les 306 Mt consommées aux Etats-Unis (pour une production de 374 Mt), 155 Mt sont transformées en bioéthanol et 145 Mt en aliments. Par ailleurs, les 43 Mt de grains exportés alimentent les deux filières dans les pays destinataires.
« Le contre-choc pétrolier provoqué de manière irresponsable par l’Arabie Saoudite s’est transformée en un véritable désastre pour les producteurs, analyse Philippe Chalmin. Il durera tant que la production de pétrole ne sera pas encadrée. Or le seuil de rentabilité de la production de cet hydrocarbure avoisine 40 $ ! Et à ce niveau, la production de bioéthanol n’est pas rentable. »
Et comme le Brésil privilégie la production de cannes à sucre aux dépens du bioéthanol, le marché du sucre s’est à son tour effondré.
Cependant, nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle flambée des cours lorsque les stocks de pétrole seront épuisés, et surtout dans l’hypothèse où la baisse des investissements dans le secteur pétrolier et dans le forage de nouveaux puits conduiraient à une baisse structurelle de l’offre.
Sur les marchés agricoles, tout porte à croire que les prix du maïs resteront bas car les cours du pétrole sont bien inférieurs à 60 dollars le baril et la Chine est toujours confrontée à la peste porcine.
Or la production mondiale maïs est estimée à 1 168 Mt, soit 50 Mt de plus que l’an passé.
Mais le Farm Bill, la politique agricole américaine fait rempart contre cette conjoncture de crise en ne décourageant pas les agriculteurs américains de produire comme bon leur semble. De plus, une partie des 3 000 milliards de dollars débloqués pour relancer l’économie américaine va venir en appui pour maintenir les farmers à flot.
Les producteurs de soja et de maïs font partie des bénéficiaires de cette manne. Et comme le ratio de prix soja/maïs – livraison automne 2020 de 2,35 – reste favorable à la céréale aux dépens du soja, ils ont donc planté jusqu’à 5 millions d’hectares de maïs supplémentaires. Avec en plus l’assurance que le Farm Bill leur garantira un chiffre d’affaires minimum.
En Chine, en Inde, en Russie, les politiques agricoles en vigueur protègent aussi les agriculteurs de ces pays des affres conjoncturels. Mais dans l’Union européenne, les agriculteurs sont livrés à eux-mêmes a insinué le commissaire européen à l’agriculture Janusz Wojciechowski, a rapporté Philippe Chalmin.
La Commission européenne n’a pas les moyens pour soutenir, autant qu’aux Etats-Unis, les agriculteurs européens, aurait expliqué le commissaire. Or ces derniers ne sont ni plus ni moins les victimes collatérales de décisions et d’enjeux géopolitiques entre gouvernements étrangers qui leur sont au final défavorables (approvisionnement et gestion du marché mondial du pétrole, guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis…).
La filière « alimentation animale » n’est pas non plus d’un grand secours. « On est en droit de s’interroger sur la demande chinoise : au-delà des déclarations officielles outrageusement sous-évaluées, l’impact de la pandémie sur l’élevage, déjà dévasté par la fièvre porcine, a été considérable – ce dont témoigne la baisse des importations de soja – tandis que les semis de printemps ont pris du retard : à ces deux tendances inverses, on peut ajouter l’incertitude récurrente sur les stocks de céréales que le pays détient. »
Dans l’Union européenne, 14 Mt de blé et d’orges en moins seront utilisées pour nourrir les animaux. Et pour autant, la consommation de maïs régressera d’un million de tonnes au cours de la prochaine campagne. Aussi, même avec une petite récolte de blé, l’Union européenne pourrait avoir les moyens d’exporter jusqu’à 37 Mt de grains au cours de la prochaine campagne.
« Le ministère de l’Agriculture américain (USDA) anticipe un recul de la consommation mondiale de viande d’environ 1 %, après des années de croissance entre + 1 et 2 %, mentionne Jean-Paul Simier, un des contributeurs du Cyclope. La fermeture des restaurants, des cantines et des chaînes de restauration rapide, l’effondrement du tourisme impactent la consommation de viande. »
Les marchés domestiques européens et américains sont déréglés par la crise sanitaire (modification de la consommation et surtout manque de main-d’oeuvre dans les entreprises de transformation), explique encore Jean-Paul Simier.
Ce sont surtout les blocages logistiques (abattoirs, transports) qui pèsent sur les prix des viandes (conteneurs non déchargés en Chine, et désormais chez les exportateurs : Europe, États-Unis ou Argentine).
Dans ce contexte, les récents dilemmes commerciaux entre la Chine et l’Australie sont malvenus. L’île continent peine à expédier de la viande bovine et de l’orge. La Chine a pris des rétorsions commerciales envers elle en taxant l’orge australienne importée. Elle réagit ainsi aux actions anti-dumping sur les métaux engagées par l’Australie et à l’enquête sanitaire lancée sur le coronavirus.
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