Le site américain CareerCast classe depuis quelques années les agriculteurs parmi les pires métiers. Si un tel classement devait être effectué en France, selon les mêmes critères, donnerait-il un résultat similaire ? On peut malheureusement répondre par l’affirmative.
Selon le site de recherche d’emploi américain CareerCast, aux Etats-Unis, les agriculteurs figureraient parmi les pires métiers à exercer en 2014. Cette information a provoqué un certain émoi au sein des réseaux sociaux, notamment au Québec. Qu’en est-il au juste ?
CareerCast évalue 200 emplois sur la base de quatre grands critères qui se subdivisent en plusieurs sous-critères : (1) l’environnement du travail (avec une composante physique et une émotionnelle), (2) la rémunération (dont le potentiel de croissance de cette rémunération), (3) les perspectives (la croissance de l’emploi, la croissance potentielle de la rémunération, le niveau du chômage), (4) le stress (en prenant en compte onze facteurs de stress, comme la concurrence, les exigences physiques, les conditions environnementales, ou encore le fait d’avoir la charge de la vie d’autres personnes). Ces critères sont pondérés de façon différente : un tiers pour la rémunération, un tiers pour les perspectives et un tiers pour l’environnement du travail et le stress. Au final, cela donne une liste des métiers qui va des meilleurs – ceux qui ont le moins de points – aux pires – ceux qui en ont le plus.
Dans le classement établi en 2014, ce sont les mathématiciens qui arrivent en tête, devant les professeurs d’université (un tel classement en France n’aurait à coup sûr pas donné le même résultat) et les statisticiens, tandis que les bûcherons ferment la marche, au 200e et dernier rang, après les journalistes de la presse écrite et le personnel enrôlé dans l’armée. Les agriculteurs, quant à eux, arrivent en 182e position (tableau 1). Les agriculteurs laitiers, qui ont leur propre catégorie, sont, de leur côté, 172e.
Est-ce nouveau ? Pas vraiment, du moins si l’on en croît les derniers classements des métiers. CareerCast publie, en effet, un tel classement chaque année depuis 1988. Or, ces dernières années, les agriculteurs tendent à figurer en queue de peloton (graphique 1), avec même une tendance à voir leur classement se dégrader sur la dernière période. On ne dispose pas malheureusement sur le site de CareerCast des classements précédents pour pouvoir en tirer de quelconques enseignements.
Les agriculteurs figurent-ils également parmi les pires métiers en France ? Il n’existe pas, bien évidemment, de ce côté-ci de l’Atlantique de classement équivalent à celui que produit chaque année le site CareerCast. Mais si ce classement devait exister, il paraît évident que les agriculteurs seraient parmi les plus mal classés. En effet, pour chacun des critères pris en compte par CareerCast, la situation des agriculteurs en France apparaît plutôt mauvaise. WikiAgri reprend un à un ces critères.
On a observé, en effet, en France en 2013 une baisse du revenu agricole. Les comptes présentés en juillet 2014 devant la Commission des comptes de l’agriculture de la Nation (CCAN) indiquent ainsi qu’en 2013, le revenu d’activité moyen par actif se serait élevé à 27 900 euros, alors qu’il était de 35 900 euros en 2012. Cela représente tout de même une baisse de 22 % en l’espace d’un an (graphiques 2 et 3). Ce chiffre correspond au résultat courant avant impôts, c’est-à-dire au solde des ressources d’une exploitation (productions, subventions) et de ses charges, solde qui est ensuite divisé par le nombre d’actifs non-salariés.
Or, les perspectives en termes de revenus pour 2014 ne semblent pas non plus très réjouissantes, compte tenu de l’accumulation d’événements négatifs depuis le début de l’année. Le premier est bien entendu l’embargo russe sur les produits alimentaires décrété en août dernier (après l’embargo sur l’importation de porcs du début de l’année) qui pèse fortement sur l’agriculture française étant donné que, selon le ministère de l’Agriculture, la Russie avait importé des produits agricoles français pour un montant d’environ 1,2 milliard d’euros en 2013. Par ailleurs, une production mondiale record de céréales contribue à une baisse des prix. Or, fait aggravant, en France, la récolte de blé est jugée médiocre, en raison des conditions climatiques (été froid et pluvieux), ce qui devrait contribuer à réduire les exportations françaises en la matière. Ceci a fait dire à Xavier Beulin, le président de la FNSEA, cité dans une dépêche de l’agence Reuters du 12 septembre dernier, que « rarement le secteur avait connu une telle combinaison de mauvaises nouvelles ».
En ce qui concerne les critères de stress et d’environnement du travail, les agriculteurs semblent aussi être particulièrement mal placés par rapport aux autres professions. En témoignent deux résultats symptomatiques qui sont bien connus maintenant : le taux de suicide de la profession et le burn out de nombreux agriculteurs.
En octobre 2013, une étude publiée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) avait montré pour la première fois de façon officielle en France que le taux de suicide était élevé chez les agriculteurs sur la période 2007-2009, avec en moyenne un suicide tous les deux jours (graphique 4) et qu’ils étaient l’une des professions les plus touchées par ce fléau, si ce n’est la profession la plus affectée (graphique 5).
Une autre étude parue en janvier 2014 avait, quant à elle, indiqué que les agriculteurs étaient la profession la plus susceptible d’être concernée par le burn out (Graphique 6), le syndrome d’épuisement professionnel que le cabinet Technologia a tenté d’évaluer à travers la combinaison d’un travail excessif et d’un travail compulsif.
Enfin, les perspectives d’emploi semblent être loin d’être au beau fixe dans la profession. Selon une étude de l’Insee parue en 2014, la part de l’agriculture dans l’emploi total a été divisée par trois entre 1975 et 2012. Un rapport sur Les métiers en 2022 publié en juillet 2014 par France Stratégie, l’ancien Commissariat général du plan, et la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère de l’Emploi (Dares) montre également que l’emploi dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche a régressé de 34 % entre 1992 et 2012 (graphique 7). C’est encore plus nettement le cas pour l’emploi des agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs sur la même période puisque celui-ci a baissé de 48 %(graphique 8).
La part du secteur de l’agriculture et de la pêche dans l’emploi total est ainsi passée de 6,3 % à 3,7 % entre 1992 et 2012 (Graphique 9). Ceci est lié à une très forte contraction des emplois dans le secteur agricole lors des deux dernières décennies (Graphique 10).
Or, les perspectives ne sont guère plus optimistes. Entre 2012 et 2022, le secteur agriculture, marine, pêche devrait perdre encore 76 000 emplois (Graphique 10). C’est d’ailleurs le secteur qui devrait enregistrer le plus grand nombre de pertes d’emplois durant cette période.
Ces pertes devraient en premier lieu concerner les agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs : 90 000 emplois devraient ainsi disparaître dans ce secteur d’ici 2022. Il s’agit tout simplement de la profession qui devrait perdre le plus grand nombre d’emplois de 2012 à 2022 (tableau 2).
Alors, être agriculteur, est-ce vraiment le pire des métiers ? Non, car à l’évidence, ce métier reste très estimé par les Français, même si l’enquête annuelle du magazine Orientations sur les métiers préférés des Français ne le prend pas en compte (dans l’édition 2014 du classement des métiers préférés, les viticulteurs arrivent néanmoins en 21e position).
N’y a-t-il donc aucune raison de se réjouir ? Il y en a. Ainsi, malgré ce flot de mauvaises nouvelles, les agriculteurs sont bien classés dans le « palmarès du bonheur professionnel » qui avait été divulgué dans Le Nouvel Observateur en 2013 sur la base d’une étude menée par l’institut Viavoice. Ainsi, sur les vingt-trois professions répertoriées, les agriculteurs arrivaient en deuxième position des métiers apportant, d’après eux, le plus de satisfactions professionnelles, devant les enseignants, les médecins, les professions libérales, les cadres d’entreprise ou encore les ingénieurs. 86 % des agriculteurs interrogés se disaient ainsi heureux dans leur travail, contre 11 % qui pensaient le contraire. C’est bien davantage que la moyenne des actifs sondés qui sont 73 % à se dire heureux au travail.
Ceci s’explique en partie parce que le métier d’agriculteur est d’abord un métier-passion. C’est en tout ce qu’affirment 82 % des agriculteurs interrogés. Parmi les 23 professions, ils arrivent également en seconde position sur cette question. Une autre explication réside dans l’utilité sociale de ce métier. 84 % des agriculteurs pensent, en effet, que leur profession est utile à la société. Ils arrivent après le groupe des métiers généralement considérés comme utiles pour la société comme les professions médicales et sociales ou encore les enseignants.
Alors, ce n’est peut-être pas le pire des métiers à l’exception de tous les autres, mais ce métier-passion utile pour la société qui apporte de la satisfaction à ceux qui l’exercent ne peut pas être le pire des métiers…
En savoir plus : www.careercast.com/jobs-rated/2014-jobs-rated-methodology (méthodologie utilisée par le site CareerCast), http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/comptenational2014bspca.pdf (Rapport sur les comptes de l’agriculture française en 2013 élaboré par l’INSEE), http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Comptes2014_indrevenu_bspca.pdf (Indicateurs provisoires de résultats des exploitations agricoles en 2013 de la Commission des comptes de l’agriculture de la Nation), http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKBN0H71XR20140912 (source de la citation de Xavier Beulin), www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/Travail-et-sante/2013/Surveillance-de-la-mortalite-par-suicide-des-agriculteurs-exploitants (étude de l’InVS sur le suicide des agriculteurs), www.europe1.fr/France/Le-suicide-des-agriculteurs-dramatique-tendance-1670597/ (données sur le suicide par profession mentionnées sur le site Europe1.fr), www.technologia.fr/blog/wp-content/uploads/2014/01/Etude-burnout-apports-quanti.pdf (rapport sur le burn out publié par le cabinet Technologia en janvier 2014), www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/Histo14.pdf (rapport de l’INSEE de 2014 sur trente années de vie économique et sociale), http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/CGSP_DARES_Les_metiers_en_2022.pdf (rapport de France Stratégies et de la Dares sur les métiers en 2022), www.e-orientations.com/debouches-metiers/palmares-metiers/palmares-des-metiers-2014 (le palmarès des métiers en 2014 du magazine Orientations), www.institut-viavoice.com/docs/Les-palmares-du-bonheur-professionnel_Viavoice-pour-Le-Nouvel-Observateur.pdf (étude Viavoice de 2013 sur le palmarès du bonheur professionnel), http://tempsreel.nouvelobs.com/le-dossier-de-l-obs/20131024.OBS2621/prof-agriculteurs-fonctionnaires-ces-8-metiers-qui-rendent-heureux.html (dossier du Nouvel Observateur de 2013 sur les métiers qui rendent heureux).
La photo ci-dessous est signée Jean-Marie Leclère. http://www.a-votreimage.com
Par Eddy Fougier
J'interviens régulièrement dans Wikiagri.fr dans la rubrique "Réflexions". Je suis un "chasseur" de tendances émergentes, d'initiatives originales et d'innovations en lien avec l'agriculture, l'alimentation et les relations, souvent compliquées, entre le monde agricole et le reste de la société. 