Une étude récente de l’INSEE sur 50 ans de consommation alimentaire en France montre que le panier alimentaire des ménages français a grandement évolué durant cette période. Elle contient aussi quelques enseignements intéressants pour le monde agricole.
L’INSEE vient de publier en octobre 2015 une étude sur 50 ans de consommation alimentaire en France, plus précisément entre 1960 et 2014, qui contient plusieurs enseignements intéressants. Durant cette période, la croissance de la consommation de produits alimentaires a bien entendu progressé en volume. En revanche, la part de cette consommation dans l’ensemble des dépenses de consommation des Français a baissé.
Ensuite, ce que l’INSEE appelle le « panier alimentaire« , à savoir la consommation à domicile des différents types de produits alimentaires et de boissons, a largement évolué. En clair, aujourd’hui, on ne se nourrit plus et on ne boit plus de la même manière qu’en 1960 ou même que dans les décennies suivantes. Cela se traduit notamment par une plus grande diversité de la consommation de produits alimentaires. En 1960, la consommation des quatre principaux produits (viande, fruits et légumes, boissons alcoolisées, pain et céréales) représentait 72 % de la consommation alimentaire. Elle n’en représentait plus que 61 % en 2014.
Enfin, l’INSEE note aussi de façon assez intéressante que les recommandations sanitaires visant à inciter les Français à avoir une alimentation plus saine, comme le programme « Manger au moins 5 fruits et légumes par jour » lancé en 2007, n’ont finalement qu’un impact assez limité sur la consommation alimentaire. Si, depuis 2009, on observe une progression de la consommation de fruits, celle de légumes est restée stable en moyenne annuelle par exemple.
Alors que retenir de l’étude de l’INSEE ? Dix chiffres et dix graphiques symptomatiques de dix évolutions dans la consommation alimentaire des ménages français depuis 50 ans.
C’était le montant total en euros du budget « alimentation » des ménages en France en 2014. L’INSEE comptabilise dans ce budget les dépenses d’alimentation à domicile, soit les produits alimentaires et les boissons consommés à domicile, ainsi que l’alimentation dite « hors domicile » (voir plus loin). Les produits alimentaires sont les pains et céréales (dont les pâtes alimentaires et la pâtisserie), les viandes, poissons et crustacés, les œufs, les produits laitiers, les fruits, les légumes, les plats préparés, les produits sucrés et d’autres produits, comme les matières grasses ou les épices. Les boissons sont les boissons alcoolisées et non alcoolisées (eaux minérales, jus de fruit, café, thé, cacao). Cela représentait au total près de 11 % du PIB en 2014.
C’était le montant total en euros des dépenses d’alimentation hors domicile en 2014. Ces dépenses hors domicile sont des dépenses qui ont été effectuées par les ménages français dans les restaurants, les cantines, les cafés, les traiteurs et les achats de sandwichs (ne sont pas pris en compte les petits-déjeuners pris à l’hôtel). Ces dépenses représentaient 26 % du total des dépenses d’alimentation (graphique 1). Cette part a augmenté depuis 1960 puisqu’elle s’établissait alors à 14 %.
Graphique 1 : évolution de la part des dépenses alimentaires à domicile et hors domicile dans les dépenses alimentaires des ménages français entre 1960 et 2014, en pourcentagesSource : INSEE.
En volume les dépenses de consommation alimentaire hors domicile progressent pourtant de façon moins rapide que les dépenses au domicile : + 0,7 % par an entre 1960 et 2014 pour les premières, contre + 1,2 % pour les secondes. La progression de leur part depuis 1960 s’explique donc avant tout par la hausse des prix puisque les prix de l’alimentation hors domicile ont augmenté de 5,9 % en moyenne par an entre 1960 et 2014. Il s’agit aussi à l’évidence d’une dépense qui varie grandement en fonction de l’évolution des prix et des revenus. En outre, si les dépenses dans les cafés tendent à baisser depuis 1960, celles dans les restaurants et les cantines s’accroissent.
C’est le montant moyen en euros des dépenses d’alimentation des ménages français par habitant sur une année. Cela représente une dépense moyenne de 300 euros par mois et de près de 10 euros par jour.
Une autre étude de l’INSEE indiquait en novembre 2014 que les Français dépensaient plus en moyenne que les autres Européens dans les secteurs de l’alimentation et des boissons non alcoolisées. En 2012, leur consommation par habitant était ainsi supérieure de 16 % à la moyenne européenne, contre par exemple une consommation allemande supérieure de 3 % à la moyenne européenne ou une consommation britannique inférieure de 10 % à cette moyenne. En revanche, la consommation hors domicile est plus faible en France que dans des pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni. Selon cette même étude, les Français consommaient aussi plus de poissons que les Allemands, et plus de viande que les Allemands ou les Britanniques.
C’est le nombre d’années couvertes par l’étude de l’INSEE. Or, il est évident qu’entre 1960 et 2014, tout a changé dans le domaine et le « paysage » de l’alimentation. Tout d’abord, du côté de la demande, la taille et la composition socioprofessionnelle de la population française a largement évolué. En 1960, la France métropolitaine comptait 45,5 millions d’habitants. Elle en comptait près de 20 millions de plus en 2014, avec une population de 63,9 millions, soit une croissance de 40 %. Au début des années 1960, les agriculteurs et les ouvriers représentaient encore à eux seuls une majorité de la population active : 55 % selon les données de l’INSEE pour 1962. Aujourd’hui, ils en représentent à peine un quart. On est ainsi passé d’un régime alimentaire dominant d’ouvriers et de paysans, qui visait à répondre à une importante dépense d’énergie par la consommation de pain, de viande, de charcuterie, de pommes de terre, de vins de faible qualité… à un régime alimentaire de citadins qui travaillent principalement dans le secteur des services.
Du côté de l’offre, la situation a aussi largement évolué puisque la production agricole a beaucoup progressé depuis les années 1960, tandis que l’agriculture perdait de son importance relative dans l’économie du pays avec un nombre d’exploitations divisé par 4,5 entre le milieu des années 1950 et 2010. Une étude publiée par Agreste indiquait, en effet, que le nombre d’exploitations agricoles s’établissait à 2,3 millions en 1955 pour une population active agricole de 6,2 millions de personnes, soit 31 % de l’emploi total. D’après l’INSEE, il n’y avait plus que 515 000 exploitations agricoles en 2010 et les personnes travaillant dans le secteur agriculture, sylviculture et pêche représentaient seulement 3,0 % de la population en emploi en 2013.
Enfin, il est évident qu’à la différence de ce qui pouvait se passer en 1960, les industries agroalimentaires jouent désormais un rôle crucial dans la transformation des produits agricoles (en témoignent par exemple la croissance de la part des produits transformés ou des produits sucrés dans le « panier » alimentaire des Français), tout comme la grande distribution dans leur distribution. Rappelons par exemple que l’enseigne Carrefour a été créée en 1960 et que le groupe BSN, devenu le groupe Danone en 1994, est né en 1966.
C’était la part de la consommation d’alcools forts dans la consommation de boissons alcoolisées en France en 2014 (graphique 2). Les alcools forts sont les alcools les plus consommés par les ménages français, devant les vins de qualité supérieure (23 %) et la bière (17 %).
Graphique 2 : part de la consommation des différents alcools dans la consommation de boissons alcoolisées en 2014, en pourcentages Source : INSEE.
On a pu observer une transformation de la consommation d’alcools en France depuis 50 ans (graphique 3). En 1960, dominait, en effet, la consommation de vins de consommation courante, qui représentaient alors en valeur 47 % de l’ensemble des boissons alcoolisées. Ce n’est plus le cas en 2014 puisque la consommation de ce type de vins n’en représente plus que 9 %. Cela signifie également que l’on est passé d’une consommation d’alcool à domicile qui était quotidienne et courante à une consommation plus occasionnelle et plus « festive ».
Graphique 3 : évolution de la part de la consommation des différents alcools dans la consommation totale d’alcools en France entre 1960 et 2014, en pourcentages Source : INSEE.
C’était la part en pourcentage des dépenses d’alimentation dans le total des dépenses de consommation des ménages français en 2014. Cette part a diminué de façon régulière jusqu’à la crise des années 2000 puisqu’elle s’élevait à 34,6 % en 1960 (graphique 4) et représentait alors le principal poste de dépenses de consommation. Aujourd’hui, d’après l’INSEE, les dépenses d’alimentation sont devancées par les dépenses de logement, de chauffage et d’éclairage.
Graphique 4 : évolution de la part de l’alimentation dans les dépenses de consommation des ménages français entre 1960 et 2014 Source : INSEE.
Cette baisse s’explique en grande partie par la fameuse loi de Engel, du nom de l’économiste et statisticien allemand du XIXe siècle Ernst Engel. Celle-ci stipule que plus un individu est pauvre et plus la part de son revenu qui sera consacrée à la nourriture sera élevée. L’alimentation fait donc partie de ces biens dont la part dans la consommation totale tend à baisser avec l’accroissement du revenu. La réduction de la part de la consommation alimentaire dans la consommation en France entre 1960 et 2014 signifie donc que le pays a connu une importante élévation de son niveau de vie durant cette période.
La part des dépenses alimentaires dans les dépenses de consommation des Français s’est néanmoins légèrement redressée depuis 2008 puisque celle-ci avait atteint un point bas en 2007 avec un taux de 19,4 %, avant de remonter à 20,4 % en 2013 et 2014 (graphique 5).
Graphique 5 : évolution de la part de l’alimentation dans les dépenses de consommation des ménages français entre 2000 et 2014 Source : INSEE.
D’après l’INSEE ce léger redressement s’explique par deux facteurs : (1) les dépenses alimentaires, de facto difficilement compressibles, sont en conséquence moins affectées par la crise et le ralentissement du pouvoir d’achat, (2) et dans la période récente, les prix de l’alimentation ont progressé plus rapidement que ceux des autres produits de consommation. FranceAgrimer, dans une étude parue en septembre 2014, parlait à ce propos de l’alimentation en tant que « valeur refuge » en période de crise.
C’était aussi la part en pourcentage de la viande dans les dépenses alimentaires des ménages français en 2014 (graphique 6). Il s’agit de la principale dépense alimentaire des Français, devant les fruits et légumes (15,5 %), le pain et les céréales (12,9 %) et les boissons alcoolisées (12,0 %).
Graphique 6 : part des différents produits alimentaires dans les dépenses alimentaires à domicile des ménages français en 2014, en pourcentages Source : INSEE.
La part de la viande tend néanmoins à se réduire depuis les années 1980 après avoir atteint un sommet en 1967 avec un taux de 26 % (graphique 7). En effet, la consommation de viande progresse moins rapidement que d’autres types de consommation alimentaire.
Graphique 7 : évolution de la part de la viande dans les dépenses alimentaires à domicile des ménages français entre 1960 et 2014 Source : INSEE.
Les autres produits alimentaires qui voient leur part baisser dans la consommation alimentaire des Français depuis 1960 sont les fruits et légumes, les pains et les céréales et les boissons alcoolisées (graphique 8). Il est cependant à noter que les évolutions peuvent être disparates au sein même de ces catégories avec, par exemple, une baisse de la part du pain, mais une hausse de celle des autres produits que le pain à base de céréales (pâtes, biscuits, riz, farine…). En outre, la part d’autres produits alimentaires a pu croître entre 1960 et 1990, pour diminuer depuis. C’est le cas, par exemple, de la consommation de poisson et de boissons alcoolisées.
Graphique 8 : les produits alimentaires dont la part dans la consommation alimentaire a baissé entre 1960 et 2014, en pourcentages Source : INSEE.
C’est la croissance moyenne annuelle en pourcentage par habitant entre 1960 et 2014 de la consommation de plats préparés. La consommation de plats préparés et de produits transformés (ex. pommes de terre en purée) apparaît ainsi de plus en plus importante. Il s’agit même des produits alimentaires qui ont vu leur part progresser de la façon la plus spectaculaire ces 50 dernières années (graphique 9).
Graphique 9 : évolution de la part des plats préparés dans les dépenses alimentaires à domicile des ménages français entre 1960 et 2014 Source : INSEE.
Cette progression est bien entendu liée à la réduction du temps de préparation des repas à domicile, qui, d’après l’INSEE, serait de l’ordre de 25 % entre 1986 et 2010, ce qui tend à favoriser la consommation de produits transformés faciles à préparer, comme les pizzas ou les yaourts. Cet impact du mode de vie est, par exemple, particulièrement perceptible dans le mode de consommation des pommes de terre. Si la consommation de pommes de terre brutes tend à baisser depuis 1960, celle des produits dérivés de la pomme de terre, eux, augmentent. On observe le même type d’évolution pour les légumes depuis les années 1990 avec une stabilité de la consommation de légumes non transformés et une progression de celle des légumes coupés ou emballés. Cela tend à démontrer également l’influence de plus en plus importante des industries agroalimentaires sur la consommation alimentaire des Français.
Les autres produits alimentaires qui ont vu leur part progresser entre 1960 et 2014 sont les œufs et les laitages, les boissons non alcoolisées, les produits sucrés (sucre, confiserie, chocolat, confitures, etc.) et le poisson (graphique 10).
Graphique 10 : les produits alimentaires dont la part dans la consommation alimentaire a progressé entre 1960 et 2014, en pourcentages Source : INSEE.
C’est la hausse moyenne des prix de l’alimentation au domicile en pourcentage chaque année entre 1960 et 2014.
C’est la croissance annuelle moyenne en volume en pourcentage par habitant de la consommation alimentaire en France entre 1960 et 2014. Celle-ci progresse à un rythme deux fois moins rapide que l’ensemble des dépenses de consommation des ménages.
Quelles conclusions le monde agricole peut-il tirer de ce type d’étude ? Même si la demande pour les produits agricoles est désormais internationale, il est tout de même intéressant de voir comment évolue le marché alimentaire français sur longue période parce qu’il reste important et parce qu’il peut être aussi symptomatique de l’évolution d’autres marchés, notamment européens.
Cette étude de l’INSEE permet sans aucun doute de tirer deux types d’enseignement. Le premier est que certains produits alimentaires apparaissent peu sensibles à la hausse de leur prix relatif. En effet, si la consommation de viande de bœuf, de lait, de fruits frais, de yaourts, de glaces ou de chocolat et de confiserie tend à baisser en toute logique lorsque leur prix augmente, ce n’est pas le cas d’autres produits dont la consommation va rester stable, y compris en cas de hausse de prix. Entrent dans cette catégorie des produits comme les pâtes alimentaires, le pain, la charcuterie, le porc, les poissons frais non transformés ou en morceaux, les confitures, le beurre, mais aussi certains alcools tels que les eaux-de-vie, les champagnes et mousseux et les vins de qualité supérieure. Ce sont donc à la fois des produits de base, dont les consommateurs peuvent difficilement se passer, à l’exemple du pain, des pâtes (on peut souligner à ce propos de façon assez significative que lorsque le pouvoir d’achat augmente, la consommation de pain et de pâte, elle, tend à baisser…), du beurre ou de la viande de porc, mais aussi des produits dits de luxe, comme les champagnes et les vins à appellation, que l’on va continuer à consommer même si leur prix augmente.
Il est aussi intéressant de voir à quel point l’évolution du pouvoir d’achat peut avoir un impact différencié sur la consommation de certains produits, comme la viande. Ainsi, la hausse du pouvoir d’achat entraîne une forte hausse de la consommation de viande de mouton, de porc et de volaille, une faible hausse de celle de charcuterie et une stabilité de celle de viande de bœuf et de veau. Il en est de même pour le poisson. Une hausse du pouvoir d’achat conduit à une forte hausse de la consommation de poissons frais en morceaux, une faible hausse de celle de poissons frais non transformés et une stabilité de celle de poissons congelés.
Insensibilité vis-à-vis des prix ou impact différencié du pouvoir d’achat sur la consommation alimentaire des ménages français, assurément, ces informations sont loin d’être négligeables en période de crise, notamment des éleveurs, et d’interrogations sur l’avenir de certaines filières agricoles.
En savoir plus : www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1568/IP1568.pdf (étude de l’INSEE publiée en octobre 2015 sur 50 ans de consommation alimentaire), www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1523/ip1523.pdf (étude de l’INSEE parue en novembre 2014 sur la consommation par habitant en France et en Europe), www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=bilan-demo&page=donnees-detaillees/bilan-demo/pop_age3.htm (données de l’INSEE sur l’évolution de la population française), www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&id=3071%C2 (données de l’INSEE sur la population active en 1962), http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/AGRIFRA07c-2.pdf (données d’Agreste sur le monde agricole en 1955), www.franceagrimer.fr/content/download/33722/305888/file/A4-Les%20d%C3%A9penses%20alimentaire%20des%20m%C3%A9nage%20fran%C3%A7ais.pdf (étude de FranceAgrimer parue en septembre 2014 sur la consommation alimentaire en période de crise), www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/tef2015.pdf (Tableaux de l’économie française 2015 de l’INSEE contenant des données sur le monde agricole : nombre d’exploitations et part dans la population active).
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