En 1996, puis en 2000, la communauté internationale s’était donnée pour objectif de réduire de façon significative la faim dans le monde à l’horizon 2015. La parution en mai de L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde en établit le bilan, avec une analyse qui met en avant les rôles de la croissance économique et de l’agriculture.
Cette année, exceptionnellement, le rapport sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde n’est pas publié au mois de septembre, mais en mai. Il est toujours élaboré par les trois institutions des Nations unies en charge de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de l’alimentation qui ont toutes leur siège à Rome : l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le Programme alimentaire mondial (PAM).
2015 est, en effet, une année « spéciale » en matière de faim dans le monde pour deux raisons. La première est que les Etats qui ont participé au Sommet mondial de l’alimentation (SMA), organisé à Rome en novembre 1996, s’étaient engagés à « éradiquer la faim dans tous les pays, avec pour objectif immédiat de réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées d’ici 2015 au plus tard ». La seconde raison est que les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) définis par les Etats réunis en 2000 lors du Sommet du Millénaire à New York au siège des Nations unies, visaient notamment à « réduire de moitié, d’ici à 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim » par rapport à 1990. C’est la FAO qui a été chargée de suivre la réalisation de ces deux objectifs de réduction du nombre de personnes sous-alimentées (SMA) et de leur proportion (OMD) en partant de la période de référence 1990-1992.
L’heure est donc à l’établissement d’un bilan en la matière. Or, le rapport sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde parle à ce propos « des progrès inégaux » effectués dans la lutte contre la sous-alimentation entre le début des années 1990 et 2015. Cela signifie que des progrès ont été certes accomplis dans cette lutte dans le monde, dans certaines régions et certains pays, mais que de nombreuses zones y échappent, notamment en Afrique subsaharienne.
D’après l’édition 2015 du rapport sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde est passé sous le seuil de 800 millions. Pour la période 2014-2016, le rapport évalue, en effet, leur nombre à 795 millions de personnes dans le monde, ce qui représente 11 % de la population mondiale. Malgré une importante croissance de la population mondiale ces dernières décennies – celle-ci a augmenté de 1,9 milliard entre le début des années 1990 et 2015 pour atteindre un peu plus de 7 milliards –, le nombre absolu de personnes souffrant de la faim tend à baisser : de 167 millions depuis 10 ans et de 216 millions depuis le début des années 1990 (graphique 1).
Graphique 1 : nombre de personnes sous-alimentées, en millions
Cette tendance à la baisse de la population souffrant de la faim dans le monde est liée en particulier à la réduction de la sous-alimentation dans les deux principales puissances démographiques mondiales, que sont la Chine et, dans une moindre mesure, l’Inde (graphique 2). Si la Chine et l’Inde totalisaient à elles deux 499 millions de personnes sous-alimentées en 1990-1992, soit 49 % du total mondial, elles n’en regroupent plus que 328 millions en 2014-2016, avec 41 % du total mondial. Cela signifie par conséquent que 79 % de la réduction de la faim dans le monde est imputable à la baisse de la sous-alimentation dans ces deux seuls pays.
Graphique 2 : nombre de personnes sous-alimentées en Chine et en Inde, en millions
Au total, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde a été réduit de 21 % entre 1990-1992 et 2014-2016. Cette tendance va dans le bon sens, mais on est encore loin de l’objectif défini en 1996 par le SMA. Le rapport sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde estime néanmoins que, compte tenu de l’augmentation de la population durant la période 1990-2015, « ce sont près de deux milliards de personnes qui ont été libérées d’un état de sous-alimentation probable au cours des 25 dernières années ».
Les difficultés à parvenir à l’objectif de réduire de moitié la population souffrant de la faim – celle-ci aurait été alors de l’ordre de 515 millions, contre 780 millions dans la réalité pour les pays en développement (PED), soit une différence de quelque 265 millions – s’expliquerait selon les auteurs du rapport par les facteurs suivants : des prix de l’alimentation et de l’énergie globalement élevés, une volatilité des prix des produits de base, plusieurs crises économiques, durant les années 1990 dans les pays en développement et depuis 2008-2009, mais aussi des catastrophes naturelles et des phénomènes météorologiques extrêmes. N’oublions pas, en effet, que ces dernières années ont été marquées par plusieurs crises alimentaires se caractérisant par une hausse spectaculaire du prix des denrées alimentaires. Enfin, l’instabilité politique et les conflits ont aussi contribué à dégrader la sécurité alimentaire dans de nombreux pays.
L’évolution de la faim apparaît également très contrastée selon les régions (graphique 3) et les pays (graphique 4). Entre les périodes 1990-1992 et 2014-2016, le nombre de personnes sous-alimentées a ainsi progressé de 144 % en Afrique centrale, de 130 % au Moyen-Orient, de 52 % en Océanie et de 20 % en Afrique de l’Est, alors qu’il a baissé de 40 % en Asie centrale-Caucase, de 56 % en Asie du Sud-Est, de 51 % en Asie de l’Est, de plus de 50 % en Amérique du Sud et de 28 % en Afrique du Nord.
Graphique 3 : nombre de personnes sous-alimentées par région, en millions
Ces contrastes sont tout aussi marqués selon les pays puisque la population souffrant de la faim a plus que doublé dans les pays suivants : +470 % en Irak, +173 % en Zambie, +163 % en Tanzanie, +146 % à Madagascar, +144 % au Swaziland, +143 % en Ouganda, +140 % au Libéria, +126 % en Afghanistan, +119 % en Corée du Nord, +112 % en Côte d’Ivoire. Figurent d’ailleurs parmi eux nombre de pays qui ont connu des conflits durant cette période : Irak, Libéria, Afghanistan, Côte d’Ivoire.
Graphique 4 : nombre de personnes sous-alimentées par pays, en millions
Enfin, le rapport note un ralentissement de la réduction du nombre de personnes sous-alimentées ces dernières années. Celui-ci est lié, d’après les auteurs du rapport, à deux facteurs : (1) un ralentissement de la croissance économique dans les pays en développement, et (2) une instabilité politique dans certaines régions, comme l’Afrique centrale et le Moyen-Orient.
A la différence notable de l’objectif du SMA de 1996, l’objectif de l’OMD, lui, a été quasiment atteint. La proportion de personnes souffrant de la faim est, en effet, passée de 18,6 % en 1990 à 10,9 % en 2014-2016 dans le monde et de 23,3 % à 12,9 % sur la même période dans les pays en développement (graphique 5), soit une baisse de 44 %.
Graphique 5 : part des personnes sous-alimentées, en pourcentages de la population totale
Cet objectif a même été atteint dans certaines régions comme l’Amérique latine, l’Asie de l’Est, l’Asie du Sud-Est, l’Asie centrale et le Caucase, l’Afrique de l’Ouest ou encore l’Afrique du Nord (graphique 6).
Graphique 6 : part des personnes sous-alimentées, en pourcentages de la population totale
En revanche, dans d’autres régions, comme l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe, l’Asie du Sud et le Moyen-Orient, les résultats ont été bien moins satisfaisants (graphique 7).
Graphique 7 : part des personnes sous-alimentées, en pourcentages de la population totale
De nombreux pays en développement ont également réussi à réduire de moitié la proportion de leur population souffrant de faim chronique. Ainsi, sur les 129 pays en développement qui ont été suivis par les agences onusiennes, 72 sont parvenus à réaliser cet objectif, tandis que 29 d’entre eux ont également atteint l’objectif de réduction de moitié de la population sous-alimentée (objectif du SMA). C’est le cas, par exemple, du Brésil, du Cameroun, du Chili, de la Chine, du Pérou, de la Thaïlande ou du Venezuela.
La sous-alimentation chez l’enfant est souvent mesurée par l’insuffisance pondérale, à savoir un poids inférieur par rapport à la moyenne des enfants du même âge, même si celle-ci peut être liée aussi à d’autres facteurs que la faim, comme la maladie, les conditions d’hygiène ou l’accès à de l’eau propre. Le retard de croissance chez l’enfant est un autre indicateur de sous-alimentation.
En effet, outre la réduction de la proportion de personnes sous-alimentées, les Objectifs du Millénaire pour le développement visent également à la réduction de l’insuffisance pondérale chez les enfants de moins de 5 ans. Or, en l’occurrence, on a pu également observer une baisse de la part des enfants concernés dans les pays en développement, de 27,4 % en 1991 à 16,6 % en 2013, soit une baisse de l’ordre de 39 %. Celle-ci est néanmoins moins rapide que celle qui concerne la part des personnes sous-alimentées.
C’est en Asie du Sud que la part des enfants souffrant d’insuffisance pondérale est la plus élevée au monde : 30,0 % d’entre eux sont concernés, contre 21,1 % pour les enfants d’Afrique subsaharienne ou encore 16,6 % pour ceux d’Asie du Sud-Est (graphique 8).
Graphique 8 : part des enfants de moins de 5 ans souffrant d’insuffisance pondérale,
en pourcentages de la population des enfants de moins de 5 ans
On a pu observer une baisse de cette part entre 1991 et 2013 dans toutes les régions en développement, à l’exception de l’Afrique australe (graphique 9). C’est en Asie de l’Est que cette baisse a été la plus prononcée durant cette période.
Graphique 9 : variation annuelle moyenne de la part des enfants de moins de 5 ans
souffrant d’insuffisance pondérale, en pourcentages
Le quart de siècle qui vient de s’écouler a été riche d’enseignements en matière de lutte contre la sous-alimentation dans les pays pauvres. L’objectif, selon les auteurs du rapport, est, en effet, que « des aliments de qualité soient disponibles en quantité suffisante et soient accessibles, en vue d’assurer de bons résultats nutritionnels ». Un certain nombre de conditions semblent requises pour pouvoir y parvenir.
Le rapport liste ainsi différents facteurs traditionnels favorables à la sécurité alimentaire d’un pays : une « bonne gouvernance », une stabilité politique et un Etat de droit, une absence de conflits et de troubles civils, une absence de chocs climatiques ou de volatilité des prix trop prononcée. Mais il met surtout l’accent sur d’autres facteurs-clefs.
N’en déplaise aux adeptes de la décroissance, le premier est celui de la croissance économique qui, à l’évidence, joue un rôle crucial dans la décrue de la faim à partir du moment où celle-ci s’accompagne d’une hausse des revenus de la population améliorant sa capacité à pouvoir se procurer une alimentation suffisante et de qualité. Le taux de croissance des PED s’est d’ailleurs élevé en moyenne à 3,4 % entre 1990 et 2013. On a ainsi pu observer qu’au sein des pays pauvres, un accroissement des revenus s’accompagnait d’une augmentation de l’« apport énergétique alimentaire ». Le rapport mentionne, par exemple, à ce propos le cas du Ghana, qui a connu sur la période un taux de croissance annuel moyen supérieur à 3 %. Or, la part de la population sous-alimentée dans ce pays est passée de 47 % en 1990-1992 à moins de 5 % en 2012-2014.
Cependant, pour les auteurs du rapport, cette condition est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Il faut, en effet, que cette croissance soit « inclusive », c’est-à-dire qu’elle bénéficie aussi aux catégories les plus déshéritées, celles qui ont la plus forte probabilité de souffrir de faim chronique, car « ce qui compte vraiment, aux fins de la sécurité alimentaire, c’est que la croissance économique atteigne les personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté ».
Cela concerne tout particulièrement les personnes pauvres vivant dans les zones rurales. Trois quart des personnes dans le monde en situation d’extrême pauvreté vivent dans ces zones et cette proportion est encore plus élevée dans les pays les plus pauvres. En outre, c’est dans le secteur agricole que l’on trouve le plus grand nombre de personnes touchées par la pauvreté au travail : elles vivent avec moins de 1,25 dollar par jour.
C’est la raison pour laquelle les auteurs du rapport soutiennent que le développement du secteur agricole est essentiel dans la lutte contre la sous-alimentation d’autant que « l’agriculture est capable à elle seule d’amorcer la croissance dans les pays où elle représente une forte part du PIB » et qu’elle est « un point d’entrée privilégié pour faire participer les pauvres au processus de croissance ». Dans les pays les plus pauvres (les pays à faibles revenus dans le jargon des institutions internationales), la croissance agricole apparaît ainsi « trois fois plus efficace pour réduire la pauvreté extrême que celle touchant d’autres secteurs ». C’est tout particulièrement le cas en Afrique subsaharienne où cette croissance agricole peut être jusqu’à 11 fois plus efficace que celle des autres secteurs en la matière.
Le rapport souligne aussi à ce propos « la contribution de l’agriculture familiale et de la petite agriculture à la sécurité alimentaire et la nutrition ». Il existe, en effet, 570 millions d’exploitations agricoles dans le monde. Plus de 90 % d’entre elles sont gérées par une seule personne ou une famille avec une main-d’œuvre d’abord familiale. 84 % des exploitations familiales sont inférieures à deux hectares et pourtant elles représentent plus de 80 % de la valeur de la production alimentaire mondiale. Malgré tout, la plupart des petits agriculteurs familiaux sont pauvres et se trouvent dans une situation d’insécurité alimentaire.
Le développement de cette agriculture familiale et de cette petite agriculture joue par conséquent un rôle fondamental dans la réduction de la faim dans le monde. C’est la raison pour laquelle l’accroissement de la productivité du travail dans le secteur agricole est jugé essentiel dans la lutte contre la sous-alimentation. On s’aperçoit ainsi les pays qui ont investi dans leur secteur agricole, notamment pour améliorer la productivité de la petite agriculture et de l’agriculture familiale, ont aussi réussi à accomplir des progrès significatifs dans la lutte contre la sous-alimentation. A l’inverse, les auteurs du rapport notent que les pays qui n’ont pas été en mesure de respecter les objectifs de réduction de la sous-alimentation ont connu aussi une croissance agricole faible. On peut d’ailleurs remarquer que les gains de productivité dans le secteur agricole ont été plus lents en Afrique subsaharienne que sur les autres continents et que c’est aussi la région dans laquelle la proportion de personnes sous-alimentées est la plus forte au monde.
Un autre facteur-clef dans la lutte contre la faim réside dans la mise en place de systèmes de protection sociale en faveur des catégories les plus démunies qui permet d’améliorer la sécurité de leurs revenus et par conséquent de favoriser leur accès à la santé, l’éducation et à une meilleure nutrition. Au total, plus de 100 PED ont développé une telle protection sociale. Or, les auteurs du rapport estiment que cela a été essentiel dans les progrès effectués dans la lutte contre la sous-alimentation.
A l’inverse, les difficultés rencontrées par certains Etats dans la réduction de la part de la population sous-alimentée sont liées à des situations de crise prolongée provoquées principalement par des catastrophes naturelles ou une instabilité politique. Selon le rapport, en 2012, 366 millions de personnes dans le monde vivant dans 20 pays étaient concernées par une situation de crise prolongée. Or, 39 % de cette population était sous-alimentée.
En savoir plus : www.fao.org/3/390d48ec-d6bb-4b1a-a60e-059070715fb0/i4646f.pdf (version 2015 en ligne du rapport sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde), www.un.org/fr/millenniumgoals/ (site des Objectifs du Millénaire pour le développement).
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En France, je ne vois pas comment les produits agricoles vont continuer a être accessibles par tous. Si le prix du blé n’est pas de 200 euro la tonne en 2019, la ou les primes PAC ont diminuer de 50% depuis sa création , des terres peu productives ne seront plus cultivés et on aura que des grosses structures. Je vois arrivé une révolution si la France et l’Europe ne prends pas plus au sérieux les problèmes agricoles.