manger local

Succès du manger local, ou la tentation locavore

Manifestation parisienne, et plus globalement démarches un peu partout allant dans le même sens : le « manger local » rencontre un succès certain en France. Sur fond de patriotisme économique, les produits alimentaires du cru deviennent tendance, au point d’obtenir l’attention particulière de ceux que l’on appelle les locavores.

Le « produire local » et le « manger local » semblent être à la mode. En témoigne l’organisation du 13 au 28 septembre pour la seconde année consécutive des « Semaines du manger local Paris-Île-de-France », durant lesquelles se déroulent de nombreuses manifestations, avec comme point d’orgue la « Fabuleuse Fête du manger local », qui a eu lieu à Paris sur les bords de Seine les 13 et 14 septembre derniers.

Produit ici, cuisiné ici, mangé ici

Un autre symptôme récent du « manger local » a été la création en Île-de-France en février 2013 du label « Des produits d’ici, cuisinés ici ». Il s’agit du premier label dans la région qui permet au consommateur d’identifier les restaurants proposant une cuisine préparée sur place et à base de produits issus de la région. Les critères pour pouvoir bénéficier de ce label sont, en effet, les suivants : (1) le restaurant s’engage à utiliser des produits franciliens « autant que faire se peut » (« des produits d’ici ») ; (2) le restaurant cuisine les produits sur place (« cuisinés ici »). Ce label est délivré par le Centre régional de valorisation et d’innovation agricole et alimentaire (Cervia), un organisme créé en 2007 et qui est associé au Conseil régional d’Île-de-France. Les restaurants qui peuvent bénéficier du label vont du bistrot au restaurant étoilé.

D’autres régions ont également pris des initiatives en faveur du « manger local ». C’est le cas par exemple du Languedoc-Roussillon, qui a édicté une Charte du site internet régional sur l’agriculture et l’alimentation locale en Languedoc-Roussillon, ou de Rhône-Alpes, où une opération « manger bio et local en entreprise » a été lancée en 2011, une première en France, avec le soutien de la région et du ministère de l’Agriculture.

Local à vendre

Alors est-ce une simple lubie de « bobos » écolos parisiens ? Ce n’est pas aussi simple. Les consommateurs, qu’ils soient « bobos » ou non, tendent, en effet, à plébisciter de plus en plus les circuits courts, que le ministère de l’Agriculture définit comme « un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur ».

En février 2014, une enquête Ipsos pour Bienvenue à la ferme indiquait ainsi que 41 % des personnes interrogées achetaient souvent ou très souvent des produits alimentaires locaux. Cette tendance semble même s’être renforcée dans la période récente puisque, parmi ceux qui achètent des produits locaux, 69 % disent en consommer davantage aujourd’hui qu’avant. A leurs yeux, les produits alimentaires locaux présentent, en effet, de très nombreux avantages : ils font marcher l’économie locale, ils sont de meilleure qualité et ont un meilleur goût, ils sont meilleurs pour la santé et plus respectueux de l’environnement.

Les AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), une sorte de commerce équitable à l’échelle française, rencontrent ainsi un vif succès, tout comme d’autres initiatives, telles que les Drive fermiers ou encore le site La Ruche qui dit oui !, qui permet de mettre en relations via internet producteurs et consommateurs dans un rayon de 250 kilomètres.

Certains vont cependant encore plus loin en privilégiant la consommation d’une alimentation principalement produite à un échelon local. Ce sont les fameux locavores. Le terme « locavore » est la contraction de « local » et du suffixe « vore » qui vient du latin vorare, signifiant « manger ». Il a semble-t-il été inventé en 2005 à San Francisco à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement par une cuisinière américaine, Jessica Prentice.

Les locavores tendent à consommer principalement des produits locaux et de saison élaborés dans un rayon généralement délimité à 150-200 km. Ils s’inscrivent la plupart du temps dans une démarche « alternative » par rapport au mode de production et de distribution classique des produits alimentaires en donnant la priorité, outre les circuits courts, à la protection de l’environnement, aux cultures bio, à l’élevage dit « raisonné » ou au commerce équitable (par exemple pour les produits non locaux, tels que le café et le chocolat).

On peut trouver désormais en France des restaurants ou des épiceries locavores. Le restaurant Les Marmites volantes dans le 19e arrondissement de Paris propose ainsi depuis 2013 des repas locavores. Il dit se fournir auprès de primeurs locaux et de saison, principalement bios, et privilégier les céréales bios, les viandes issues d’élevages raisonnés ainsi que les circuits courts. Certains produits, comme les avocats, sont d’ailleurs exclus du menu en raison de leur mauvais bilan carbone. Le restaurant va même jusqu’à livrer à l’aide de vélos triporteurs avec des « contenants réutilisables ». Il existe aussi des épiceries locavores. On peut en trouver une, par exemple, à Grenoble ou encore à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). La première propose à ses clients locavores un ensemble de produits locaux : des fruits et légumes, des produits laitiers, des viandes et poissons, du pain et de la brioche, des douceurs, de l’épicerie sèche et des boissons.

Enfin, il existe même des marchés locavore en ligne. Mon-marché.fr, le site internet de ventes en ligne de produits frais livrés à domicile, notamment en provenance du marché international de Rungis, comprend depuis 2012 une partie marché locavore. Les produits proviennent des producteurs de Rungis, mais aussi directement d’agriculteurs de la région avec lesquels le site a un partenariat. Mon-marché.fr a d’ailleurs été officiellement reconnu par le Cervia en tant que « distributeur de produits agricoles d’Ile-de-France ».

Inquiétudes globales, manger local

Alors, pour quelles raisons le produire local et le manger local marchent-ils aussi bien en France depuis quelques années ? Certains diront que ce n’est qu’un retour à une forme de bon sens et qu’après tout, avant, dans les campagnes, on mangeait ce que l’on produisait soi-même ou bien ce que l’on pouvait trouver directement auprès des producteurs locaux sur les marchés.

Mais au-delà, on peut identifier tout de même quatre facteurs. Le premier est à l’évidence la recherche de la part des consommateurs de la sécurité et de la qualité dans l’alimentation dans un contexte où les préoccupations vis-à-vis des produits alimentaires sont élevées. Ainsi, de façon symptomatique, les produits alimentaires figurent dans la liste des 33 risques répertoriés par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans son Baromètre annuel de la perception des risques et de la sécurité par les Français, au même titre que les accidents de la route, la drogue, l’alcoolisme, la pollution, le sida ou les déchets radioactifs. Or, dans sa dernière édition publiée en octobre 2013, 76 % des personnes interrogées considèrent que les produits alimentaires présentent un risque élevé ou moyennement élevé (dont 34 %, un risque élevé), alors que 25 % pensent qu’ils ne représentent qu’un risque faible. Or, parallèlement, 39 % disent ne pas avoir confiance envers les autorités françaises pour leurs actions de protection des personnes en la matière (contre 29 % qui leur font confiance) et 47 % estiment que l’on ne dit pas la vérité sur les dangers que les produits alimentaires représentent pour la population (contre 21 % qui pensent le contraire).

Les résultats de l’enquête Ipsos de 2014 vue plus haut tendent à confirmer ces inquiétudes : 50 % des personnes interrogées disent ne plus trop savoir de quoi se composent les produits alimentaires qu’elles consomment et 47 % qu’il est souvent ou très souvent difficile de se procurer des produits alimentaires sur lesquels elles se sentent entièrement rassurées. Or, selon cette enquête, ce qui va rassurer les consommateurs, c’est d’abord le fait que le produit alimentaire soit vendu directement par le producteur (pour 23 % des personnes interrogées), qu’il ait un signe officiel de qualité (par exemple un label ou une appellation, 16 %), que l’on connaisse son origine (15 %), qu’il soit fabriqué « localement » (9 %), qu’il ait un label agriculture biologique (8 %) ou qu’il soit « made in France » (7 %).

Le deuxième facteur de développement du « manger local », moins important, est la quête d’une identité locale ou régionale. Ainsi que l’affirme, par exemple, un restaurateur de la Ferté-Gaucher, « ce qui manque aujourd’hui à l’Île-de-France, ce sont des plats traditionnels comme la potée auvergnate ou la choucroute. A nous de travailler les produits du terroir afin de personnaliser nos plats et de raconter ce territoire francilien ».

L’écho du patriotisme économique et des idées des décroissants

Le troisième facteur est l’écho rencontré en France depuis quelques années par la thématique du patriotisme économique. Cela s’est notamment traduit par la création en 2011 du label Origine France Garantie, qui est certifié par un organisme indépendant, le Bureau Veritas Certification, leader mondial en la matière. Pour obtenir ce label, au moins 50 % du prix de revient unitaire du produit doit être acquis en France et il doit y prendre sa forme « distinctive ». En clair, la France doit être le lieu où se sont déroulées les activités ayant donné au produit industriel ses caractéristiques principales ou le lieu de provenance de l’extraction, de la récolte, de croissance intégrale du produit pour les végétaux ou le lieu où l’animal est né, a été élevé et abattu pour les animaux d’élevage. Sur la base de ces critères, pour qu’un jambon obtienne le label, toutes les étapes entre la naissance du porc et le conditionnement du jambon doivent être effectuées en France, à savoir son élevage, son abattage et la découpe. De nombreux produits agroalimentaires ont ainsi obtenu le label Origine France Garantie.

Le quatrième et dernier facteur est l’influence d’associations en particulier de protection de l’environnement ou de commerce équitable qui défendent une agriculture biologique et une « agriculture paysanne » et qui véhiculent les idées des décroissants, dont le principal penseur dans le domaine agricole est Pierre Rabhi. Elles tendent donc à prôner une « relocalisation » de l’économie, une « autosuffisance » et ce que les décroissants appellent une « simplicité volontaire ».

Les AMAP se situent bien dans cette filiation puisque, selon le site de l’Annuaire national des AMAP, celles-ci sont « destinées à favoriser l’agriculture paysanne et biologique ». D’ailleurs, dans le cadre des AMAP, les méthodes agronomiques des agriculteurs s’inspirent de la Charte de l’agriculture paysanne, plaidoyer anti-productiviste défendu notamment par la Confédération paysanne, et un cahier de charges de l’agriculture biologique. Enfin, à l’instar des pratiques du commerce équitable, « le prix du panier [que le consommateur se procure auprès de l’agriculteur] est fixé de manière équitable : il permet au producteur de couvrir ses frais de production et de dégager un revenu décent ». Au passage, puisque nous parlons de syndicats agricoles, le Modef réitère chaque année une opération « vente de fruits solidaires » à la Bastille à Paris, tandis que le réseau Fnsea multiplie les initiatives style « ferme à la ville », avec des ventes de produits au coeur des villes, tant à Lyon, qu’à Nantes, Rennes… WikiAgri a également évoqué la création d’un magasin de producteur dans Châteauroux, dans l’Indre…

L’entreprise coopérative Ethiquable, située dans le Gers et spécialisée dans le commerce équitable, développe également depuis 2011 dans le même état d’esprit un label appelé « Paysans d’ici » autour du slogan « équitable, bio et local ». Il s’agit de reprendre les principes du commerce équitable, mais cette fois-ci en les adaptant aux producteurs français qui doivent adhérer à la Charte paysans d’ici. Les agriculteurs doivent donc avoir des exploitations de petites surfaces, certifiées agriculture biologique. Ils doivent pratiquer une agriculture « paysanne », peu intensive et non industrielle et un système de production agro-biologique. Enfin, les produits doivent être de terroir et/ou locaux. Ceux-ci ne sont pas seulement diffusés dans des magasins spécialisés. Ils le sont aussi dans la grande distribution.

 

En savoir plus : www.mangeonslocal-en-idf.com/fait-quoi-pendant-les-semaines-du-manger-local (informations sur les « Semaines du manger local Paris-Île-de-France »), www.saveursparisidf.com/site-grand-public/actualites/manger-local-en-ile-de-france-cest-possible/ (partie du site du CERVIA consacrée au label « des produits d’ici, cuisinés ici »), www.manger-local.fr/ (site de la région Languedoc-Roussillon consacrée au « manger local »), www.mangerbiolocalenentreprise.fr/ (site de l’opération « manger bio local en entreprise »), http://alimentation.gouv.fr/circuit-court-local-consommation (page du site du ministère de l’Agriculture consacrée aux circuits courts), www.ipsos.fr/sites/default/files/attachments/les_francais_et_le_consommer_local_12_fevrier_2014.pdf (enquête Ipsos pour Bienvenue à la ferme publiée en février 2014), www.laruchequiditoui.fr/ (site de La Ruche qui dit oui !), www.marmitesvolantes.com (site du restaurant locavore Les marmites volantes), http://epicerie.locavore.fr/ (site de l’épicerie locavore à Grenoble), www.lepicerie-locavore.fr/ (site de l’épicerie locavore à Bagnolet), www.mon-marche.fr/locavore.php (partie du site mon-marché.fr consacrée au marché locavore), www.irsn.fr/FR/IRSN/Publications/barometre/Documents/IRSN_Barometre_2014.pdf (Baromètre 2014 de l’IRSN de la perception des risques et de la sécurité par les Français), www.iledefrance.fr/fil-actus-region/restos-font-rentrer-ile-france-leur-carte (source de la citation du restaurateur de la Ferté-Gaucher), www.profrance.org/le-label-origine-france-garantie.html (informations officielles sur le label Origine France Garantie), www.nosachatsfrancais.fr (site répertoriant les produits ayant obtenu le label Origine France Garantie), www.reseau-amap.org (site officiel du réseau des AMAP), www.ethiquable.coop/gamme/paysans-dici-equitable-avec-producteurs-francais-aussi (gamme de produits « paysans d’ici » de la SCOP Ethiquable), www.ethiquable.coop/sites/www.ethiquable.coop/files/la_charte_paysans_dici_ethiquable_0.pdf (charte paysans d’ici), https://wikiagri.fr/articles/des-agriculteurs-sorganisent-pour-reprendre-la-marge-des-grandes-surfaces/713 (article de WikiAgri sur l’ouverture d’un magasin de producteurs à Châteauroux).

1 Commentaire(s)

  1. Quand on est producteur en vente direct, on n’est pas souvent proche géographiquement du consommateur locavore.

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