En matière de foncier agricole, la tendance, malheureusement, est à l’utilisation des terres agricoles à d’autres fins, souvent spéculatives. Mais il existe un contre-exemple. Les élus d’un petit village, Massongy, 1500 âmes en Haute-Savoie, ont ainsi racheté une ferme à l’abandon dans l’espoir d’y installer des agriculteurs. Une belle histoire, que WikiAgri vous raconte.
Massongy est un petit village de Haute-Savoie à proximité de Genève, dans le Chablais, fort de 1500 âmes, précisément 1498 selon son site internet. Au coeur de la commune, tout près de l’église, se tient un corps de ferme, massif, magnifique, mais malheureusement, aussi, en ruines. Une ferme abandonnée depuis plus de 20 ans, vestige d’une agriculture forte au sein d’une commune rurale désormais rattrapée par la spéculation immobilière, du fait de sa position géographique privilégiée à mi-chemin entre Thonon-les-Bains et Genève (ou Annemasse, mais en l’occurrence c’est la présence de la cité suisse qui est à l’origine de la course au foncier).
François Roullard a été élu maire de Massongy en mars dernier. A cette époque, il hérite d’un dossier déjà entrepris par l’équipe municipale précédente (il y a eu deux listes aux dernières élections, avec changement de majorité à l’issue du vote). La ferme a ainsi été rachetée par la commune, précisément pour la somme de 784 230 €, en décembre 2013. C’est la Safer qui s’est occupée de la transaction, en mettant une clause au contrat : le rachat est assorti d’un retour à l’activité agricole.
Ce genre de clauses, vous le savez comme moi amis lecteurs, se contourne (hélas) souvent. Le changement d’équipe municipale aurait pu ainsi entrainer une remise en cause du projet, au nom, par exemple, de la « raison économique ». Il n’en a rien été. Au contraire. François Roullard raconte : « Je remercie l’équipe municipale précédente d’avoir réalisé cet achat. La ferme est rattachée à une quinzaine d’hectares, qui peuvent donc être mis en production. Nous sommes en contact avec différents organismes. La Safer bien sûr, mais aussi une association, Initiaterre, chargée de trouver les candidats à l’installation sur le site de la ferme. Nous pensons que cette ferme se prête au maraichage, notamment en raison de la surface de 15 hectares.«
La volonté affichée, revendiquée, est donc d’entretenir une activité agricole au sein même du village… Avouez que ce concept va largement à l’encontre de la tendance actuelle, et qu’il convient donc de saluer cette heureuse initiative ! D’ailleurs le maire, François Roullard, souhaite directement associer l’activité fermière à la vie du village : « A terme, l’idée est d’ouvrir un marché tenu par les agriculteurs. Nous avons beaucoup de grandes surfaces autour de nous, il nous manque un marché de frais de proximité. » Au passage, il précise que, petit garçon, il y vivait dans cette ferme, exploitée alors par son grand-père, puis par son oncle… Est-ce le coeur qui a parlé ? C’est en tout cas toute une réflexion sur le devenir de la commune qui a été menée : plutôt que d’accueillir de nouveaux villageois, la commune préfère faire vivre l’existant, autour d’une activité de maraichage.
Le propriétaire qu’est désormais la commune n’a cependant pas les coudées franches. Problème : la réhabilitation du site a un coût, important. La ferme en elle-même, la bâtisse, est devenue fragile, il faut la renforcer. Et cela, dans les règles de l’art. « Nous sommes très attachés à la valeur patrimoniale de cette ferme, reprend le maire. Il faut refaire des toits, renforcer l’existant, mais surtout sans dénaturer le lieu… » Maryline Vuarchex, adjointe au maire en charge des finances, évoque ainsi des datations lointaines pour les murs, qui leur donnent de la valeur : 1700, et même avant. Le corps de ferme est large, comprend un pigeonnier…
En lien avec le CAUE (conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, organisme investi d’une mission de service public ayant pour objet le conseil, notamment, en matière de rénovation de bâtiments), la mairie entreprend donc des rénovations. A ce jour, la coquette somme de 206 000 € a été dépensée dans ce sens, sachant qu’il reste beaucoup à faire, tant sur la bâtisse en elle-même que sur les voies d’accès. « Nous avons besoin d’aides financières, précise Maryline Vuarchex. Sans elles, nous serions trop limités dans notre intervention. » Le message est passé… Selon les préconisations du CAUE, il va s’agir ainsi de préserver les murs « historiques », et donc de créer un habitacle intérieur, d’ajouter de nouveaux murs devant les vrais pour éviter que l’érosion ne se poursuive.
Des aides, il en faut également pour lancer l’activité agricole. ce n’est pas si simple, et il a même fallu faire appel à une association (régime loi de 1901) spécialisée pour y parvenir. Initiaterre a été fondée en décembre 2012, avec pour objectif l’installation de nouveaux agriculteurs. Son fonctionnement est celui d’une pépinière d’entreprises, mais en intégrant les spécificités agricoles.
Isabelle Chenal, coordinatrice de l’association (la seule salariée en fait) explique : « Initiaterre est née du fait que nous sommes dans une région avec une très forte déprise agricole. Et que dans ce contexte, il est extrêmement difficile pour les porteurs de projet – en particulier les hors cadre familiaux – de trouver le foncier qui leur convient. Notre mission consiste donc à trouver ce foncier, et à y installer des agriculteurs. Nous fonctionnons pour cela avec un service d’accompagnement qui représente une forme d’assurance pour le porteur de projet. Ainsi, celui-ci est en quelques sortes, pour les premières années, notre salarié : nous récupérons le produit de la vente de sa production et le rémunérons, avec l’assurance pour lui d’avoir le droit à une reconversion dans l’hypothèse où l’investissement se révélerait improductif. Car c’est ce qui retient le plus les vocations aujourd’hui : la peur d’être endetté à vie sans pour autant parvenir à conserver l’outil productif.«
Initiaterre est très localisée, elle doit être au plus proche du terrain. Elle fait néanmoins partie d’un réseau de pépinières d’entreprises spécifiquement agricoles, Renata (soit les initiales de Réseau national des espaces-test agricoles), ce qui signifie qu’il existe d’autres initiatives du même ordre ailleurs en France, même si ce processus d’accompagnement, qui nécessite bien sûr des moyens, n’en est qu’à ses balbutiements. Plusieurs syndicats agricoles cohabitent dans son comité de pilotage (la Confédération paysanne est la plus impliquée, mais les JA et la FDSEA y figurent également), preuve que lorsqu’une idée est bonne, il y a moyen de s’entendre. Avec bien sûr différentes structures (chambres d’agriculture, Safer, syndicat intercommunal, conseil général, région…)…
La première installation officielle doit avoir lieu très bientôt, probablement en janvier 2015. Il s’agira donc, pendant trois ans, d’un test. L’installé (en l’occurrence l’installée, il s’agit d’une femme) pourra renoncer pendant cette période sans supporter le poids de la dette de l’investissement. Au terme des trois ans, l’installation devient définitive.
En résumé, nous avons là un exemple unique à bien des niveaux. Une municipalité, y compris après un changement d’équipe, qui souhaite investir dans l’installation d’agriculteurs. Une association qui voit là l’un de ses tout premiers chantiers d’importance de sa jeune existence, pour démontrer le bien-fondé des dispositifs d’accompagnement qu’elle met en oeuvre (la serre, les outillages… seront à sa charge). Le tout dans l’objectif commun de maintenir l’agriculture au sein d’une commune rurale…
Une initiative à saluer, n’est-ce pas ? En espérant aussi que la commune en tant que propriétaire, l’association en tant qu’accompagnatrice, et les agriculteurs puissent disposer chacun des moyens financiers réclamés par le projet…
En savoir plus : http://france3-regions.francetvinfo.fr/alpes/2014/11/26/quand-la-mairie-de-massongy-haute-savoie-rachete-une-ferme-pour-y-mettre-de-jeunes-agriculteurs-600982.html (sujet réalisé par France3 Alpes sur la ferme de Quincy, à Massongy) ; http://www.massongy.fr (site internet de la commune de Massongy, où l’investissement de la ferme est largement traité) ; http://initiaterre.fr (site internet de l’association Initiaterre, couveuse d’activités agricoles en Haute-Savoie).
. Note : nous remercions le fidèle lecteur qui nous a indiqué le sujet.
Ci-dessous, vidéo d’un sujet diffusé par France3 Alpes sur la ferme de Quincy.
Les photos de la ferme ci-dessous nous ont été fournies par les élus de la municipalité de Massongy.