incendie 1000 veaux

Ferme des mille veaux, un enjeu de société derrière le fait divers

L’incendie volontaire d’un hangar de la ferme des 1000 veaux soulève de véritables questions de société sur les évolutions de nos modèles agricoles ou d’élevage. La vérité, et les solutions, ne figurent plus dans l’opposition, le « pour ou le contre », mais dans l’écoute mutuelle pour une meilleure appréhension des enjeux et donc une réponse qui convienne tant aux éleveurs qu’à la société.

Le fait divers, l’enquête

Les faits : un bâtiment de stockage de  fourrage de 1500 mètres carrés a été incendié dans ce que l’on appelle la ferme des 1000 veaux, à Saint-Martial-le-Vieux. Cette ferme est le fruit de la coopération d’une quarantaine d’éleveurs de bovins viande, qui ont donc voulu mutualisé leurs efforts productifs en un seul lieu, parfaitement équipé. Pour autant, avec d’une part un parallèle avec la ferme des 1000 vaches dans le Nord de la France, et d’autre part de multiples reproches (justifiés ou non, je vous invite à lire l’article entièrement) quant au mode de productions, plusieurs associations se sont opposé à cette ferme des 1000 veaux. Lors de l’extinction de l’incendie par les pompiers, des inscriptions ont été trouvées montrant comme une forme de revendication par des sympathisants de ce type d’associations.

J’ai personnellement joint au téléphone Karine Jaïn, substitut du procureur à Guéret, chargée de l’enquête, ce vendredi 23 décembre peu avant midi. En substance, elle m’a répondu que l’enquête était en cours, qu’il était avéré que l’incendie était « volontaire« , mais pas forcément encore « criminel » au sens de la loi, puisque pour cela il faut démontrer qu’il a été perpétré en « bande organisée« , ou qu’il y a eu des victimes (ce qui n’est pas le cas ici). Par ailleurs, cette enquête doit déterminer si l’auteur (ou les auteurs) a (ont) effectivement un lien avec les associations « anti » comme les inscriptions le laissent croire, ou si cet auteur (ces auteurs) a (ont) voulu leur faire porter le chapeau.

Il y a eu plusieurs réactions, il suffit de lire les comptes Twitter de Christiane Lambert, ou Claude Cochonneau… Entre autres. Mais il reste encore impossible, à l’heure où ces lignes sont rédigées, d’impliquer directement les associations « anti » dans l’incendie volontaire.

Quels enjeux derrière ce fait divers ?

Quelle que soit la réponse qu’apportera l’enquête, ce fait divers met en lumière une opposition, et des incompréhensions, entre la modernisation de l’économie d’élevage telle qu’elle est déclinée à travers cette ferme des 1000 veaux, et une partie au moins des consommateurs potentiels, en l’occurrence de viande de veau. Parallèlement, on note l’émergence de mouvements de plus en plus influents dans notre société qui prônent une alimentation sans viande, du fait notamment des conditions d’élevage et aussi (surtout ?) d’abattage.

Ces oppositions se traduisent par un doute auprès de la population, doute qui entraine actuellement une consommation moindre de viande, et donc la mise en danger de tout un système productif qui touche d’ailleurs aussi bien l’agroindustrie que les petits éleveurs, sauf peut-être pour ceux qui trouvent des marchés de proximité.

De fait, ne pas lever ces doutes, c’est donner des arguments aux anti viandes…

Ferme des 1000 veaux, l’intérêt du projet : bien-être de l’éleveur, gain de productivité

L’objectif pour les 40 éleveurs concernés est de mutualiser leurs moyens de productions de façon, tout simplement, à mieux vivre. A ne plus travailler 7 jours sur 7 et 12 heures par jour chacun. En concentrant en un seul lieu, bien équipé, l’ensemble des moyens de production, chacun retrouve le droit à une vie privée et à des loisirs, au-delà du métier d’éleveur. Parallèlement, il est évident qu’un tel dispositif permet des économies d’échelle, un gain de productivité, ce qui répond donc à une des demandes essentielles des consommateurs : le prix.

Je pense qu’il ne faut pas oublier le rôle du consommateur par rapport à ce choix de regroupement d’élevages : si, dans toutes les enquêtes d’opinion, il se dit prêt à payer plus cher un produit de qualité, son comportement devant les linéaires reste particulièrement ancré sur la recherche du prix le plus avantageux. Ce que les opposants appellent la « ferme-usine » des 1000 veaux répond aussi à une demande des consommateurs. D’ailleurs, en l’occurrence, c’est la SVA Jean Rozé, du groupe Intermarché, qui commercialise les produits issus de la ferme de la Creuse.

Ce que reproche les opposants : un bien-être animal insuffisamment respecté

Les associations « anti » ont su s’offrir des porte-paroles de renom. Dont Corinne Touzet, actrice connue principalement sur le petit écran pour son rôle de gendarme dans la série « Une femme d’honneur ». Elle explique très bien, dans la vidéo ci-dessous, tout un ensemble d’arguments qui ont effectivement une valeur.

En substance, elle dénonce des conditions d’élevage où les veaux ne sont engraissés qu’en bâtiments sans jamais voir le jour et donc un brin d’herbe, où on les bourrerait (selon elle) d’antibiotiques pour éviter les maladies, en terminant par les conditions de transport puis d’abattage.

Comment les éleveurs peuvent-ils réagir ? N’est-on pas devant un premier exemple d’intégration discutable ?

Attention, je sais que je m’adresse ici à un public agricole, mais il s’agit de revendications légitimes : ne pas apporter de réponses, c’est se mettre une partie non négligeable de la société à dos. D’ailleurs, il suffit de voir l’intervention de Corinne Touzet : quel « people » mouillerait aujourd’hui la chemise pour dire que la ferme des 1000 veaux, c’est très bien ? On peut bien sûr estimer ces interventions de people comme très éloignées des connaissances de la ruralité et de ses pratiques… Mais ne pas en tenir compte, c’est non seulement ne pas écouter la partie valable des arguments développés, mais aussi prendre un risque économique certain, étant donnée la portée de ce mode de pensée.

D’où une question induite, celle du rôle des éleveurs. La main-mise d’Intermarché sur cette ferme des 1000 veaux réduit finalement considérablement leurs marges de manoeuvre. Si Corinne Touzet a exagéré certains points dans sa vidéo (elle parle de 3 mètres carrés par animal alors qu’il s’agit en l’occurrence de 4,58 mètres carrés, soit bien plus que la norme européenne de 4 mètres carrés), elle pose tout de même plusieurs « vraies » questions. Auxquelles les éleveurs n’ont pas les moyens de répondre, compte-tenu de leur intégration dans le système prôné par Intermarché : ils ne peuvent que modérément agir sur le mode de production, pas du tout sur le transport ou l’abattage. Alors qu’à l’arrivée, ce sont eux les victimes (sans nier leur part de responsabilité) : ils ont voulu répondre à une demande sur les prix tout en revendiquant un temps de loisir minimal, et se sont retrouvés au centre d’une machine à produire telle qu’elle en devient contestable sur plusieurs points.

Un éleveur aime ses vaches, ce n’est pas lui qui va les maltraiter (je parle d’une manière générale, bien sûr on trouvera toujours un contre-exemple, un cas particulier, comme pour tout sujet). Alors comment peut-il inverser le cours des choses, l’image qui lui est décernée à travers ce que renvoie cette ferme des 1000 veaux ? En se donnant une marge de manoeuvre supérieure ! Un groupement d’éleveurs possède un moyen de pression (et peut développer ses propres arguments et demandes) s’il a affaire à un client, et non à un employeur, ou apparenté comme tel (en l’occurrence client unique et commanditaire).

Et si la ferme des 1000 veaux était le premier exemple d’un phénomène qui mérite débat au sein de la profession agricole : l’intégration ?
 

En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/mille-veaux-engraisses-sur-le-plateau-de-millevaches/2165 (reportage de WikiAgri sur le site de la ferme des 1000 veaux alors qu’il débutait à peine) ; http://www.lamontagne.fr/saint-martial-le-vieux/faits-divers/2016/12/22/important-incendie-en-cours-a-la-ferme-des-mille-veaux-creuse_12219625.html (article de la presse locale, La Montagne, sur le fait divers).

Notre illustration ci-dessous est une copie d’écran de la vidéo proposée par La Montagne sur ce lien http://www.lamontagne.fr/saint-martial-le-vieux/faits-divers/2016/12/22/important-incendie-en-cours-a-la-ferme-des-mille-veaux-creuse_12219625.html.

5 Commentaire(s)

  1. « Et si la ferme des 1000 veaux était le premier exemple d’un phénomène qui mérite débat au sein de la profession agricole : l’intégration ? ».
    C’est bien ici la question principale que pose ce projet avec  » la main-mise d’Intermarché sur cette ferme des 1000 veaux  » qui « réduit considérablement la marge de manoeuvre des éleveurs »: « un groupement d’éleveurs possède un moyen de pression (et peut développer ses propres arguments et demandes) s’il a affaire à un client, et non à un employeur, ou apparenté comme tel (en l’occurrence client unique et commanditaire) ».
    On en revient à l’éternel problème de la propriété du cahier des charges* avec sa plus-value liée aux rapports directs entre éleveur et consommateur ( confiance, lisibilité, traçabilité, éthique) et aux rapports indirects avec la « transformation » (métiers intermédiaires de l’artisanat de l’industrie et de la mise en marché) qui méritent une « juste  » rémunération en rapport avec le travail fait …et clairement défini dans le cahier des charges*.
    Par ailleurs l’utilisation du chiffre « 1 000 » est ici une erreur manifeste de communication , l’engraissement de 400, 800 ou 1 000 veaux (ou plus) par un groupement de 40 éleveurs en zone d’élevage doit pouvoir être expliqué au citoyen (potentiel consommateur), l’engraissement de 800 veaux vendus sous label rouge limousin par UN seul céréalier de champagne berrichonne par ailleurs entrepreneur de travaux publics et agricole avec une prise de poids de 2kg/jour (avec aliments du groupe AVRIL) est aussi à expliquer au citoyen ( potentiel non consommateur) …

  2. Ils ont gagné. Les vegans ont gagné. Vous diffusez une de leur video.La popularité d’une vidéo se compte aux nombres de vues. Et vous diffusez cette vidéos sur un site pour les agriculteurs. Votre article a pour but de nous faire nous remettre en cause ,de nous faire nous poser des questions sur les conditions d’elevage.Et de nous inciter à regarder cette video.La phrase la plus importante que dit Corinne Touzet c’est qu’elle ne mange plus de viande.Ce ne sont pas les conditions d’elevage qu’ils veulent faire evoluer.Ce n’est pas parler avec nous.C’est que nous arretions l’elevage.Ils parlent de « genocide animal » ils considerent les animaux comme des martyrs,ils sont pour la liberation de l’Animal.Vous ce sont les charmes de la belle Corinne Touzet qui vous ont touché,pour d’autres se seront les videos de L214.Peu importe,le combat est le meme :faire que nous ne mangions plus de viande,plus de lait,plus d’œuf.Et les crises financieres que nous traversons ,renforcent leurs arguments.Plus nous nous plaignont,plus ils sont forts.Et plus ils sont forts plus les politiques les suivront.Discours et contre-discours.

  3. À Anne Renouard.
    Je pense au contraire qu’il est important que les agriculteurs voient ce qui se dit et se diffuse sur leurs activités. Afin qu’ils prennent conscience des dangers qui nous guettent et de la nécessité de dire, d’expliquer ce que l’on fait, le plus souvent avec passion.
    Vous avez raison de signaler que Corinne Touzet est vegan et que, dès lors, les conditions d’élevage et d’abattage ne sont qu’un prétexte pour stigmatiser l’élevage en général.
    N’oublions pas que les enfants des villes ne connaissent souvent le poisson que sous forme « pané » et que le lait sort « de la brique ». Leur faire croire que, dans les élevages hors-sol, les animaux sont bourrés d’antibiotique est facile. À nous d’ouvrir nos élevages et d’expliquer tout ce qui est fait pour produire des animaux sains, garant d’une alimentation de qualité.
    Je suis sûr que ceux qui ont visité la ferme des « mille vaches » ou celle « des mille veaux » ont vu des animaux jouissant de conditions autrement plus confortables que ceux élevés dans des crêches obscures de la première moitié du 20e siècle.
    Enfin, pour ceux qui doutent de l’intérêt de manger de la viande, qu’ils aillent méditer là-dessus en visitant Lascaux III ;-()

  4. Comme @ARBretagne , je pense que cet article se trompe en partie. Les revendications et diverses affirmations des Anti-Viandes ne représentent rien à part eux et certainement pas les consommateurs!
    Le travail de communication des éleveurs porteurs du projet a été fait, ils ont détaillé leur projet aux médias locaux et nationaux sans jamais que leurs paroles soient diffusés , au contraire, ce sont les associations « Anti » qui ont imposés leur idées car il est plus facile de vendre du sensationnel et du buzz, plutôt que des explications techniques.
    Le terme de « Ferme des 1000 veaux » est une invention de leur part et pas une erreur de com des éleveurs… De plus, parler de « veaux » en permanence, peut nuire au marché de la viande de veaux (âgés de 5-6 mois) alors qu’on est en présence de taurillons de 16-18 mois!
    C’est donc aujourd’hui la désinformation est le mensonge qui sont à l’origine des croyances des « vrais » consommateurs (neutre), eux qui sont de plus en plus éloignés de la vie rurale et de son économie.

    De plus, il est incompréhensible d’accorder le moindre crédit à la vidéo de vous avez affiché, elle est uniquement à charge et ne pose aucune questions de fond sur la viabilité du projet des éleveurs…

    Enfin, pour initier un débat sur la relation commerciale qui lie les éleveurs à SVA, il faudrait connaitre en détail les termes de leur contrat.
    Et à choisir entre le marché incertain du maigre italien et la grande distribution française, là est la vrais question!

  5. L’exigence des ventres repus n’a pas de limite !
    Toujours plus pour moins cher, et quand on le leur fournit, ils veulent encore autre chose.
    De 1940 à 1945, il n’y avait pas de Vegan ! Certains faisaient des kilomètres pour venir chez le paysan chercher une tranche de jambon !
    Dans de nombreux pays d’Afrique, la richesse du paysan se mesure à l’importance de son troupeau. Sans celui-ci, qui valorise le peu d’herbe qui peut pousser, tous les hommes du sahel mourraient de faim !
    Comment croyez-vous que nous existions ? Si l’homme cueilleur préhistorique n’était pas devenu chasseur, nous ne serions plus là.
    Quant à l’espace des veaux dans les stabulations, il suffit de le comparer à celui des parisiens dans le métro !
    Il est toujours facile de mettre à l’index une minorité, mais attention, à faire disparaître les paysans, les Vegans et autres donneurs de leçons pourraient mourir de faim !

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