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Disparition des communes, ce que prépare le gouvernement

Créé il y a un an, le commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) vient de répondre à une demande gouvernementale de « rationalisation des intercommunalités » par un rapport qui doit servir de socle à un projet de loi. On y découvre entre les lignes une vocation franchement destructrice vis-à-vis des élus communaux.

Demandez à des bureaucrates de faire le boulot sans vous, et vous obtiendrez un travail de bureaucrates pur jus. Créé il y a un, sous l’autorité du Premier ministre, le commissariat général à l’égalité des territoires (déjà, rien que le nom, ça fait peur : pour peu que votre territoire soit considéré au-dessus de la moyenne, vous savez que vous allez payer… Pourquoi ne pas avoir créé un commissariat chargé du développement des territoires ?) s’est ainsi vu confier la mission de pondre un rapport sur la « rationalisation des EPCI« , selon un courrier cosigné par trois ministres (que vous retrouvez en fin d’article).

La lecture du document fait d’abord penser à une blague. En termes d’écriture, des formulations telles que « …une estimation grossière permet d’évaluer…« , et une utilisation sur-abusive du verbe « permettre » ou des conditionnels rappellent un devoir d’écolier. Avec des « si »… Malheureusement, ce rapport, commandité par le gouvernement, doit réellement servir de base à une loi. Avec des implications non négligeable sur la vie rurale.

Ces EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) existent déjà aujourd’hui, ils correspondent à des regroupements communaux sur différents services (collecte des ordures, regroupements pédagogiques…) ou pour obtenir des entités suffisantes pour aller tirer des financements, notamment européens, sur des projets d’infrastructures (communautés de communes…). Il s’est donc agi en l’occurrence, selon la lettre de mission, de pousser toutes les zones rurales à se regrouper par zones de 20 000 habitants. Pourquoi 20 000 ? La question, pertinente celle-là, est posée par l’association des maires ruraux de France (lien en fin d’article).

On casse tout, on recommence

Le document (lien en fin d’article, il appartient au domaine public) s’assoit ainsi (c’est écrit noir sur blanc) sur des statistiques de l’Insee. En d’autres termes, la ruralité, la richesse des campagnes françaises, devrait désormais être gérée d’un seul point de vue comptable. Pas de bassins versants ou autres données géographiques, pas de prise en compte des traditions, ni même (extraordinaire) de la carte de France actuelle : les frontières départementales sont ainsi remises en cause en différents endroits du document, il deviendrait plus judicieux d’instituer en lieu et place celles des EPCI. Un seul mot d’ordre : rationnaliser les dépenses communes. Pris en compte : les établissements hospitaliers, scolaires, d’accueil pour personnes âgées. Et, évidemment dans une logique comptable, la densité de la population.

Il s’agit donc de réduire la ruralité à ces seuls uniques termes. Si vous n’êtes plus en âge scolaire et pas encore malade, tant pis pour vous. Certes, ces sujets sont importants, mais le document sous-entend qu’ils ne sont pas traités aujourd’hui, qu’il n’y a pas d’existant, que la théorie doit dépasser la pratique. Des focus locaux (voyez la dernière carte de l’annexe cartographique, lien en fin d’article, sur la Lozère notamment), sensés argumenter le propos, ne font en réalité que l’affaiblir : quid du relief de la Lozère, pour prendre cet exemple précis, de la qualification de ses emplois ruraux, des besoins réels des hommes du terrain… ? Aucune réponse à ces questions, qui n’ont pas été posées.

Le rôle des élus réduit voire anéanti

La direction de ces EPCI doit incomber à Paris, sous-entend le document. Car s’il est écrit, page 5 « …il convient de laisser une large autonomie aux élus locaux…« , on trouve aussi dans le même paragraphe deux lignes plus loin « …les préfets devront être invités à intervenir pour éviter le confortement de regroupements par trop incohérents avec les objectifs poursuivis« , objectifs définis par la loi, et cohérence établie à Paris…

Mais le pire sur le sujet est contenu dans le chapitre « gouvernance des EPCI« , page 12. Avec l’organisation, je cite, de « types de majorité nécessaires pour un certain nombre de votes (et éviter une influence trop importante, voire bloquante, des petites communes)« . Comprenez, les petits élus locaux, on n’en veut pas. Pire encore, la suite : « …On peut évoquer les commissions de développement, voire des dispositifs d’associations d’élus municipaux aux commissions formelles du niveau intercommunal, au regard de leurs compétences propres ou de leur expertise… » En d’autres termes, il est préconisé que les postes décisionnels ne soient pas attribués à des élus du peuple compte tenu des choix démocratiques, mais en fonction de « compétences » (supposées ou réelles, bonjour les copinages), évidemment décidées depuis le pouvoir central.

Un Etat surpuissant, de la décentralisation à une centralisation accrue

Il apparaît ainsi au fil de la lecture du document que l’Etat est sensé intervenir bien davantage qu’aujourd’hui, avec des élus qu’il a choisi lui-même comme représentants locaux, soumis aux interventions des préfets au cas où ça ne suffirait pas, et en créant des découpages territoriaux tels que les communes vont être appelées à disparaitre en tant qu’échelon administratif (l’Association des maires de France a déjà réagi en disant que le rôle des maires ruraux ne pouvait « se résumer à célébrer des mariages« ).

Enfin, page 11, on peut lire : « A terme, il serait optimal de transfeÌrer la clause de compeÌtence geÌneÌrale des communes vers les intercommunaliteÌs. » Elus du peuple, vous devenez peu de choses face à l’administration surpuissante…

Le découpage de la France en quelque 1000 EPCI ne fait pas qu’oublier les 36 552 de la France métropolitaine (l’outremer n’est mentionné nulle part dans le document…), il remet également en cause les départements, puisque les EPCI pourraient être à cheval sur deux (ou plus encore de) départements.

C’est donc vers une ère de centralisation accrue que l’on se dirigerait, dans l’hypothèse où ce document serait suivi d’effets.

Si l’on rapproche ce document d’un autre leitmotiv du gouvernement en place, encore énoncé récemment, en l’occurrence supprimer le Sénat, il est clair que l’entreprise visant à réduire le (faible) pouvoir de la ruralité (et donc, de fait, de l’agriculture : connaissez-vous des agriculteurs conseillers municipaux à Paris ?) est à plusieurs étages… Avec des conséquences derrière que l’on n’imagine pas encore… Ou plutôt trop bien.

L’avis d’un spécialiste de la ruralité

WikiAgri a joint Yannick Villardier, expert dans les affaires rurales depuis qu’il a été, par le passé, dirigeant d’un parti politique (en l’occurrence CPNT). Conseiller municipal dans l’Essonne, il occupe aujourd’hui des responsabilités dans différentes structures associatives et a créé un cercle de réflexion, l’Agora des ruralités. Il nous livre son point de vue : « Ce rapport du CGET, en privant totalement les communes de pouvoir politique et de financements, condamne à une mort certaine les petites communes. C’est la disparition du village gaulois d’Astérix et Obélix, des communes qui, dans notre histoire, sont la base de notre démocratie voire de notre pays à travers une cohérence territoriale, une richesse à la Française (puisque cette spécificité n’existe pas dans les autres pays européens). Des communes qui, avec les associations, assurent un lien social en zone rurale. J’ai relevé dans ce rapport une proposition inquiétante : la clause de compétence générale des communes transférée aux intercommunalités (transfert de compétence, de financement, etc.). La DGF (dotation globale de fonctionnement) serait versée uniquement aux EPCI… Ce rapport met clairement en évidence que l’on ne raisonne plus en bassin de vie, mais en territoire vécu. Outre le fait que ce rapport est une insulte aux milliers d’élus ruraux de France il est irréaliste parce que bâti sur un modèle urbain non transposable en zone rurale, il ne tient pas compte de l’obligation d’avoir un aménagement équilibré des territoires. Au-delà, je relève que la disparition des communes priverait les citoyens du seul échelon de proximité, ce qui de fait entrainerait une dégradation de services publics, déjà bien déficients. A une époque où le gouvernement devrait lutter contre la désertification des services au public de nos territoires, améliorer la vie de millions de ruraux, faire des campagnes des lieux de vie, il préfère créer des inégalités, des citoyens de seconde zone…« 

Cet article est repris sur Atlantico sous l’url http://www.atlantico.fr/decryptage/disparition-communes-que-prepare-gouvernement-antoine-jeandey-2012658.html

En savoir plus : http://www.cget.gouv.fr/sites/default/files/pdf/actualite/221/regroupementdesepcietegalitedesterritoires.pdf (l’étude commanditée par le gouvernement qui doit servir de base à une loi visant à faire disparaitre les communes) ; https://b18233a4092c3e019442d84e6cfc0fa05d09a4fe.googledrive.com/host/0B0mG-j99pp_wamxJV0RTQ3VLVWs/Annexe_Cartographique.pdf (l’annexe cartographique de l’étude en question) ; http://www.amf.asso.fr/document/index.asp?DOC_N_ID=13098&TYPE_ACTU=2 (communiqué de presse de l’association des maires de France) ; http://www.amrf.fr/Presse/Communiqu%C3%A9s/tabid/1225/ID/1014/Intercommunalites-et-seuils-trop-cest-trop-Les-maires-ruraux-scandalises-par-les-delires-du-CGET.aspx (communiqué de presse de l’association des maires ruraux).

Photo d’archives, l’agriculture est liée à l’échelon communal.

Ci-dessous, le début du document en prévision d’une loi.

 

Ci-dessous, la demande écrite formulée à la CGET.

1 Commentaire(s)

  1. Quel(s) rôle(s) peut encore avoir une commune de moins de 500 habitants seule en dehors de toute interco?
    Avec quels moyens?

    Il y a en France environ 20 000 communes de moins de 500 habitants.
    Que peuvent faire ces communes pour lever des fonds et donc porter une politique et l’appliquer?
    l’échelon intercommunal n’est pas déconnecté du tout du terrain. Il offre une vision globale d’un territoire ce qui permet de :
    – lutter contre l’étalement urbain (et donc de préserver les terres agricoles)
    – rationaliser les besoins du territoire (et donc limiter les dépenses publiques en ne finançant pas partout des zones d’activités par exemple)
    – de mutualiser les moyens financiers pour porter des projets « locaux » (réfection et entretien de l’éclairage public, accompagnement à la rénovation des bâtiments publics ou privés, aide à la création d’entreprise…) ou de projets « territoriaux » (accompagnement d’agriculteurs dans la création d’un méthaniseur, accompagnement d’agriculteurs qui souhaitent déposer des demandes de subventions européennes (LEADER…)…

    Enfin, l’échelon intercommunal travail directement avec la chambre d’agriculture, ses relais locaux (GEDA), les SAFER… pour accompagner les agriculteurs de son territoire en terme de (développement économique, marketing, accompagnement technique…)

    Je ne vois donc pas du tout en quoi la fusion de quelques communes très petites ou le fait qu’elles transfère tout ou partie de leurs compétences à leur intercommunalité porterait atteinte à la ruralité et au monde agricole. Les élus d’une intercommunalité rurale sont des élus ruraux et par conséquents, au courant des enjeux liés à leur territoire ou tout du moins leur commune.

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