Gabrielle Nicolas, première vice-présidente de la Chambre d’agriculture de Guyane, sort également tout juste d’un mandat de 3 ans comme présidente de l’Odeadom. Elle est donc toute indiquée pour évoquer les problématiques rencontrées par les agriculteurs de l’Outre-Mer en général, et de Guyane en particulier.
La présidence de l’Odeadom est tournante, elle vient de passer à Mayotte. Mais ces trois dernières années, elle était occupée par l’agricultrice guyanaise Gabrielle Nicolas, qui se trouve donc à ce titre toute indiquée pour évoquer les problématiques rencontrées aujourd’hui par les agriculteurs domiens. Pour les profanes, l’Odeadom c’est l’Office de développement de l’économie agricole d’Outre-Mer. En d’autres termes, être à sa présidence, c’est un peu comme présider tous les agriculteurs domiens.
Rencontrée au salon de l’agriculture 2014, Gabrielle Nicolas a ainsi d’abord dépeint les problématiques communes à l’ensemble des Dom. En premier lieu, l’utilisation des phytosanitaires. « En tant que départements français, nous sommes soumis aux mêmes règles qu’en métropole. Nous devons ainsi, dans la cadre d’Ecophyto, réduire de moitié l’utilisation de nos phytosanitaires. Le problème pour nous vient que nous cultivons dans des conditions différentes, notamment climatiques, en raison de nos positions géographiques, soit tropicales, soit subéquatoriales. Déjà, en temps habituel, là où les phytos présentent une efficacité de 80 à 85 % en métropole, ce taux baisse à 25 % chez nous. Car nous utilisons les mêmes phytos, il n’en existe pas qui répondent spécifiquement à nos problèmes : nous représentons un trop petit marché pour qu’il y ait des recherches des firmes correspondant à nos besoins réels. Donc, déjà, aujourd’hui, nous n’arrivons pas à éradiquer toutes les maladies. Réduire de moitié notre consommation de phytos, cela revient donc à nous exposer encore davantage aux maladies. D’autant que nous n’avons aucune alternative. Nous ne pouvons pas utiliser le biocontrôle par exemple, car nous ne pouvons pas « importer » des coccinelles ou autres sans savoir ce que ces insectes nouveaux sous nos latitudes pourraient engendrer comme problèmes secondaires. Et au niveau des organismes qui pourraient nous aider à trouver des solutions, ils sont parfois concentrés sur d’autres missions : par exemple, le Cirad de Guyane planche sur l’agroforesterie, importante chez nous avec la proximité immédiate de l’Amazonie. Mais justement, cette Amazonie est aussi synonyme d’un parasitisme important et diversifié. Enfin, toujours sur ce sujet phytos, il faut savoir les Dom sont tous soumis à une concurrence locale. Et les pays voisins, eux, ne sont pas soumis aux mêmes règles. Déjà, ils peuvent très souvent produire à moindre coût de main-d’oeuvre, en plus ils n’ont pas à réduire leurs quantités de phytos.«
Un mot plus spécifique pour les Antilles : « On a eu pas mal de bruit médiatique récemment en raison d’un arrosage phyto aérien sur les bananes. Il faut savoir que la filière banane représente 6000 emplois, et que la cercosporiose noire est une maladie qui représente un réel fléau. Aucune autre solution n’existe pour en venir à bout.«
Autre sujet de préoccupation, la perte du foncier. « Entre les Antilles et le Réunion, ce sont plus de 1000 hectares qui sont perdus par an. Nous avons des organismes pour surveiller cela, mais la déperdition continue. » Egalement, les retraites. « Particulièrement basses chez nous, même si, en principe, il doit y avoir un volet pour les revaloriser dans la loi sur les retraites…«
Par ailleurs, la diversification, tant végétale qu’animale a été encouragée ces dernières années, mais avec une enveloppe constante devenue insuffisante : « Les aides du POSEI (Ndlr : un programme spécifique européen en faveur des terres éloignées de l’Europe, et qui à ce titre connaissent différentes difficultés), avec une enveloppe globale de 249 millions d’euros pour les Dom, n’évoluent pas, alors que nous diversifions de plus en plus. Et le fait que nous produisions ainsi plus ne suffit pas à nous rétribuer. Nous aurions besoin d’une enveloppe plus flexible, qui accompagne davantage les efforts de diversification demandés aux agriculteurs domiens.«
Gabrielle Nicolas a également une pensée pour Mayotte, dernier territoire à être devenu département français, et connaissant un retard certain. « Les Mahorais bénéficient d’aides européennes spécifiques, du Feader, pour rattraper ce retard. Mais en contrepartie, ils doivent se mettre aux normes. Et c’est un énorme chantier pour eux. J’ai eu l’opportunité de visiter Mayotte récemment, je nous croyais en retard en Guyane, j’ai vu bien pire là-bas. Et même avec les aides supplémentaires, se mettre aux normes va être un sacré challenge pour les Mahorais.«
En Guyane, Gabrielle Nicolas porte plusieurs casquettes (« mais personne ne pense à me reprocher mon engagement, vu qu’il n’y a pas cumul des indemnités« ). Outre son métier d’agricultrice (exploitation en polyculture élevage, maraichage sous serre, pépinière, ovins viande, porcs de plein air, ouverture prochaine de gites, le tout avec deux salariés), Gabrielle Nicolas est donc première vice-présidente de la Chambre d’agriculture, mais encore siège-t-elle avec des responsabilités dans les commissions de diversifications aussi bien animale que végétale, et enfin elle préside l’APAPAG, association pour la promotion de l’agriculture et des produits agricoles de Guyane. « Elle a pour vocation d’apporter une assistance technique aux agriculteurs, également d’établir des mises en relation commerciales, d’aider à structurer les filières. Nous avons deux filières pour l’instant, l’une regroupant l’animal, l’autre le végétal. En Guyane, nous avons un taux d’autosuffisance de 10 % en volailles, de 13 % en porcs, de 17 % en bovins, de 1 % en ovins/caprins, l’aquaculture est à ses balbutiements – heureusement il y a la pêche, notamment avec les crevettes – de 50 % en fruits et légumes, et de 100 % en oeufs, grâce à une marque de producteurs. Nous avons du miel, qui n’est pas labellisé car nos abeilles ne sont pas exactement les mêmes, mais que l’on pourrait apparenter à du miel bio, et aussi un peu de faune sauvage (le caïman pour sa viande et les pécaris, sorte de cochons sauvages). Enfin, en termes de produits, grâce à nos cannes à sucre, nous avons un rhum renommé, le rhum Saint-Maurice.«
Au passage, quand Gabrielle Nicolas passe, par exemple, plusieurs jours au salon de l’agriculture pour promouvoir les produits issus de l’agriculture guyanaise, elle n’est pas remplacée sur son exploitation : les services de remplacement n’existent pas en Guyane. Là encore, un sujet de déséquilibre…
En savoir plus : http://www.odeadom.fr (site internet de l’Odeadom) ; http://www.guyanasso.org/annuaire/39-APAPAG_-_Ass._pour_la_Promotion_de_l_Agriculture_et_des_Produits_Agricoles_de_Guyane.htm (plus d’infos sur l’Apapag, association présidée par Gabrielle Nicolas) ; http://www.rhumssaintmaurice.com (site des rhums guyanais Saint-Maurice).
Ci-dessous : Gabrielle Nicolas sur le stand « Guyane » du salon de l’agriculture 2014, et en-dessous une de ses cultures sous serre qu’elle n’a pas pu traiter faute de phyto adéquat.