Grâce à l’enthousiasme de quelques passionnés, les vins de Corrèze ont grandement progressé, portés par l’IGP « vins de la Corrèze ». Le millésime 2014 s’annonce très bon et les caves se projettent dans l’avenir.
Les vignes recolonisent les coteaux de la Corrèze, exprimant toute la diversité géologique du département. Depuis 2012, l’IGP « vins de la Corrèze » regroupe trois vignobles : Saillant-Vézère, Branceilles et le vin paillé. « On compte 75 hectares de vignes en Corrèze. Comme nous sommes assez éloignés des régions viticoles, les petites structures peuvent se développer. Grâce au travail collectif mené avec des œnologues de renom, nos vins ont gagné en qualité. Par exemple, les vins de Branceilles ont plus de souplesse et d’équilibre », remarque Dominique Pessoz, conseiller de la Chambre d’agriculture de Corrèze. « L’IGP nous a conforté dans notre travail qualitatif, elle nous a donné un cadre et une reconnaissance. Par ailleurs, depuis 2009, les conditions météo sont optimales », se réjouit Pierre Perrinet, président de la cave de Branceilles. Le chiffre d’affaires de la filière tourne autour d’un million d’euros et, aujourd’hui, les producteurs lorgnent sur l’AOC.
A quelques kilomètres du Lot, le vignoble de Branceilles (près de Meyssac) a pour cépages principaux le merlot et le cabernet. Quelques vignes de gamay permettent de produire aussi du rosé. Planté dans les années 1980, le vignoble s’étend aujourd’hui sur 30 hectares, avec un rendement de 40 à 50 hectolitres par ha. La cave de Branceilles regroupe huit viticulteurs et vend 150 000 bouteilles par an (vin rosé sec ou moelleux, vin rouge élevé en cuve ou en fût de chêne et vin paillé) principalement en vente directe, et un peu en grandes surfaces régionales. Toute la production porte la marque « Mille et une pierres », dont le nom rappelle la nature ingrate des sols argilo-calcaires.
Depuis 2009, la cave s’est réorganisée pour accueillir une nouvelle production bio qui représente 25% des volumes. Les vendanges mécanisées sont réalisées par les producteurs, soutenus par une Cuma. « La mécanisation a amélioré la qualité du vin, car on peut attendre le dernier moment pour vendanger. On voudrait acheter l’année prochaine une table de tri embarquée », explique Pierre Perrinet qui évoque avec le sourire les vendanges 2014 : « Ce devrait être un super millésime, même si on aurait aimé récolter plus de quantité. Cela redonnera de l’oxygène aux viticulteurs, après l’année de faible rendement de 2013. » En 2014, le guide Hachette des vins a distingué une des cuvées 2011.
Près de Brive-la-Gaillarde, les vignes de Saillant-Vézère profitent depuis 2003 d’une faille ardoisière qui marque la séparation entre le Massif Central et le bassin aquitain. Elles bénéficient aussi d’un ensoleillement continu, à l’abri des vents du nord. Le terrain escarpé impose des récoltes à la main, avec des rendements de 35 à 40 hectolitres par ha. « Ce travail minutieux permet de faire deux passages en blanc : on récolte les plus belles grappes trois semaines plus tard pour faire du liquoreux. Le terroir ardoisier ressemble beaucoup à l’Anjou et c’est une géologie assez rare. C’est pourquoi nous avons planté principalement du chenin, sous les conseils du grand œnologue Jacques Puisais. Les vins blancs représentent 60 % de nos volumes et les vignes sont arrivées à maturité », commente René Maury, le nouveau président de la cave. Le chenin est toujours le cépage principal, donnant un blanc sec léger et parfumé. En blanc, la cave propose aussi un demi-sec sauvignon et un chardonnay, ainsi qu’un moelleux. Les rouges (merlot et cabernet franc) sont encore un peu jeunes, de l’avis des spécialistes.
« Au départ, nous étions une dizaine de viticulteurs passionnés qui voulions développer l’œnotourisme et dynamiser la région », rappelle le président. Le foncier est géré par un groupement de propriétaires et un chantier d’insertion a été mis en place pour dégager les broussailles. La cave SCA Coteaux de la Vézère exploite elle-même les vignes. « Aujourd’hui, nous avons 18 coopérateurs, 21 hectares plantés dont seize en production, et nous projetons d’atteindre 30 hectares dans cinq ans. Nous devrions commercialiser 60 000 bouteilles cette année et le cru s’annonce très bon, quantitativement et qualitativement. On s’est toujours focalisé sur la qualité en employant une œnologue à temps plein et en investissant dans 17 cuves en inox. »
Ainsi, les vinifications sont réalisées par cépage et parcelle. La cave travaille avec une quarantaine de restaurants dans la région et commercialise dans un rayon de 80 kilomètres. « Nos prix varient de 8,50 euros pour le chenin sec à 18 euros pour le liquoreux. Nous voudrions développer nos actions commerciales mais malheureusement, nous sommes restreints par nos faibles quantités. C’est impossible de faire appel à des cavistes et de vendre en grandes surfaces. Pourtant, cette semaine, on a encore reçu un sommelier londonien, preuve que notre vin a acquis une certaine renommée », déplore le président.
Relancé en 1999, le vin paillé est une production historique des cantons de Beaulieu et de Meyssac. Dans le pays, on murmure que Saint-Eloi en aurait offert au roi Dagobert… qui en aurait mis sa culotte à l’envers ! Récoltées à maturité, les plus belles grappes sèchent au moins six semaines sur des claies (le passerillage) puis sont pressées avant Noël. Le vin est ensuite élevé en moyenne deux ans avant la mise en bouteille. Selon le cahier des charges, il doit titrer douze degrés minimum. Pour le blanc, il faut utiliser du chardonnais ou sauvignon. Pour le rouge, du cabernet et cabernet franc.
Installés sur 25 hectares, les 17 viticulteurs produisent 60 000 bouteilles de ce vin sucré surnommé « miel des muses ». « On y était arrivé, mais aujourd’hui, on repart à zéro », soupire Dominique Pessoz. En effet, le conseil d’Etat a interdit en février dernier l’appellation « vin paillé » de Corrèze, considérant qu’elle portait à confusion avec le « vin de paille » jurassien : « Pourtant, avec nos faibles production, on ne leur fait aucune ombre… Officiellement, on peut encore utiliser la mention pour le millésime 2011, mais on ne sait pas ce qu’il en sera pour 2012 et 2013. A ce stade, on envisage avec l’INAO d’ouvrir une AOC afin de récupérer notre appellation. Mais la démarche prendra trois ou cinq ans et il faudra adopter le cahier des charges jurassien. Après l’énervement et le dégoût, c’est notre objectif. En attendant, on a deux ans pour trouver un nom transitoire à la cuvée 2014… », explique Dominique Pessoz.
Un cru qui s’annonce très bon : « Le printemps beau et sec a donné une bonne floraison, suivi d’un automne beau et chaud. On pense produire 10 à 20 % de plus cette année », explique le président du syndicat du vin paillé, Jean-Louis Roche.
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La carpologie (étude des graines et des fruits) a révélé la présence de raisins à Saint-Germain-les-Vergnes au premier siècle de notre ère. Au Moyen-Age, les coteaux de la Vézère étaient entretenus par les moines de l’évêché de Limoges, puis de Solignac, de l’Ordre de Malte, les Chartreux du Glandier… Les Papes corréziens ont emporté à la cour d’Avignon des ceps de vigne corréziens et on prétend même que les vins de Corrèze ont été servis à la table royale. Le vignoble a atteint son apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles (jusqu’à 15 000 hectares) avant de sombrer avec le phylloxera.
Dans les villages du sud Corrézien, on trouve facilement de vieilles maisons vigneronnes et des cabanes de vigne. Beaucoup plus au nord, à Meymac, il y a aussi des châteaux de vigneron… Même s’il n’y a jamais eu de vigne ! Dans les années 1860, des paysans se sont lancés dans le négoce des vins de Bordeaux, se présentant comme des vignerons installés à « Meymac Près Bordeaux »…
En savoir plus : www.coteauxdusaillant.fr (site des vins des coteaux du Saillant) ; http://www.vindebranceilles.com (site de la cave de Branceilles) ; http://www.vin-paille-correze.com (pour tout savoir sur les vins paillés de Corrèze).
Photos des coteaux du Saillant-Vézère. Crédit : SCA Coteaux de la Vézère.