Utiliser une bactérie génétiquement modifiée pour sauver les peintures de Lascaux : c’est l’idée insolite que développent huit étudiantes de Toulouse. A l’automne, elles présenteront leurs recherches à Boston lors d’un grand concours international de biologie synthétique.
Elles ont entre 21 et 24 ans, et sont passionnées de biologie expérimentale. Huit étudiantes de l’Insa Toulouse et de l’université Paul Sabatier ont été retenues en janvier pour participer au concours iGEM (International Genetically Engineered Machine) organisé par le MIT (le célèbre Massachusetts Institute of Technology). Rien que ça !
Le but de la compétition est d’imaginer de nouveaux champs d’exploration pour la biologie de synthèse. Les jeunes candidats déterminent librement un projet de recherche et le présenteront au jury à l’automne : « Ça n’a pas été simple de choisir un thème, d’autant plus que nous avons des parcours assez différents. Il fallait trouver rapidement une idée réalisable en six mois, avec un vrai intérêt scientifique. Nous avions plusieurs pistes, qui tournaient notamment autour de la restauration artistique. On voulait d’abord travailler sur un OGM capable de s’attaquer aux moisissures des tableaux, et on a pensé à Lascaux. Pour nous, c’est très intéressant de travailler sur le système biologique d’une grotte », explique Camille Roux, l’une des étudiantes.
Si l’idée fonctionne, ce serait un pas de géant dans cette saga qui dure depuis plus de 50 ans. En 1963, le ministre de la Culture André Malraux décide la fermeture de la grotte. La fréquentation touristique a en effet favorisé le développement d’algues et de calcite sur les peintures rupestres. En 2001, une seconde crise sanitaire éclate avec l’apparition de moisissures blanches assimilées au champignon fusarium solani. Des traitements antifongiques et antibactériens sont appliqués sur l’ensemble de la grotte… mais déclenchent le développement de tâches noires ! Aujourd’hui, la situation est stabilisée grâce à une approche plus globale et écologique. Pour autant, les œuvres sont en très mauvais état.
« L’OGM pourrait cibler une espèce particulière de champignon, celui qui cause les tâches noires. Lorsqu’on a contacté les scientifiques de Lascaux, ils ont été très surpris. L’idée d’introduire un OGM dans un lieu classé à l’Unesco leur paraissait complètement folle. Mais ils sont curieux de voir le résutat de nos recherches », sourit Camille Roux.
Les candidates ont commencé par identifier une bactérie présente dans la grotte : Bacillus subtilis. « Actuellement, on tente de cloner cette bactérie. Ensuite, on ajoutera des gènes soigneurs en adaptant nos manipulations au fur et à mesure. C’est toujours compliqué d’ajouter un gène, même dans une bactérie », explique l’étudiante.
Grâce à ces manipulations génétiques, la bactérie soigneuse devrait attaquer la biocénose du champignon, déployer un cocktail de quatre fongicides à large spectre, puis « s’autodétruire » par un système toxine/antitoxine (si la bactérie soigneuse contamine une autre bactérie, elles s’autodétruisent). Les candidates inventeront aussi un dispositif portatif pour appliquer leur OGM le plus localement possible et confiner les effets. La modélisation est bien sûr la clef de voûte de ces travaux, permettant d’estimer le degré de prédation de la bactérie, la dose idéale d’antifongique… Il faut prendre en compte aussi l’environnement hyper spécifique de la grotte, avec des critères en évolution constante.
Les recherches s’effectuent depuis le mois de juin en laboratoire de niveau 1 sur des souches non pathogènes. Elles feront sans doute l’objet d’une thèse dans les prochains mois. Mais si l’OGM s’avère efficace, les étudiantes espèrent qu’un industriel s’en empare pour déployer le système. Il faudrait néanmoins compter au moins dix ans de développement avant de pulvériser le produit sur les précieuses peintures.
Le laboratoire d’ingénierie des systèmes biologiques et des procédés à Toulouse subventionne les premiers essais. Malgré tout, il manque 3000 euros pour participer au concours. Ce serait trop bête que la belle histoire s’achète trop vite. Pour les encourager, rendez-vous sur leur page Ulule. D’autant plus qu’elles ont ouvert de nouvelles perspectives pour d’autres défis bactériologiques : « Si ça marche, le concept pourrait être décliné pour d’autres applications. Je pense notamment aux bactéries présentes dans les canalisations des hôpitaux », imagine Camille Roux.
En savoir plus : https://www.facebook.com/IGEM-Toulouse-1604834019761538 (page Facebook des étudiantes qui veulent sauver Lascaux) ; https://fr.ulule.com/paleotilis (financement participatif proposé sur une page de Ulule).
Photo fournie par iGEM Toulouse 2016.