L’Argentine s’est largement ouverte au Ogm et donc aux grand semenciers mondiaux. Mais elle développe sa propre expertise et annonce la mise au point d’un blé résistant à la sécheresse et à la salinité d’ici à 2017.
L’Argentine autorise le recours aux semences génétiquement modifiées (Ogm) depuis 1996. Sous la présidence et la politique libérale de Carlos Menem, le pays ne s’est guère encombré de débats sociétaux. Ses opposants et successeurs, Néstor Kirchner (2003-2007) puis son épouse Cristina Fernández Kirchner, présidente en exercice, n’ont pas changé de ligne. Les semences Ogm de Monsanto, Pioneer ou encore Syngenta ne sont pas concernées par la politique protectionniste de l’Argentine, qui restreint au maximum ses importations depuis la crise de 2001.
Actuellement, 98 % des semis de soja et 40 % des semis de maïs sont réalisés avec des semences modifiées, pour résister aux applications d’herbicides (glyphosate, glufosinate) et/ou aux attaques d’insectes. La culture d’Ogm à grande échelle se traduit ici ou là par des phénomènes de sélection de mauvaises herbes ou d’insectes résistants. Difficile de savoir du reste si ces phénomènes sont intrinsèques au Ogm ou s’ils sont liés et/ou amplifiés par des pratiques parfois inconséquentes (monoculture, non respect des zones refuges). Des phénomènes qui restent à ce jour globalement sous contrôle et qui, en tout cas, ne remettent pas en cause le modèle.
Si les grands semenciers mondiaux trouvent en Argentine matière à rentabiliser leurs investissements, l’Argentine investit aussi de son côté dans les biotechnologies appliquées aux semences. En 2001, 23 agriculteurs argentins ont créé Bioceres, une entreprise spécialisée dans les biotechnologies. Actuellement, elle regroupe 262 agriculteurs actionnaires, cumulant de 2,5 millions d’hectares en Argentine et au Brésil. L’entreprise emploie 110 personnes dont 62 en recherche et développement. Introduction de nouveaux caractères, microorganismes, biomolécules, traitements de semences : la charge n’est pas trop lourde pour les petites semences. Bioceres intervient sur quatre espèces que sont le blé, le soja, le maïs et la luzerne et développe des partenariats avec des entreprises argentine (Rizobacter pour les bio-inoculants), américaine (Arcadia Biosciences pour du soja résistant à la sécheresse et au sel) ou encore française telle que Florimond Desprez via le joint-venture Trigall Genetics.
C’est ce dernier qui finalise la mise au point d’un blé tolérant à la sécheresse et au sel, en collaboration avec l’université du Littoral de Rosario (Argentine). « Le gêne HB4 extériorise des gains d’autant plus importants que le rendement de référence est faible, avec comme valeur médiane un gain de 17 % démontré et répété au champ », déclare Martín Vásquez, directeur de recherche de Bioeceres.
Le gêne n’induit aucun effet, ni positif, ni négatif, sur les blés à haut rendement de l’ordre de 80 q/ha. La commercialisation de ce blé HB4, destiné à être emblavé en Argentine et au Brésil, est évidemment conditionnée aux autorisations des pays concernés et à son acceptation par les opérateurs de la collecte. Bioceres mise sur 2016 sinon sur 2017 et ne cache pas que Florimond Desprez, outre l’apport de sa génétique, constitue un gage précieux de crédibilité. Si Bioceres tient son calendrier, ses autorisations et sa promesse produit, l’entreprise prendra une sérieuse avance sur la concurrence et notamment sur Vilmorin, dont l’échéancier pour un gêne équivalent se situe à l’horizon 2020.
Si toutes les conditions sont remplies, il restera à l’entreprise de biotechnologie à faire valoir ses droits sur la génétique, le blé étant, comme le soja, une espèce autogame. « Le re-semis de blé HB4 fait perdre une grande partie des avantages de la semence certifiée, pour des questions liées aux traitements spécifiques appliqués sur les graines », précise Martín Vásquez.
Face à la démographie mondiale, au changement climatique et à la concurrence s’exerçant sur la ressource en eau, la mise au point de blé tolérant au stress hydrique et à la salinité revêt des enjeux énormes à l’échelle planétaire. Les chercheurs de Bioceres ne s’en tiennent pas là et planchent sur le « molecular farming », qui consiste à faire produire, par des végétaux, des enzymes produites aujourd’hui par d’autres voies, plus onéreuses et/ou moins écologiques. A partir du carthame, une plante oléagineuse non concurrente des cultures alimentaires et poussant en prime dans les zones sèches, Bioceres réussit à produire une enzyme, la chymosin, entrant dans la fabrication de certains fromages. Ce projet en est au stade pré-commercial. L’entreprise de biotechnologies travaille également à la mise au point d’un cocktail enzymatique d’origine végétale, capable de dégrader la biomasse et de produire des biocombustibles à partir d’espèces encore une fois non concurrentes des cultures alimentaires.
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Limagrain n’est présent en Argentine que depuis 2009. Après avoir racheté le programme maïs de Don Mario, l’un des deux semenciers majeurs argentins avec Nidera, Limagrain a ouvert successivement deux stations de recherche dans la province de Buenos-Aires, spécialisée dans le maïs pour l’une et dans le blé et le tournesol pour l’autre. A partir de 2011, Limagrain a commencé à inscrire des variétés dans ses trois espèces de prédilection et la campagne 2013 2014 a consacré ses premières ventes. L’objectif de Limagrain Argentina est de passer du statut de start-up à celui de société reconnue, par l’entremise de la marque LG. La filiale vise 10 % de part de marché à l’horizon 2023 sur les trois espèces concernées.
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/argentine (retrouvez tous nos articles concernant l’Argentine sur ce lien).
Ci-dessous, 40 % de semis de maïs sont réalisés avec des semences Ogm.
Ci-dessous, Martín Vásquez, directeur de recherche de Bioeceres : « Le gène HB4 accroît la tolérance à la sécheresse et au sel du blé, avec un grain de rendement moyen de 17 % ».
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Initiative audacieuse, d’autant plus qu’elle émane des agriculteurs eux-mêmes (23 au départ, 262 actuellement). A propos de l’absence d’effet du gène HB4 sur les variétés à hauts rendements, de l’ordre de 80 qx/ha, je pense que les conditions de production favorables l’expliquent (absence de salinité ou de déficits hydriques prolongés dans les sols).