A grand coup de subventions publiques, la Russie relance ses productions nationales pour palier l’embargo sur les produits agricoles européens et l’effondrement des cours du pétrole. Petit à petit, les holdings russes investissent et deviennent même des exportateurs significatifs. Mais pour cela, il faut former en masse les agriculteurs et moderniser les équipements. En ce moment, des cowboys américains sont d’ailleurs en Russie pour enseigner les bases du métier à de nouveaux éleveurs russes !
« Non seulement nous pouvons nous nourrir nous-mêmes compte tenu de nos terres et de nos ressources hydrologiques, mais la Russie est en mesure de devenir un leader mondial de la production de produits sains, écologiquement propres, de qualité », affirmait vaillamment Vladimir Poutine en décembre dernier.
Le Président russe envisage l’autosuffisance alimentaire de la Russie en 2020 sur la base de signes positifs : les exportations de produits agricoles russes ont rapporté plus que le commerce d’armes en 2015. En 2016, les revenus de ces exportations agricoles pourraient atteindre 20 milliards de dollars. Selon un article du Wall Street Journal du 7 février, la Russie est même en passe de devenir le plus grand exportateur de céréales : la Russie expédirait cette année 23,5 millions de tonnes de céréales (notamment vers des marchés porteurs comme l’Egypte), contre 20,5 millions pour le Canada et 21,8 millions pour les Etats-Unis.
Soit, les rendements des 122 millions d’hectares cultivables sont très faibles, et les procédures administratives sont extrèmements complexes, longues et décourageantes. Mais de nombreux investisseurs (y compris internationaux) sont attirés par le foncier abondant et bon marché, et les coûts de production limités.
Côté élevage, le cheptel russe s’élevait à 60 millions de têtes en 2015 selon le bureau Business France de Moscou. L’an passé, la production de viande et de produits carnés en Russie a augmenté de 13,3% pour atteindre 2 millions de tonnes (selon les chiffres du service fédéral russe statistique rapporté par un article du site Russia beyond the headlines). Si la production laitière ne décolle pas franchement, la nouvelle filière de vaches allaitantes (lancée en 2010) a fourni 2,2 millions de bêtes en 2014.
L’Etat octroie des subventions considérables pour le développement de l’élevage bovin (5,43 milliards de de roubles, soit 64 millions d’euros, en 2014 sur le budget fédéral). Le but est de soutenir la reproduction des animaux de race, d’accorder des taux bonifiés pour la réalisation de nouveaux projets et de lancer des programmes régionaux (notamment dans la région de Briansk). Le Kremlin a même demandé aux coopératives de Sibérie d’augmenter la production de viande de Rennes ! Pour la petite histoire, une usine de transformation s’est installée dans l’oblast de Kamchatka à l’automne dernier. Elle produit 30 tonnes de saucisses, conserves et ragoûts à partir d’un troupeau de 11 000 rennes…
Depuis plusieurs années, le marché de la viande est capté par de grands holdings russes, comme Miratorg, Albeef, Agro-Belogorie, Zarechnoye, Stevenson ou Tcherkizovo. L’embargo et la dévaluation du rouble ont permis à ces groupes d’entreprendre des investissements avec le soutien du gouvernement. Par exemple, la société Cherkizovo (aidé par le groupe espagnol Grupo Fuertes) ouvrira en 2016 un immense complexe de production de dindes. L’incubateur aurait une capacité de 240 millions d’œufs !
Cependant, depuis l’arrêt de l’agriculture collectiviste, les savoir-faire agricoles se sont perdus. Les exploitations sont principalement familales et traditionnelles, les produits étant vendus sur des marchés locaux ou dans les villages. Pour passer à l’échelle industrielle, les Russes ont donc un besoin criant de formation, de semences, de génétique et d’équipement, comme en témoigne le succès du salon Yugagro à Krasnodar.
Un récent article du New York Times témoignait d’une situation particulièrement cocasse : depuis quelques mois, des cowboys américains du Wyoming forment un millier de fermiers russes affiliés au groupe Miratorg (fondé en 2010, il réunit trois millions d’hectares de cultures – bientôt cinq – et détient 315 000 bêtes.). Autant dire que le choc des cultures est plutôt violent, et réactive des clichés remontant à la guerre froide.
Le reportage a eu lieu dans un tout nouveau ranch de Miratorg, situé dans la région de Briansk. Beaucoup d’employés sont originaires de cette province rurale, mais sont partis travailler à Moscou. Pour eux, l’élevage est une opportunité de rentrer au pays. Avec une pointe de condescendance, le journaliste du Times explique que les techniques russes n’ont pas franchement évolué depuis les sovkhozes et kolkhozes : « A l’époque soviétique, lorsque deux personnes tentaient de faire bouger une vache récalcitrante, quatre autres restaient restés assis à crier des conseils. (…) Les cowboys aspirant doivent donc s’habituer à travailler de longues journées dans des conditions difficiles, un concept qui semble souvent fictif pour beaucoup d’entre eux », s’amuse le reporter.
Pour autant, les échanges sont plutôt cordiaux. « Certains proches me demandent si j’ai peur, mais les médias américains exagèrent les faits. Les besoins et les désirs des Russes ne sont pas différents des nôtres », s’étonne même le formateur Mr. Corlett qui affirme que l’accueil a été positif. Pour leur part, les stagiaires russes semblaient surpris par le professionnalisme des cow-boys.
Quant au manager de cette ferme Miratorg (ancien installateur d’ascenseurs à Moscou…), il reconnait qu’il est difficile de recruter. Il constate que peu de gens sont capables de travailler dans cette région aride et glaciale… en restant sobre !
Ci-dessous, reportage sur l’élevage de rennes en Russie.
VIDEO. Sibérie : à la rencontre des éleveurs de rennes
En savoir plus : http://www.nytimes.com/2016/01/29/world/europe/russians-learn-the-ways-of-the-cowboy-from-american-ranch-hands.html (l’article du New York Times) ; http://www.wsj.com/articles/ground-shifts-under-wheat-export-market-1454754785 (article du Wall Street Journal) ; http://www.lesechos.fr/07/06/2013/LesEchos/21452-055-ECH_a-krasnodar–les-promesses-de-l-agriculture-russe.htm (article des Echos sur le salon de Krasnodar) ; http://fr.rbth.com/economie/2016/01/13/splendeur-et-misere-du-renouveau-agricole-russe_558883 (article du site Russia beyong the head lines, propriété du journal d’Etat Rossiyskaya Gazeta, sur les limites du développement de l’agriculture russe) ; http://export.businessfrance.fr/001b1504239a+le-marche-des-filieres-d-elevage-en-russie-2015.html (publication “le marché des filières d’élevage en Russie » pour Business France).
Notre illustration ci-dessous montre un renne issu d’un élevage en Russie et est issue du site Fotolia, lien direct https://fr.fotolia.com/id/99867819.
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Bon article, une vision politique claire , effectivement autour de Moscou les surfaces agricoles inexploitées étaient importantes, mais aussi en sibérie
On aurait pu parler des fermes des xxmilles vachesxx autour de Moscou notamment à Zélénograd
Retrouver leur agriculture sera une fierté pour les Russes