Le prospectiviste américain Jeremy Rifkin, invité du forum Vitagora de Dijon le 14 avril, a invité le monde agricole français à entrer de plain-pied dans la troisième révolution industrielle.
C’était un événement très attendu. Le célèbre économiste et prospectiviste américain Jeremy Rifkin devait s’exprimer devant le monde agricole et de l’industrie agroalimentaire français lors du forum Vitagora qui se déroulait à Dijon le 14 avril. Il était, en effet, l’invité d’honneur du forum où il a prononcé une « conférence exceptionnelle » qui avait pour thème « L’internet des objets, l’avenir de l’alimentation et la troisième Révolution industrielle ».
Rappelons brièvement qui est Jeremy Rifkin. Celui-ci est connu pour être l’auteur d’ouvrages qui ont rencontré un grand succès international, mais aussi pour être consultant auprès de gouvernements – lors de cette conférence, il a affirmé avoir rencontré Angela Merkel en 2005 et plus récemment le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, et le Premier ministre chinois actuel – et de collectivités territoriales, comme la région Nord-Pas-de-Calais avec laquelle il a travaillé quelques mois en 2012-2013 sur un projet visant à inscrire la région dans la troisième révolution industrielle. Un Master Plan a ainsi été réalisé par les équipes de Rifkin. Il prévoit cinq piliers pour « construire une économie durable » dans la région : (1) le développement des énergies renouvelables à grande échelle, (2) la généralisation des énergies renouvelables dans chaque bâtiment pour qu’il puisse se transformer en mini-centrales électriques, (3) le déploiement de techniques de stockage de l’énergie dans chaque bâtiment et infrastructure, (4) l’utilisation de la technologie de l’internet pour transformer le réseau électrique en « système intelligent de distribution décentralisée de l’énergie », (5) et la transformation de la flotte de transport en véhicules électriques rechargeables. Le Nord-Pas-de-Calais est d’ailleurs la première région au monde à avoir adopté un tel « plan de développement de troisième révolution industrielle ».
Ce projet-pilote a fait des émules puisque, par exemple, la région Pays de la Loire mise également sur la « troisième révolution industrielle et agricole » – elle a donc rajouté la dimension agricole à cette révolution – en vue de « mobiliser l’ensemble des acteurs économiques autour des enjeux des transitions énergétique, écologique, numérique et sociétale et des opportunités de compétitivité et de croissance offertes par le développement d’une économie post-carbone et numérique ». Elle entend même devenir un « fer de lance de la troisième révolution industrielle et agricole ». Ce projet repose quant à lui sur six piliers : les énergies renouvelables, le stockage de l’énergie, les réseaux intelligents, l’éco-mobilité, les bâtiments et l’énergie et enfin, spécificité des Pays de la Loire par rapport au Nord-Pas-de-Calais, l’agriculture écologiquement intensive.
La notoriété internationale de Jeremy Rifkin provient également du caractère souvent iconoclaste des idées qu’il défend. On se souvient ainsi de son célèbre ouvrage paru en 1996, qui a suscité de nombreuses polémiques, sur La fin du travail (La Découverte) ou d’un autre ouvrage, Le rêve européen. Ou comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire (Fayard), publié en 2005 dans lequel il expliquait que l’Union européenne était un modèle à suivre, tandis que les Etats-Unis étaient en déclin.
A Dijon, Jeremy Rifkin est principalement revenu sur la thèse centrale de son dernier ouvrage intitulé La Nouvelle société du coût marginal zéro (Les liens qui libèrent Editions, 2014), qui reprend en large partie ce qu’il avait développé dans son ouvrage précédent, La Troisième révolution industrielle (Actes Sud), paru en 2013.
Pour lui, les révolutions industrielles sont liées à l’émergence et à la convergence au même moment de trois types d’innovations : de nouvelles technologiques de la communication, de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux modes de transports. La première révolution industrielle au XIXe siècle a été ainsi liée à la conjonction de technologies comme le chemin de fer dans le domaine des transports, le télégraphe et la presse à vapeur (impression notamment de journaux grâce à des presses à vapeur) dans celui des communications dans un contexte où le charbon est abondant et bon marché. La seconde révolution industrielle au XXe siècle a été, quant à elle, le fruit d’innovations telles que l’électricité, le téléphone, la radio et la télévision, qui ont convergé avec un pétrole bon marché et la révolution dans les transports favorisée par le moteur à explosion (automobile, aviation). Or, d’après lui, nous sommes à la fin de cette révolution et à l’aube d’une nouvelle révolution industrielle, elle aussi, résultat d’une convergence d’innovations en matière de communication, d’énergie et de transport. Il estime d’ailleurs que la transition entre la deuxième et la troisième révolution industrielle devrait prendre de 30 à 40 ans.
La principale innovation technologique dans le secteur de la communication est bien entendu internet, dans celui de l’énergie est ce qu’il appelle l’« internet de l’énergie » et dans celui des transports, des modes de transports automatisés, comme la voiture autonome, qui se conduit sans chauffeur. Ces différentes innovations convergent pour créer un super-internet des objets. En clair, selon Rifkin, internet de l’information + internet de l’énergie + internet des transports et de la logistique = internet des objets.
Jeremy Rifkin estime ainsi que d’ici quelques années, il y aura des capteurs partout, dans les sols agricoles, les usines, les entrepôts, les camions, les magasins de détail, les maisons ou les routes. Il donne même le chiffre ahurissant de 100 000 milliards de capteurs dans le monde à l’horizon 2030. Ces capteurs vont renvoyer des données qui seront collectées et analysées dans un seul réseau mondial. C’est ce qui correspond aux mégadonnées ou au Big Data. D’après lui, il sera possible d’avoir des données dans l’ensemble de la « chaîne de valeur » et donc d’améliorer la productivité à chacune des étapes de cette chaîne grâce à de puissants algorithmes.
Mais le plus étonnant, c’est que, selon Jeremy Rifkin, cette nouvelle révolution industrielle favorisera en définitive un coût marginal (à savoir le coût de production d’une unité supplémentaire de bien ou de service après avoir amorti les coûts) qui devrait tendre vers zéro. Ce sera le cas, par exemple, dans le secteur de l’énergie. Chacun pourra produire de l’énergie renouvelable (énergie éolienne, géothermique ou solaire). Une fois que le coût des installations sera amorti, le coût de l’énergie deviendra modique. Jeremy Rifkin a donné à ce propos le cas de l’Allemagne où les énergies renouvelables représentent déjà 26% de l’énergie, alors qu’un million de bâtiments produisent de l’énergie. C’est notamment le cas des fermes. En 2040, 100% de l’énergie dans le pays devrait être ainsi renouvelable. Cela lui fait dire qu’à l’avenir tout le monde produira sa propre énergie. La Chine a également pris conscience de cette nécessité de procéder à transition énergétique puisqu’elle investit actuellement pour que chaque Chinois puisse produire sa propre énergie.
Cette tendance vers un coût marginal zéro a déjà dévasté certains secteurs d’activité, comme l’industrie de la musique. D’après Rifkin, l’idée selon laquelle les secteurs de l’énergie et de la fabrication physique des biens seraient épargnés par cette évolution est totalement erronée. L’internet des objets va permettre aux entreprises, mais aussi à ce qu’il appelle les « prosommateurs », contraction de producteurs et de consommateurs, de produire et de distribuer leur propre énergie, d’utiliser des automobiles automatisées et de fabriquer de plus en plus d’objets grâce à des imprimantes 3D à des coûts marginaux très faibles.
C’est ce qui va favoriser, selon lui, une « économie du partage » dans laquelle les biens deviennent gratuits, à partir du moment où le coût marginal de leur production tend vers zéro, et partageables. Cette économie du partage est le premier système économique à avoir émergé depuis la naissance du capitalisme. Or, celle-ci va fondamentalement transformer le système d’économie marchande. Les trois milliards d’internautes dans le monde deviennent, en effet, à la fois producteurs et consommateurs, donc des « prosommateurs ». Ils partagent des biens et des services à coût marginal zéro : partage de la musique et des vidéos, blogs, contributions à wikipedia ou suivi de cours via des Mooc (pour Massive open online course, à savoir des cours en ligne délivrés dans de grandes université que l’on peut suivre de chez soi grauitement). Selon Jeremy Rifkin, cela devrait conduire à une démocratisation de l’économie, du savoir, de l’information, du divertissement, de l’éducation et de la culture. Cette économie devrait être notamment portée par les nouvelles générations qui attachent plus d’importance à l’usage des objets qu’à leur propriété.
Or, pour lui, on doit impérativement entrer dans la nouvelle révolution industrielle si l’on ne veut pas mourir. Ce sera en particulier le cas pour l’agriculture qu’il qualifie d’« industrie la plus inefficace en termes de chaîne de valeur » car ce secteur contribue au changement climatique en émettant davantage de gaz à effet de serre que celui des transports (les cheptels émettent du méthane, les engrais dégagent de l’oxyde nytrique). En même temps, elle est aussi la première victime du changement climatique, alors que celui-ci se produit beaucoup plus rapidement que prévu.
Alors, quelle est la solution préconisée par Rifkin ? Pour lui, il faut tout simplement que l’agriculture entre dans la nouvelle révolution industrielle. L’internet des objets va, d’après lui, favoriser une agriculture soutenable, d’autant qu’il est nécessaire de passer de l’agriculture chimique, donc dépendante du pétrole et symbole de la seconde révolution industrielle, à l’agriculture biologique et renouvelable, qui serait l’agriculture de la troisième révolution industrielle. Pour cela, il faut notamment modifier la priorité des subventions agricoles. Cela signifie, par exemple, que chaque agriculteur doit être autonome en énergie. Les fermes doivent produire de l’énergie et la revendre au réseau.
Disons-le tout net, la partie de la conférence de Jeremy Rifkin sur l’agriculture et l’alimentation a été un peu décevante. Elle a été tout d’abord très brève. Il a d’ailleurs avoué lui-même qu’il n’avait consacré qu’un demi chapitre à ce sujet dans son livre. En outre, son discours sur l’agriculture et le changement climatique semble assez convenu. A l’évidence, il ignore ou minimise les efforts effectués par le secteur agricole en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre. L’ingénieur Philippe Bihouix critiquait le point de vue de Rifkin dans Les Echos en l’incitant à visiter une usine ou une exploitation minière. On pourrait sans doute l’inciter aussi à visiter un champ… Enfin, il n’a pas du tout parlé, et c’est bien dommage, de sujets aussi cruciaux dans une optique de troisième révolution industrielle que l’agriculture citadine, les fermes verticales, la méthanisation ou encore l’agro-écologie.
Plus globalement, si la vision de Jeremy Rifkin suscite de nombreuses critiques, elle présente néanmoins un gros avantage. Elle tente de combiner l’optimisme des dirigeants de la Silicon Valley sur l’effet des technologies sur la société, que certains décrivent comme une vision « solutionniste », ceux-ci estimant que la technologie peut permettre de régler tous les problèmes du monde, et une vision écologiste beaucoup plus sombre qui insiste sur la nécessaire transition vers un après-pétrole dans un contexte de changement climatique.
Or, il semble bien que nous n’ayons pas trop le choix. Depuis la première révolution industrielle, le développement économique a été, en effet, étroitement lié à la combustion d’énergie fossile, qui, on le sait, est la principale cause du changement climatique. Dès lors, trois options s’offrent à nous. Soit on continue sur les mêmes bases, mais dans ce cas, on risque d’aller droit dans le mur et de se heurter aux conséquences sans doute dramatiques et inéluctables du changement climatique. Soit on renonce au développement, comme le prône les décroissants, mais cela paraît inenvisageable pour les millions de Chinois, d’Indiens, d’Indonésiens ou de Brésiliens, qui viennent à peine de sortir de la pauvreté et qui veulent continuer à rouler en automobile, à voyager un peu partout dans le monde en avion ou à manger de plus en plus de viande. Soit on essaie d’envisager une nouvelle forme de croissance, une croissance « verte » comme on le dit souvent, qui consiste à déconnecter développement économique et combustion d’énergies fossiles en recourant notamment à des technologies dites « propres ». C’est la voie de la révolution énergétique et digitale prônée par Jeremy Rifkin.
Or, celle-ci commence à être suivie, et pas seulement dans le Nord-Pas-de-Calais, et à donner ses premiers résultats puisque, pour la première fois en 2014, le secteur de l’énergie dans le monde a continué de croître sans émettre plus de dioxyde de carbone que l’année précédente alors que jusqu’à présent, il y avait un lien étroit entre croissance de ce secteur et émissions de gaz à effet de serre.
En savoir plus : www.vitagora.com/forum-fr (informations sur le forum Vitagora 2015), www.foet.org/JeremyRifkin.htm (site de la Foundation on Economic Trends, organisation cofondée et dirigée par J. Rifkin), www.thethirdindustrialrevolution.com/masterPlan.cfm (site du Third Industrial Revolution Consulting Group présidé par J. Rifkin), www.latroisiemerevolutionindustrielleennordpasdecalais.fr/jeremy-rifkin/ (principales idées de J. Rifkin présentées sur le site de la région Nord-Pas-de-Calais), www.latroisiemerevolutionindustrielleennordpasdecalais.fr/ (site de la région Nord-Pas-de-Calais consacré à la mission Rifkin), www.troisieme-revolution-industrielle-agricole-pays-de-loire.fr/ambition-tri/projet-ligerien/ (site de la région des Pays de la Loire consacré à la troisième révolution industrielle et agricole), www.lesechos.fr/14/10/2014/LesEchos/21792-053-ECH_pourquoi-rifkin-fait-fausse-route.htm (tribune de Philippe Bihouix publiée dans Les Echos le 14 octobre 2014).
L’image ci-dessous est issue du blog de Vitagora, lien direct http://www.vitagora.com/blog/2015/04/17/forum-vitagora-2015-des-images-avant-de-revivre-les-conferences.
Je travaille dans la fabrication additive et le marché est en plein essor. Il serait temps que notre pays mette en place de vrais plans de financement pour soutenir cette 4ème révolution industrielle. L’impression 3D sera dans les années à venir un gros pourvoyeur d’emplois avec des métiers d’impression 3D tels que designer 3d ou opérateur sur machine.
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Prosommateur, imprimante 3D, algorithme…. entre 1984 d’Orwell et Soleil vert ou …le monde d’après Mosanto ? La planète doit elle se débarrasser de cette évolution darwinienne appelée « homo sapiens »…on peut s’interroger …le tout n’est plus de savoir comment nourrir 7 MM d’individus bipèdes mais comment fournir de l’énergie à la « troisième révolution industrielle » des algorithmes producteurs de produits 3D à coût 0… toc.. toc …si on (homo « sapiens ») revenait à nos fondamentaux ….la recherche de l’ équilibre : celle du citoyen entre « liberté, égalité et fraternité » celle du paysan entre « ager, saltus, hortus et silva » …. to be or not to be ?