Au-delà de 2,5°C à l’horizon de 2065, la hausse des températures modifierait considérablement la géographie des productions de blé, de maïs et de tournesol en Russie, en Ukraine et au Kazakhstan. Des baisses de production allant jusqu’à 70 % sont ainsi envisageables. Certaines cultures pourraient même disparaître dans les régions semi arides ou tempérées chaudes.
Dans quelques dizaines d’années, la bonne campagne céréalière de 2016 en Russie, en Ukraine et au Kazakhstan aura été reléguée au rang du souvenir. Ces trois pays du bassin de la Mer Noire ont produit plus de 115 millions de tonnes (Mt) de blé et prévoient d’en exporter 54 Mt d’ici le mois de juin 2017, soit un tiers des exportations mondiales, selon le Conseil international des céréales. Mais les agriculteurs doivent essentiellement ces bons résultats aux très bonnes conditions climatiques de l’année et non aux intrants épandus, très onéreux. Les dévaluations du rouble (monnaie russe) et de la hryvnia (monnaie ukrainienne) ont considérablement renchéri, en Russie et en Ukraine, les prix des produits importés.
« L’étude de l’effet du changement climatique sur le potentiel de développement des productions végétales en Russie, Ukraine, Kazakhstan à moyen terme », publiée par le ministère de l’Agriculture révèle qu’une hausse des températures accroîtra les risques climatiques et générera des pertes de rendements et de production considérables si le phénomène n’est pas encadré. Deux scénarios ont été envisagés : « l’extrême » et le « modéré ».
Si, à l’horizon de 2065, l’augmentation moyenne des températures est de 4,5°C (scénario « extrême »), ces trois pays du bassin de la Mer Noire pourraient voir leur récolte de blé diminuer de 29 %, celle de maïs de 70 % (en Ukraine essentiellement) et celle de tournesol de 50 %.
Dans les zones boréales russes, aux confins des zones de productions actuelles, les nouveaux espaces alors rendus propices à la culture de céréales, sous l’effet de l’augmentation de la température, ne compenseront pas les pertes de productions dans les régions kazakhes semi arides ou ukrainiennes tempérées chaudes.
Dans certaines régions, la moindre pluviométrie est plus redoutée que la hausse directe des températures même si les deux facteurs sont combinés.
Concrètement, pour une production moyenne de 103 Mt de blé (moyenne des trois dernières années), la récolte serait de 72 Mt à surface constante, soit une baisse estimée à 31 Mt.
Les marchés mondiaux de céréales ne pourraient plus alors compter sur ces trois pays de la Mer Noire pour s’approvisionner puisque leurs capacités d’exportations seraient alors réduites d’au moins des deux tiers (en considérant la consommation intérieure inchangée à celle de 2016, faute d’hypothèses sur ce point à l’horizon de 2065). Alors qu’entre-temps les besoins de la planète auraient considérablement augmenté.
Dans un tel scénario extrême, la production de maïs serait pour sa part réduite à peau de chagrin (baisse estimée de 75 % à l’horizon de 2065). Cette céréale serait essentiellement cultivée en Ukraine dans la « zone tempérée » actuelle.
Quant au tournesol, l’Ukraine verrait aussi sa production réduite de moitié. Au Kazakhstan, elle aurait quasiment disparu. La seule extension possible de ces deux cultures, qui nécessitent de la chaleur, est la zone tempérée ukrainienne mais les gains seraient marginaux au regard des pertes attendues à l’échelle des trois pays.
En conséquence, une hausse de 4,5°C de la température d’ici 2065 dans le bassin de la Mer Noire fragiliserait la sécurité alimentaire de la planète. Et les pertes estimées s’ajouteraient à celles attendues dans les autres parties du globe qui n’échapperaient pas non plus à un tel réchauffement climatique. S’ensuivraient alors une multiplication des conflits, des migrations massives de populations et des révoltes de la faim si rien n’est fait pour atténuer le phénomène.
Evidemment, si de nouvelles variétés de céréales et de tournesol plus résistantes à la hausse des températures ont été mises au point d’ici 2065, les conclusions du scénario « extrême » n’ont plus de raisons d’être envisagées telles quelles.
Le second scénario envisagé par « l’étude de l’effet du changement climatique sur le potentiel de développement des productions végétales en Russie, Ukraine, Kazakhstan à moyen terme » repose sur une hausse des températures de 2,4 °C à l’horizon de 2065 (scénario « modéré »). Dans cette hypothèse, ces trois pays préserveraient leurs capacités de production sur l’ensemble des surfaces actuellement cultivées.
Certes, une baisse de production est envisageable : – 3 % en moyenne pour le maïs et le tournesol et – 4 % pour le blé. Mais la hausse modérée des températures pourrait étendre les surfaces cultivables en céréales au-delà des limites actuelles et compenser largement ces pertes. Les régions boréales en Russie seraient plus appropriées à la culture de blé et les zones tempérées humides en Ukraine, davantage aptes pour être cultivées en maïs et en tournesol.
Les résultats obtenus dans le cadre de cette étude vont dans le même sens que ceux de la recherche scientifique, rapporte l’étude du ministère de l’Agriculture. Citons notamment l’article de Elena Lioubimtseva (FAO, 2015) publié récemment. Il conclut (traduit de l’anglais) : « Les projections issues des scénarios de changements climatiques suggèrent que le potentiel de production de céréales dans la Fédération de Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan pourrait augmenter en raison d’une combinaison de l’augmentation de la température hivernale, de l’extension de la saison de culture, et de l’effet de fertilisation du CO2 sur les cultures agricoles ; cependant, la zone semi-aride la plus productive pourrait subir une augmentation spectaculaire de la fréquence des sécheresses. (…) Notre analyse montre que les objectifs ambitieux d’augmentation de la production des céréales et de la viande dans les années 2020, formulées récemment par les gouvernements des trois pays, sont peu susceptibles d’être accomplis. »
Mais le changement du climat de la planète n’épargnera aucun continent et au stade actuel de nos connaissances, il est difficile d’en cerner toutes les conséquences positives et négatives.
Notre illustration ci-dessous représente le port d’Odessa (Ukraine, Mer Noire), avec les silos céréaliers sur la gauche de la photo. Source Fotolia. Lien direct : https://fr.fotolia.com/id/131429414.