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Quels liens existe-t-il entre les migrants et l’agriculture ?

La crise actuelle des migrants n’est pas sans lien avec l’agriculture puisque la guerre en Syrie, qui en est le principal moteur, a été en grande partie le résultat d’une terrible crise agricole. L’afflux massif de migrants en Europe peut sans doute répondre à des besoins de main-d’œuvre agricole, mais apparaît aussi comme une source de préoccupations pour les agriculteurs.

La crise actuelle des migrants, qui est en partie liée à la forte dégradation de la situation au Proche et Moyen-Orient, n’est pas sans lien avec l’agriculture. La multiplication des conflits, notamment suite à ce qui a été appelé sans doute un peu prématurément à l’époque le « Printemps arabe » en 2011, a conduit à une explosion du nombre de réfugiés et de déplacés internes dans le monde depuis le début des années 2000. Selon l’agence spécialisée des Nations unies UNHCR, leur nombre est ainsi passé de 19 millions en 2005 à 53 millions dix ans plus tard. Ce sont bien entendu les Syriens qui sont largement les plus nombreux. En 2015, on comptait près de 12 millions de réfugiés syriens sur une population totale de 23 millions. Cela signifie que plus de la moitié de la population du pays a été conduite à s’exiler, au sein même de la Syrie, dans les pays voisins – 1,9 million en Turquie, 1,1 million au Liban, ce qui représente plus d’un quart de la population du pays, et 630 000 en Jordanie (données UNHCR) –, mais aussi sur le continent européen et même au-delà. En d’autres termes, si la Syrie avait la population de la France, le nombre de réfugiés s’élèverait à 32,5 millions…

L’Europe fait ainsi face en 2015 à la plus importante crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Depuis le début de l’année, selon les données fournies par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), quelque 465 000 migrants seraient ainsi arrivés sur le Vieux continent, les Syriens étant les plus nombreux, d’après les demandes d’asile.

Des agriculteurs parmi les migrants ?

Dans l’état actuel des choses, il est bien évidemment impossible d’avoir des informations fiables sur la composition socioprofessionnelle des migrants. On ne peut qu’émettre des hypothèses en partant des données existantes sur, par exemple, la part de l’agriculture dans la population active des principaux pays de provenance des migrants, en l’occurrence la Syrie, l’Afghanistan et l’Erythrée. Selon les données de la CIA (World Factbook 2015), l’agriculture représentait ainsi 17 % de la population active en Syrie (chiffre de 2008), 25 % en Afghanistan et 12 % en Erythrée.

On peut donc supposer que, parmi les migrants qui arrivent en Europe, figurent des agriculteurs, même si les observateurs tendent à expliquer que ce sont souvent des classes moyennes instruites qui disposent de certains moyens matériels, ne serait-ce que pour pouvoir payer un passeur, qui forment le gros des troupes de migrants en provenance de Syrie. Or, il n’est pas certain que les agriculteurs syriens aient un tel profil.

Il convient néanmoins de rappeler que les agriculteurs ont été les premiers déplacés internes syriens avant même le début du conflit dans le pays. La Syrie a, en effet, connu une terrible vague de sécheresse durant les années 2000, la plus forte que le pays ait connue depuis quatre décennies, qui a conduit 1,5 million d’agriculteurs à quitter les campagnes pour s’entasser dans des situations très précaires dans les périphéries des principales agglomérations déjà surpeuplées du pays. Ainsi que l’affirmait Al Gore le 9 juillet dernier lors du Sommet du climat des Amériques, « de 2006 à 2010 [la Syrie] a connu une sécheresse qui a détruit 60 % de ses fermes et décimé 80 % de son bétail et conduit un million et demi de réfugiés climatique dans les villes de Syrie, où ils se sont heurtés à un autre million et demi de réfugiés de la guerre d’Irak ».

Beaucoup d’observateurs estiment que cette situation a contribué aux tensions que le pays a connues et qui ont débouché sur le conflit actuel – c’est dans les villes les plus touchées par la sècheresse que les rébellions ont démarré : Deraa dans un premier temps, puis Damas, Alep, etc. – alors que le gouvernement syrien s’est retrouvé dans l’incapacité de pouvoir gérer la situation. En 2014, des documents confidentiels publiés par le site WikiLeaks (câbles diplomatiques envoyés par l’ambassade des Etats-Unis à Damas au Département d’Etat à Washington) indiquaient d’ailleurs qu’en 2008, du point de vue des autorités syriennes, les conséquences économiques et sociales de la sécheresse étaient « au-delà de nos capacités à pouvoir la résoudre ». Le représentant de l’ONU en Syrie, Abdullah bin Yehia, parlait à cette époque d’un potentiel de « destruction sociale » dans le pays lié à l’effondrement de l’agriculture dans le pays susceptible de favoriser une instabilité politique. Une étude scientifique publiée en juillet 2014 confirme le fait que « les conditions hydriques et climatiques ont joué un rôle direct dans la détérioration des conditions économiques en Syrie », qui ont largement contribué au conflit actuel.

Par ailleurs, l’afflux de réfugiés syriens a également un impact notable sur l’agriculture des Etats voisins, notamment du Liban. La FAO a même publié un rapport sur ce sujet en novembre 2014 pour souligner à quel point la situation de l’économie libanaise, et en particulier de son agriculture, était fragilisée, notamment dans le Nord du pays. Certains réfugiés syriens, qui disposaient de moyens financiers, ont pu ainsi louer des terres au Liban et les exploiter. Cela a conduit à un accroissement du prix du fermage et donc des coûts de production pour les agriculteurs. Parallèlement, les autorités libanaises ont imposé des restrictions aux déplacements à la frontière syrienne. Le recours aux travailleurs migrants syriens est ainsi devenu plus difficile. On a pu ainsi observer un accroissement du coût du travail dans le secteur agricole au Liban. Enfin, les exportations agricoles libanaises à destination de la Syrie, notamment de pommes de terre dans le Nord du pays, ont été stoppées.

Les dilemmes des agriculteurs européens face aux migrants

L’impact de l’afflux des migrants sur l’agriculture sur le continent européen apparaît mitigé. L’agriculture est un secteur qui recourt habituellement à une importante main-d’œuvre de migrants. Andrea Rea et Maryse Tripier, auteurs en 2008 d’une Sociologie de l’immigration (éditions La Découverte), indiquaient ainsi qu’« en France, l’agriculture, l’horticulture, la construction, l’hôtellerie, la restauration, la confection et les services représentent des secteurs d’activité à haute intensité de travailleurs immigrés ». Xavier Beulin, le président de la FNSEA, invité du Club de la presse d’Europe 1 le 25 août dernier, expliquait ainsi qu’il y a des débouchés possibles pour les migrants dans la filière agricole et agroalimentaire compte tenu de la tradition d’accueil des migrants de cette filière et des besoins de main-d’œuvre estimés à 60-70 000 emplois.

Cette caractéristique est d’ailleurs critiquée par certains syndicats agricoles comme la Confédération paysanne qui dénonce à travers ce recours à une main-d’oeuvre immigrée à la fois une agriculture de nature industrielle et une exploitation de ces travailleurs. Le syndicat est d’ailleurs à l’origine d’un programme « Agriculture paysanne & travailleurs migrants saisonniers » et a publié récemment L’agriculture, laboratoire d’exploitation des travailleurs migrants saisonniers. 2014-2015. Il en conclut que la quête de compétitivité et la déréglementation du travail ont les conséquences suivantes sur ces travailleurs : « exploitation, mauvais traitements, techniques managériales incisives, non rémunération, logement indigne, servitude par la dette, privation de droits : ces mots décrivent la réalité de nombreux travailleurs migrants dans l’agriculture et l’agroalimentaire… ». Le rapport donne notamment les exemples de la production des fraises grecques, des abattoirs allemands ou encore la production de fruits dans la région Rhône-Alpes.

En même temps, les agriculteurs peuvent se montrer aussi hostiles vis-à-vis des migrants qui « squattent » illégalement leurs champs comme c’est le cas en France près de Calais. Ils avaient ainsi manifesté à Calais en octobre 2014 aux côtés de commerçants et de chasseurs à l’appel du syndicat de police SGP-Force ouvrière. Une trentaine de tracteurs avaient alors organisé une opération escargot dans la ville. Différents agriculteurs témoignant dans La Voix du Nord le 13 octobre 2014 indiquaient qu’« il y a des migrants qui squattent nos bâtiments, nos champs. J’ai des arbres fruitiers qui ont été dépouillés de leurs fruits. Je ramasse régulièrement un demi mètre cube de déchets » (Xavier Foissey). Certains ont même été victimes d’agressions : « J’étais en train de terminer le battage dans un champ. Un migrant m’a jeté une motte de terre bien dure. J’ai dû aller à l’hôpital. J’ai porté plainte » (Bruno Cailleret). On peut trouver des témoignages similaires de la part d’agriculteurs de l’autre côté de la Manche.

En outre, l’enquête Ifop pour Atlantico sur les Français face à la crise des migrants dont les résultats ont été divulgués au début du mois de septembre indique que, si 56 % des Français interrogés vivant dans l’agglomération parisienne étaient favorables à l’accueil en Europe et en France des migrants, les habitants des communes rurales, eux, y étaient les plus opposés, pour 58 % d’entre eux. Ils sont également les plus nombreux à estimer que les migrants sont sans véritable formation et expérience professionnelles et qu’ils trouveront très difficilement du travail dans notre pays et qu’il y aurait des terroristes potentiels parmi eux.

… Et un rappel historique

Enfin, dans le contexte actuel, il est aussi intéressant de mentionner plusieurs études scientifiques parues en 2015 qui tendent à confirmer le fait que l’agriculture est arrivée en Europe il y a 8-10 000 ans via des migrants en provenance du Proche-Orient, en l’occurrence de l’Est de la Turquie et de parties de la Syrie actuelle. Ces migrants ont amené, en effet, avec eux leurs techniques agricoles et ont ainsi transformé un continent européen alors encore dominé par les pratiques de la chasse et de la cueillette.

 

Précédents articles de WikiAgri en lien avec le sujet : https://wikiagri.fr/articles/la-secheresse-agricole-lune-des-causes-du-drame-syrien-/1082 (la sécheresse agricole, l’une de scauses du drame syrien ?) ; https://wikiagri.fr/articles/letat-islamique-et-les-enjeux-agricoles-et-alimentaires-en-irak/1214 (l’Etat islamique et les enjeux agricoles et alimentaires en Irak).

En savoir plus : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/03/le-nombre-de-migrants-et-refugies-a-explose-au-xxie-siecle-dans-le-monde_4744977_4355770.html (source des données de l’UNHCR sur le nombre de réfugiés dans le monde), http://data.unhcr.org/syrianrefugees/regional.php (données de l’UNHCR sur les réfugiés syriens au Proche-Orient), http://www.iom.int/sites/default/files/infographic/Mediterranean_Update_15_September.pdf (données sur la crise actuelle de l’Organisation internationale pour les migrations), https://www.cia.gov/library/publications/resources/the-world-factbook/ (World Factbook 2015 de la CIA), www.nationalobserver.com/2015/07/09/news/climate-change-opened-gates-hell-syria-al-gore (source de la citation d’Al Gore), https://wikileaks.org/plusd/cables/08DAMASCUS847_a.html (câbles diplomatiques divulgués sur le site WikiLeaks), http://journals.ametsoc.org/doi/abs/10.1175/WCAS-D-13-00059.1 (abstract de l’article scientifique mentionné sur les causes du conflit en Syrie), http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/FCKupload_file_FAO-Syria-Crisis-Report-en.pdf (rapport de la FAO sur l’impact des réfugiés syriens sur l’agriculture libanaise), www.europe1.fr/societe/xavier-beulin-il-y-aura-entre-1-000-et-1500-tracteurs-sur-paris-2505753 (Intervention de Xavier Beulin au Club de la presse sur Europe 1), www.confederationpaysanne.fr/sites/1/articles/documents/migrants-brochure_conf-v2_compressed.pdf (rapport de la Confédération paysanne sur les travailleurs migrants dans le secteur agricole), http://www.lavoixdunord.fr/region/calais-commercants-chasseurs-et-agriculteurs-inquiets-ia33b0n2434748 (source des témoignages d’agriculteurs dans un article de La Voix du Nord), www.ifop.com/media/poll/3118-1-study_file.pdf (enquête de l’Ifop pour Atlantico sur les Français face à la crise des migrants), www.pnas.org/content/early/2015/09/02/1509851112.full.pdf (l’une des études scientifiques montrant que les pratiques agricoles ont été importées en Europe via des migrants du Proche-Orient).

Notre illustration ci-dessous est issue du site Fotolia (lien direct : https://fr.fotolia.com/id/91020006).

 

1 Commentaire(s)

  1. Aujourd’hui l’Europe et la France ne soutiennent plus notre agriculture, on va vers un rachat de nos exploitations par des industriels qui voient un bon placement et de bon profits sur les produits finis ( à quel prix ), je vous laisse imaginer la suite, j’espère que l’on va réagir avant qu’on copie les syriens…

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