prospective agriculture 2040

Quatre scénarios identifiés pour l’agriculture en France à l’horizon 2040

Le rapport « Quel avenir pour l’agriculture ? Les 4 scénarios en 2040 » esquisse ce que pourrait être l’agriculture française de demain en soulignant aussi ce qui pourrait correspondre à une « horreur agricole ».

Un rapport très intéressant sur les futurs possibles de l’agriculture a été récemment publié sous l’égide de l’ACTA, réseau qui regroupe les instituts techniques agricoles (instituts des filières animales et végétales), avec le soutien du ministère de l’Agriculture. Il a été rédigé par Pascal Berthelot, un journaliste agricole, et Samy Aït-Amar, un ingénieur agronome travaillant pour l’ACTA. Il s’inscrit en fait dans un projet plus vaste consacré à l’avenir du système de recherche et développement agricole français, projet fruit d’une initiative du GIS Relance agronomique, coordonné par l’ACTA (en coordination avec l’Inra, l’Institut de l’élevage, Terres Inovia et l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture-ACPA) et financé par le ministère de l’Agriculture, qui s’est également traduit par la parution d’une étude prospective intitulée L’Avenir du système de recherche et développement agricole français à l’horizon 2025 et l’organisation d’un colloque dans les locaux de l’ACPA le 4 octobre 2016 sur l’avenir de l’agriculture et du système de R&D (recherche et développement) français à l’horizon 2025.

Le rapport de l’ACTA présente, en effet, plusieurs intérêts. Le premier est d’identifier quatre scénarios sur ce que pourrait être l’agriculture française du futur, en l’occurrence à l’horizon 2030-2040, en allant jusqu’au bout d’une logique comme on le verra. Le second est d’avoir demandé à une trentaine d’acteurs du monde agricole, y compris des politiques (comme les députés européens José Bové et Michel Dantin), des experts (Michel Griffon ou Marc Dufumier) et des journalistes (Aymeric Caron), de réagir à ces différents scénarios en répondant généralement à deux questions : (1) est-il crédible ?, (2) est-il souhaitable ? Leurs réactions sont souvent très contrastées, d’autant que le panel des personnes consultées était très large, de Xavier Beulin (FNSEA) à Laurent Pinatel (Confédération paysanne), de Michel Welter, le gérant de la ferme des 1 000 vaches, à Aymeric Caron, de Philippe Pinta (président de l’AGPB) ou Bertrand Corbeau (directeur général adjoint du Crédit agricole) aux journalistes et écrivains « critiques » Fabrice Nicolino ou Jacques Caplat. Les auteurs du rapport identifient d’ailleurs quatre points de controverses sur les biotechnologies, l’élevage, les circuits courts et les grandes fermes. Le troisième intérêt réside dans le fait que ce rapport permet d’identifier quelles sont les grandes hantises des agriculteurs. Enfin, il pose la question-clef du modèle souhaitable pour l’agriculture française pour les décennies à venir.

Le scénario agro-écologique

Le premier scénario mentionné s’intitule « un monde écologique ». Il se demande à quoi ressemblerait l’agriculture française si l’on abandonnait la chimie, et donc si l’on n’utilisait plus de pesticides, d’engrais chimiques et d’antibiotiques, ainsi que les biotechnologies, si l’on renonçait à toute forme de manipulation génétique des plantes et des animaux.

Ce scénario pourrait être favorisé par la multiplication des crises environnementales et une baisse des rendements agricoles du blé et des principales céréales. La société prend alors conscience de la nécessité de changer de modèle agricole. Ce passage à l’agro-écologie suscite néanmoins de nombreuses protestations de la part des agriculteurs car cela représente une véritable « révolution culturelle » pour eux, mais il est facilité par des aides européennes et il finit par se produire.

Les agriculteurs n’utilisent plus de pesticides, mais recourent à des herses mécaniques ou à des robots désherbeurs, à une protection des plantes par des méthodes naturelles, avec notamment une introduction massive de coccinelles et d’autres insectes prédateurs de pucerons en plein champ sur les grandes cultures, à la diffusion de la technique du non-labour, à l’utilisation des légumineuses dans les champs pour constituer un engrais azoté naturel, aux associations variétales pour réduire les risques de maladie, y compris pour le blé, ou encore au retour des arbres au milieu des parcelles cultivées pour abriter des insectes susceptibles de lutter contre les invasions. Afin de compenser le retour du risque de récolte et du risque de maladie dans les élevages, compte tenu du renoncement à recourir à la chimie, sont mis en place de fonds publics contre les aléas climatiques ou de récolte.

Résultat, la production agricole française recule de l’ordre de 10 à 30 % selon les secteurs. La taille moyenne des exploitations agricoles tend à se réduire, alors que l’on assiste à un retour de la polyculture élevage. Enfin, le nombre total d’exploitations augmente légèrement, tandis que l’emploi agricole s’accroît de façon sensible. Cela se traduit également par une baisse des échanges agroalimentaire de l’Europe avec le reste du monde, avec en particulier une nette réduction des exportations de blé français, suite à l’introduction d’une taxe sur les importations alimentaires entrant sur le territoire de l’UE. Enfin, les consommateurs, qui adoptent un régime flexitarien et diminuent par conséquent leur consommation de viande, acceptent de payer plus cher leur nourriture car celle-ci est de meilleure qualité dans un contexte de développement des circuits courts et de l’agriculture en périphérie des grandes villes. On assiste d’ailleurs à un retour de la confiance dans l’alimentation.

Sans trop de surprises, Stéphane Le Foll se montre plutôt enthousiaste vis-à-vis de ce scénario – « ce scénario écologique est tout à fait crédible et même souhaitable ». C’est également le cas de tous les acteurs du monde agricole qui se montrent généralement très critiques vis-à-vis du modèle agricole conventionnel dominant, comme José Bové – « ce scénario écologique est évidemment le plus souhaitable pour moi. Mais je crains qu’il n’arrive que dans la douleur et après des catastrophes multiples […] Quand on sera dans le mur, quand les crises succèderont aux crises, il y aura forcément une inflexion vers ce scénario 1 écologique. On y sera forcé. C’est inéluctable », Laurent Pinatel (Confédération paysanne), Jacques Caplat ou encore Marc Dufumier.

En revanche, les représentants plus « traditionnels » de la profession apparaissent plutôt sceptiques. C’est le cas de Xavier Beulin – « je partage le diagnostic du scénario écologique : les problèmes environnementaux sont devant nous. […] Le scénario écologique peut se produire dans son aspect environnemental, mais il pose un problème sur le plan économique. […] Le scénario écologique ne peut pas fonctionner économiquement dans un monde ouvert. […] Ce scénario pose le bon diagnostic, mais il se trompe sur les réponses », mais aussi de Guy Vasseur (ex président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture) – « Ce scénario ne me séduit pas beaucoup » compte tenu des risques pour la sécurité alimentaire mondiale et de repli sur soi –, de Luc Barbier (FNPF) – « Ce scénario n’est pas crédible », « ce scénario 1 Ecologique n’est pas souhaitable » –, de Philippe Pinta (AGPB) – « ce scénario 1 Ecologique est trop extrême. Il ne prend pas en compte les réalités » –, ou encore de Michel Welter (ferme des 1000 vaches) – « ce scénario est totalement utopiste ».

Le scénario du tout-qualité

Le second scénario répond à la question : à quoi ressemblerait l’agriculture française, et européenne, si l’on misait tout sur la qualité et si l’on abandonnait par conséquent la production de produits standards premier prix, autre grand débat récurrent avec celui de l’agroécologie. Il se joue à l’échelle européenne et s’intitule d’ailleurs « une Europe agricole ».

L’Union européenne renforce son intégration et décide de faire de l’agriculture l’une de ses priorités car elle dispose d’un avantage comparatif en la matière par rapport à ses principaux concurrents alors que la plus grande partie de son territoire devrait être relativement préservée des effets du changement climatique, que les classes moyennes émergentes dans le monde demandent de plus en plus des produits alimentaires sûrs et de qualité et que les Etats-Unis ou les grands exportateurs d’Amérique du Sud ne seront pas en mesure d’y répondre. En conséquence, elle « soutient ses secteurs agricoles et agroalimentaires, en impulsant une montée en gamme de la production alimentaire, à des fins d’exportations extra-européennes » en direction des classes moyennes et supérieures des pays émergents.

Cette montée en gamme, quelque peu sur le modèle des automobiles allemandes de luxe, et la valeur ajoutée des productions européennes s’appuient sur l’agro-écologie qui « devient un cadre de référence pour la transformation des pratiques agricoles » en visant à diminuer « l’impact environnemental et climatique de l’élevage et des cultures ». La PAC dispose de davantage de moyens, notamment grâce à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières, et se « verdit ». Un label européen de qualité certifiée « Qualité Europe » garanti par une Agence européenne de contrôle et de traçabilité est créé à cet effet. Il devient un symbole de qualité et de sécurité dans les pays émergents, même si les produits agricoles européens sont plus chers notamment que ceux vendus par les grands exportateurs latino-américains.

Pour l’agriculture européenne, cela se traduit, par exemple, par l’abandon progressif de l’élevage industriel (élevages de poulets en batterie ou de porcs en bâtiments fermés), par une réduction des pesticides, des engrais de synthèse et des antibiotiques, la chimie devenant « l’arme du dernier recours, quand toutes les autres méthodes alternatives […] ont échoué », mais aussi par un rapprochement entre agriculteurs et industriels sur la base d’une « stratégie commune de montée en gamme ».

Dans un tel contexte, les consommateurs européens ont à nouveau confiance dans leur alimentation. On observe néanmoins la formation d’un marché alimentaire à deux vitesses entre, d’un côté, des consommateurs qui ont les moyens de se procurer une alimentation de qualité d’origine européenne plus chère et, de l’autre, des consommateurs ayant davantage de contraintes de pouvoir d’achat, qui vont acheter des produits standards premier prix importés.

Ce scénario conduirait à un maintien du nombre d’exploitations agricoles et de leur taille moyenne, et même à un accroissement de l’emploi dans les secteurs agricole et agroalimentaire.

Il suscite néanmoins pas mal de scepticisme, notamment du côté des trois grands syndicats : Xavier Beulin pour la FNSEA, François Lucas pour la Coordination rurale et Laurent Pinatel pour la Confédération paysanne. Ainsi, pour Xavier Beulin, « le marché premium et la montée en gamme de nos produits ne vont pas résoudre toutes nos difficultés d’un coup de baguette magique. On se leurre si on pense que cette stratégie de différenciation premium à l’export suffira à régler tous nos problèmes ». François Lucas, comme Laurent Pinatel n’y croient pas davantage.

Ce scepticisme s’explique en particulier par l’inadéquation de ce scénario du tout-qualité par rapport au marché mondial. C’est ce qu’expliquent notamment Philippe Pinta (AGPB) et Patrick Ferrère (SAF Agr’Idées). Pour le premier, « Est-ce que l’Europe peut suivre une voie vraiment inverse [par rapport aux Etats-Unis], ne produire que du haut du gamme et importer des produits standards ? Il est irréaliste de le penser. Nous ne ferons pas que du premium […] Nous n’abandonnerons pas le marché 1er prix des produits standards […] A mon avis, nous continuerons demain à produire du standard ET de la qualité supérieure […] Ce scénario 2 ne se concrétisera pas. Pour la majorité des exploitants, le destin est d’être compétitif par rapport au prix mondial pour vendre ». Pour le second, « l’abandon du marché standard 1er prix me paraît une grave erreur […]. Le prix cher est le problème de ce scénario 2 agricole. Faire du haut de gamme, c’est bien. Encore faut-il pouvoir le vendre […] La demande internationale est aujourd’hui surtout composée d’une demande d’aliments de base, standard, à un prix abordable. J’ai l’impression que ce scénario 2 l’oublie ! […] Notre agriculture pourrait connaître le même sort que le textile français au XXe siècle : quelques grands couturiers à Paris et tous nos rayons envahis de textiles importés. Je pense qu’on doit se positionner sur une gamme d’aliments plus standards, moins chère en prix ».

D’autres défendent néanmoins ce scénario en estimant qu’il est plus réaliste que le scénario écologique. Ce débat sur la montée en gamme est cependant loin d’être nouveau. Il a été notamment au cœur de deux rapports publiés en 2015 : une note du Conseil d’analyse économique rédigée par Jean-Christophe Bureau, Lionel Fontagné et Sébastien Jean, « L’agriculture française à l’heure des choix ? », et un rapport rédigé par Michel Zarka et Anne Laroche, « De nouveaux modèles de croissance pour les industries agroalimentaires françaises ». Leurs auteurs se montrent plutôt critiques vis-à-vis de cette stratégie. Pour les premiers, « associer qualité et origine géographique est un pari risqué, surtout à l’international », d’autant que les consommateurs étrangers sont généralement plus sensibles aux marques déposées qu’aux appellations d’origine qu’ils ne connaissent pas nécessairement, tandis que les seconds défendent un positionnement moyen de gamme pour répondre aux besoins alimentaires croissants des classes moyennes dans les pays émergents, ce qui « suppose d’adapter les produits aux attentes des consommateurs de différentes régions du monde et de ne pas se laisser enfermer par un modèle de gastronomie à la française, privilégiant le haut de gamme et les spécificités régionales ».

Le scénario d’une agriculture au service de l’industrie

Le troisième scénario répond à la question : à quoi ressemblerait l’agriculture française, et européenne, si celles-ci étaient totalement intégrées au système industriel. C’est le scénario de l’« Europe industrielle ».

L’Union européenne décide d’opter en faveur d’une stratégie de reconquête industrielle pour sortir de la crise économique. Elle fait le choix de la réindustrialisation et de la quête de compétitivité dans la mondialisation en cherchant à abaisser les coûts de production par un assouplissement du droit du travail et un allègement des réglementations et des normes, notamment environnementales. L’UE consacrant l’essentiel de ses ressources à la modernisation de son industrie, la PAC « est vidée de l’essentiel de sa substance ».

Dans un tel contexte, l’agriculture est « considérée comme une industrie approvisionnant en matière première agricole plusieurs secteurs industriels (alimentation, énergie, chimie, matériaux…) ». Elle devient également une alternative pour la fourniture d’énergie avec le développement des biocarburants alors que la raréfaction des énergies fossiles fait fortement grimper le prix du baril. Il en est de même pour la biomasse agricole pour l’industrie chimique.

Cela se traduit par un agrandissement de la taille des exploitations dans un souci d’économies d’échelle – les exploitations de 200 ha deviennent la norme –, la disparition des petites exploitations, la forte diminution du nombre de fermes de polyculture élevage et, plus généralement, de l’élevage. Ces exploitations « produisent en masse des produits de qualité standard avec un marché mondial très concurrentiel ».

L’agriculteur devient dès alors avant tout un fournisseur de matière première à l’industrie. Il doit respecter le strict cahier des charges défini par l’industrie en échange de l’assurance de pouvoir vendre sa production. Cela conduit à une intensification de la production avec une utilisation massive de pesticides, d’engrais chimiques et d’antibiotiques. En outre, le revenu des agriculteurs tend à diminuer, alors que ce sont « les industries de la transformation qui captent l’essentiel de la valeur ajoutée ».

Ce scénario correspond à ce que Thierry Roquefeuille (FNPL) appelle « le scénario du minerai. Du produit agricole considéré comme une matière première la moins chère possible. Pour permettre aux industriels de faire des affaires ». Les acteurs du monde agricole le considère la plupart du temps peu crédible et/ou peu souhaitable.

Le scénario de l’ultralibéralisme

Le dernier scénario répond à la question : à quoi ressemblerait l’agriculture française, et européenne, si celles-ci n’étaient plus protégées et que le marché mondial était totalement libéralisé. C’est le scénario du « monde libéral ».

C’est aussi le scénario de la déconstruction du projet européen amorcée par le Brexit qui conduit à la fin de la libre circulation des personnes. L’UE se limite alors à être une simple zone de libre-échange et abandonne par voie de conséquence la PAC jugée à la fois trop coûteuse et inutile. Cette dernière est alors remplacée par des politiques agricoles nationales. Cependant, par manque de moyens financiers, les Etats ne sont plus en mesure d’intervenir sur les prix et les volumes.

L’agriculteur, à l’instar des autres entreprises, se retrouve par conséquent sur le marché mondial face au prix mondial sans aucune protection. Le principe central de gestion de l’agriculture est la loi du marché, d’autant qu’à la fin des années 2010, le traité de libre-échange est finalement signé entre l’UE et les Etats-Unis et qu’il est suivi par d’autres traités de libre-échange conclus avec l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-est. En vue d’améliorer la compétitivité des entreprises, les Etats européens choisissent de démanteler les Etats-providence en allégeant les règles sociales et environnementales. Les pays européens, y compris la France, autorisent également les OGM dans la perspective de produire plus et à moindre coût en limitant les intrants.

Dans un tel contexte, l’agriculture familiale s’efface au profit de gros investisseurs (industriels, fonds de pension, milliardaires), notamment étrangers, qui investissent massivement dans les terres agricoles européennes et françaises. Ainsi, le premier fabricant de produits laitiers en Europe achète des terres qu’il exploite directement en vue de sécuriser ses approvisionnements en lait. Des entreprises chinoises acquièrent des milliers d’hectares en France pour assurer l’approvisionnement alimentaire de sa propre population.

Cela se traduit bien entendu par une baisse du nombre d’exploitations et par leur net agrandissement moyen. Celles-ci s’automatisent également de plus en plus grâce à l’agriculture de précision, aux robots et aux drones. Les chefs d’exploitation sont des gestionnaires, des « agriculteurs managers », qui ne sont pas propriétaires et qui « perdent complètement leur pouvoir de décision dans la conduite de l’exploitation ». Outre l’utilisation des OGM, ce scénario prévoit également un plus fort usage de pesticides, d’engrais de synthèse et d’antibiotiques.

Cela favorise une réduction du prix de l’alimentation en France et en Europe dans un contexte de diminution générale du pouvoir d’achat pour les consommateurs et de prédominance du facteur prix dans leurs achats. Cette alimentation est une alimentation de masse, standard dont le goût et la qualité se sont détériorés.

Pour la plupart des acteurs du monde agricole, ce scénario est le scénario-catastrophe par excellence : « Ce serait juste un cauchemar » pour Stéphane Le Foll, « aucune agriculture dans le monde ne peut vivre avec le marché comme seule boussole » selon Xavier Beulin, « ce serait une abomination totale » pour Laurent Pinatel, « c’est le pire de tous ! » pour Guy Vasseur (ex APCA). Certains n’en estiment pas moins qu’il peut être le scénario le plus probable, compte tenu notamment des positions libérales de la Commission européenne dénoncées par de nombreux intervenants, comme Patrick Ferrère (SAF Agri’Idées) pour qui « nous sommes aujourd’hui dans ce scénario 4 libéral. Bruxelles ne veut plus réguler les marchés ».

En quête de nouveaux modèles

Ces scénarios et les réactions qu’ils génèrent de la part des acteurs du monde agricole montrent bien quelles sont les plus grandes hantises des agriculteurs, en clair l’« horreur agricole » à leurs yeux : la dégradation de l’environnement et de la qualité des sols qui ont un impact négatif sur les rendements ; la fin totale des pesticides, des engrais de synthèse et des antibiotiques et donc d’une garantie d’avoir une récolte et de ne pas avoir son troupeau décimé par la maladie ; la fin de toutes subventions et protections avec des agriculteurs qui doivent directement entrer en concurrence avec l’agriculture américaine ou celle des grands exportateurs latino-américains ; la fin des spécificités de l’agriculture avec une production totalement intégrée dans des processus industriels, l’agriculteur ne devenant qu’un fournisseur de matière première, de « minerai » ; et enfin, la fin des agriculteurs eux-mêmes avec des « agriculteurs » non propriétaires de leurs exploitations, salariés d’une grande entreprise étrangère ne faisant qu’exécuter des décisions qui sont prises ailleurs.

Ces scénarios montrent bien aussi que, malheureusement, dans l’état actuel des choses, il n’est pas possible d’avoir un modèle agricole qui soit susceptible de répondre aux besoins et de satisfaire les intérêts de toutes les parties prenantes : les agriculteurs, les consommateurs, les industriels, les investisseurs, les animaux, l’économie nationale, l’environnement et la planète, la culture et l’identité, etc. On le voit par exemple pour les consommateurs. Le modèle écologique peut leur fournir une alimentation de qualité, mais qui est bien plus chère. A l’inverse, les modèles industriel et libéral produisent une alimentation peu onéreuse, mais de moindre qualité et avec un fort impact environnemental.

Enfin, ces scénarios et les réactions qu’ils suscitent tendent à prouver que la situation est très complexe et que les solutions simples ne sont certainement pas les plus appropriées. Cela vaut pour le tout-écologique, le tout-qualité, le tout-industriel, le tout-libéral ou encore le tout-protectionniste. Il est donc vraisemblable que l’on s’oriente vers une juxtaposition des « modèles » ainsi que l’affirme Bertrand Corbeau (Crédit agricole) : « L’agriculture de demain n’aura pas un visage homogène. Il y aura un noyau central d’agriculteurs qui va intensifier ses pratiques, tout en respectant mieux l’environnement bien sûr. Et il y aura en plus, autour du noyau central, des agriculteurs qui pratiqueront une agriculture de très haute qualité et de proximité, pour vendre à une clientèle en circuit court. Je ne crois pas à un scénario de rupture totale sur les pratiques. »

On peut néanmoins noter l’absence criante d’un scénario « technologique » dans ce rapport, ce qu’ont regretté certains comme Michel Griffon, car cela aurait été intéressant d’aller jusqu’au bout de la logique AgTech pour voir quelles pourraient être les conséquences pour l’agriculture française et les agriculteurs du « tout-techno ». Le think tank Renaissance numérique s’y était essayé en publiant un Livre blanc en 2015 intitulé « Les défis de l’agriculture connectée dans une société numérique. 16 propositions pour repenser la production, la distribution et la consommation alimentaires à l’ère du numérique ». La lecture de ce dernier rapport laissait, en effet, un goût beaucoup moins amer sur l’avenir de l’agriculture française que le rapport de l’ACTA.

La solution ne sera sans doute pas non plus dans le tout-techno, mais la technologie et l’innovation au service à la fois de la compétitivité et de l’environnement peuvent tout de même dessiner un horizon plus souhaitable que les quatre scénarios décrits par Pascal Berthelot et Samy Aït-Amar.

 

En savoir plus : http://filez.acta-informatique.fr/rel90 (lien permettant de télécharger le rapport L’Avenir du système de recherche et développement agricole français à l’horizon 2025) ; www.acta.asso.fr/actualites/communiques-de-presse/articles-et-communiques/detail/a/detail/colloque-prospective-quel-avenir-pour-lagriculture-et-le-systeme-de-rd-agricole-francais-058.html (communiqué de presse de l’ACTA sur le colloque du 4 octobre 2016, « Quel avenir pour l’agriculture et le système de R&D agricole français. Quatre scénarios pour débattre ») ; www.cae-eco.fr/IMG/pdf/cae-note027.pdf (note du Conseil d’analyse économique rédigée par Jean-Christophe Bureau, Lionel Fontagné et Sébastien Jean, « L’agriculture française à l’heure des choix ? », n°27, décembre 2015) ; http://www.la-fabrique.fr/fr/publication/de-nouveaux-modeles (rapport de Michel Zarka et d’Anne Laroche publié par La Fabrique de l’industrie et SAF Agr’Idées, « De nouveaux modèles de croissance pour les industries agroalimentaires françaises », juin 2015) ; www.renaissancenumerique.org/images/stories/Publications/lb_agri_hd.pdf (Livre blanc du think tank Renaissance numérique publié en 2015, « Les défis de l’agriculture connectée dans une société numérique. 16 propositions pour repenser la production, la distribution et la consommation alimentaires à l’ère du numérique »).

Notre illustration ci-dessous est issue du site Fotolia, lien direct https://fr.fotolia.com/id/106569736.

3 Commentaire(s)

  1. ouf, je croyais en lisant le titre qui il y avait un modèle incontournable pour 2040 !!
    finalement, il y en a bien 1, le tout libéral !! c’est pour cela qu’il nous faut une politique et une vision forte pour qu’il soit vivable et durable !
    et sans doute européenne !

  2. Personnellement je peut pratiquer l ‘agriculture que les politiques désirent, ils me garantissent un revenu , en gros fonctionnaire de l’agriculture, aujourd’hui on a déjà les contraintes et les obligations en zone vulnérable, peu de liberté, il manque juste le revenu.

  3. Paysans à foison ou robots…

    L’augmentation de la population mondiale et la pénurie de pétrole changera à court terme le visage de notre agriculture ultra-productive.

    Elle pourrai devenir plus vivrière, pas parce que les hommes voudront bosser dans les champs, mais parce qu’ils auront faim.
    L’augmentation du prix du pétrole aboutira forcément sur une alimentation plus chère … Les hommes pourront-ils toujours acheter leur alimentation ? Déjà aujourd’hui, beaucoup ne le peuvent pas.

    Néanmoins, la technologie grandissante des robots pourrait changer la donne. Elle éviterai les ampoules aux mains et la sur-consommation de pétrole (fuel, engrais et chimie).
    J’imagine facilement un paysage rempli d’une armée de petits robots tous occupés H24 à semer, planter, biner, fertiliser, récolter, conditionner, voir cuisinner… les bons petits légumes ou tout ce qu’on leur demandera ! Les robots traient et nourrissent déjà les vaches alors pourquoi pas la grande culture !

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