camp de migrants syriens en turquie trabzon

Quand le budget européen prévu pour gérer les crises agricoles est affecté au maintien des migrants syriens en Turquie

L’Europe vient de céder près d’un demi-milliard d’euros supplémentaire aux 6 milliards déjà alloués en Turquie pour soutenir les réfugiés syriens qui y sont cantonnés, aux portes de notre continent. Problème, cette manne était originellement prévue en cas de crise agricole…

On le sait, l’Europe se dote de missions supplémentaires sans pour autant s’en donner les moyens. Là où l’agriculture était l’une des seules politiques communes aux Etats-membres avec la cohésion des territoires, viennent s’ajouter la défense européenne, et les migrations. Or, l’enveloppe globale n’augmente pas, les pays-membres refusant de contribuer davantage, qui plus est dans un contexte compliqué par la mise en application du Brexit. Néanmoins, le vote du budget est transparent, et une fois les arbitrages décidés pour le financement des différentes missions que s’attribue l’Europe, tout est clair.

Sur les 485 millions d’euros alloués de soutien humanitaire des réfugiés syriens en Turquie, 465 étaient prévus pour l’agriculture européenne

Pourtant, tout récemment, ce vendredi 10 juillet 2020, dans le cadre du « projet de budget rectificatif numéro 5 », l’Europe a décidé d’allouer 585 millions d’euros supplémentaires pour l’aide humanitaire apportée aux réfugiés syriens, d’une part en Jordanie et au Liban (100 millions d’euros), d’autre part en Turquie (485 millions d’euros). Ces fonds viennent s’ajouter à un budget déjà conséquent en la matière, de 6 milliards d’euros.

On connait le choix stratégique fait par l’Europe de gérer la crise migratoire le plus possible à ses portes, mais aussi les difficultés de communication rencontrées avec la Turquie et son Président Erdogan. N’étant pas un spécialiste de cette question, je me garderai bien de la commenter davantage.

Pour autant, il faut noter un aspect précis : d’où vient l’argent. Si les 100 millions qui vont aller en Jordanie et au Liban sont bien issus d’une ligne budgétaire affectée à l’engagement européen envers le reste du monde, il n’en est pas de même de l’enveloppe prévue pour la Turquie. Pour être précis, 465 des 485 millions d’euros étaient à l’origine prévus pour les agriculteurs européens !

Des questions essentielles

L’argument selon lequel le budget agricole n’est pas affecté est pourtant vrai, mais fallacieux. Certes, l’enveloppe d’où ont été tirés ces millions d’euros n’est pas celle des paiements directs, qui ne seront donc pas amputés pour ce choix stratégique. Mais il s’agit de celle dans laquelle on pioche en cas de crise agricole ! En d’autres termes, si un secteur doit souffrir particulièrement prochainement, il ne pourra être possible de le secourir au niveau européen car ces euros là auront été utilisés pour maintenir les migrants syriens en Turquie.

Cela pose tout de même plusieurs questions. Sur la politique migratoire externalisée de l’Europe d’abord : encore une fois, je ne suis pas un spécialiste de la question, mais pourquoi a-t-il fallu cette rallonge, visiblement dans l’urgence, puisque pas programmée au budget ? Existerait-il un risque fort d’une nouvelle crise migratoire en Europe ? Sur la considération de l’Europe vis-à-vis de son agriculture ensuite : déjà souvent considérée comme une variable d’ajustement lors des tractations sur les accords de libre-échange, elle semble l’être également dès lors qu’un besoin financier se fait sentir. Enfin, sur le fonctionnement des fonds prévus pour gérer les crises agricoles : la viticulture va mal depuis la fermeture du marché américain, que fait-on ? Et comment réagir si demain une autre filière se heurte à des déboires imprévus… Ce qui, somme toute, reste quelque part le propre du risque en agriculture !

Un vote rectificatif porté par l’Allemagne

Politiquement, le lièvre a été levé par les députés européens français du groupe PPE. Un communiqué, co-signé par Anne Sander (membre de la commission de l’agriculture au Parlement européen) et François-Xavier Bellamy (président de la délégation française du groupe PPE), dit en substance ceci : « En pleine crise du Coronavirus, les secteurs agricoles, en particulier le secteur viticole, ont été particulièrement affectés par la fermeture des marchés à l’exportation et la baisse de la consommation hors foyer. Ils ont réclamé en vain une réponse à la hauteur de la crise, et de pouvoir bénéficier d’une aide européenne exceptionnelle. Il s’agissait d’un véritable appel de détresse pour compenser l’effondrement des prix et rééquilibrer le marché unique. La Commission européenne a refusé d’y répondre positivement, justifiant cette décision par le manque de fonds disponibles dans le budget de la Pac, et plongeant de facto de nombreux producteurs déjà fragilisés dans une situation critique. Aujourd’hui, la même Commission mobilise des fonds issus très largement des marges du budget agricole pour 2020 pour couvrir l’aide humanitaire d’urgence aux réfugiés en Turquie ; elle se justifie en expliquant que la « technique budgétaire » ne permettrait pas de dégager de l’argent, pourtant issu des fonds agricoles, pour l’agriculture… Ce n’est pas sérieux. L’exécutif européen commet une faute politique grave. Rappelons que plus de 6 milliards d’euros ont déjà été versés pour financer l’aide humanitaire auprès des réfugiés en Turquie. Cohérents avec nos engagements de toujours envers nos agriculteurs et viticulteurs, il nous était simplement impossible de voter pour une telle décision, et nous assumons notre décision contre la ligne de notre Groupe politique. Nous regrettons d’ailleurs le positionnement de la délégation Renaissance qui n’a pas hésité à soutenir ce texte. Choyé dans les beaux discours à Paris et abandonné à Bruxelles, le monde agricole appréciera… »

Pour autant, la rectification budgétaire a finalement été adoptée à une immense majorité : 557 voix pour, 72 contre et 59 abstentions. L’Allemagne, notamment, a pesé de tout son poids pour qu’une solution soit donnée au problème migratoire, essentiel à ses yeux. Elle n’a peut-être pas tort. Mais il va falloir réfléchir, et très vite, à d’autres solutions que celle consistant à pomper l’argent des agriculteurs pour soutenir des missions de ce type, aussi utiles soient-elles…
 

Notre photo ci-dessous montre un camp de migrants à Trabzon, en Turquie (source Adobe).

1 Commentaire(s)

  1. Un orgue brule dans une cathédrale , 8 heures après 3 ministres sont sur place (dont le premier ministre) pour annoncer une restauration rapide des lieux !

    Depuis 20 ans des millions d’hectares de terres agricoles brulent au soleil tous les étés et sur des périodes de plus en plus longues … Non seulement personne ne bouge mais on va même jusqu’à détruire des réserves d’eau existantes et interdire aux agriculteurs d’en construire de nouvelle !

    La sécheresse 2019 était terrible (tous les départements français étaient en crise ou en restriction), météo France prévoit pire pour le mois d’aout 2020 … Les seuls qui ont eu le bon sens de construire une réserve d’eau pendant l’hiver 2019/2020 ont été condamné à deux ans de prison ferme (Caussade) !
    En 2002, Jacques Chirac disait : « Notre maison brule et nous regardons ailleurs » ! C’est exactement ça ! Nous sommes capable de trouver des millions de m3 d’eau et d’acheter des canadairs pour éteindre les forets de conifères qui brulent tous les étés, mais incapables d’arroser les champs qui assurent notre sécurité alimentaire !
    Depuis plus de 30 ans les climatologues disent bien qu’il n’y aura pas moins d’eau mais une dégradation de la répartition annuelle des pluies, exactement le scénario qui s’installe durablement en France !
    La consommation totale d’eau en France ne représente que 2.5% des pluies (irrigation comprise … ), c’est un déficit chronique de bon sens qui nous conduit à indemniser les inondations l’hiver et les sécheresses l’été ! Des milliards d’euros qui partent en fumée alors qu’avec juste quelques millions on capterait les ruissellements de l’hiver pour éviter les inondations et on ne manquerait plus d’eau l’été !
    Si tout le monde avait le bon sens de faire comme les agriculteurs, des réserves d’eau l’hiver (particuliers, villes, industriels, etc …) pour végétaliser en épargnant les nappes phréatiques l’été on ne parlerait jamais de sécheresse !
    Actuellement les rivières françaises rejettent en mer, entre 50 et 70% des précipitations annuelles alors qu’il ne faudrait jamais dépasser les 30% …
    Quand on coupe l’eau dans les champs c’est pour alimenter des villes qui bloquent les infiltrations, ne recyclent pas l’eau et se servent des rivières pour diluer et évacuer les polluants … Mettez les villes aux normes et on ne parlera plus jamais de sécheresse !
    Oui la végétation utilise 70% des pluies (irrigation comprise) mais c’est quand elle ne le fait pas que le climat se dérègle et que la biodiversité disparait !
    https://www.mediaterre.org/france/actu,20200211092626.html

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