Le sol participe la constitution du patrimoine commun. Le nouveau statut accordé dans la loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, déséquilibre un peu plus les droits des propriétaires au profit des tiers et de la défense de l’intérêt général.
« La bataille des sols a commencé. » Les propriétaires ne disposent plus librement de leur bien. Le droit de l’environnement interfère de plus en plus dans la gestion de leurs biens, ce qui est source de conflits d’intérêts.
Le Déméter 2018 consacre un de ses chapitres à l’évolution du droit de la propriété individuelle sous l’influence du poids croissant que prennent les questions environnementales. Il est intitulé « Agriculture et environnement : de la propriété individuelle à la propriété commune ». Carole Hernandez Zakine y analyse l’éclatement du droit de propriété généré par l’emprise des questions environnementales et fait des propositions.
« Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » Cet adage que l’on prête à Antoine de Saint-Exupéry résume en quelques mots l’évolution du code de l’environnement depuis plus d’une vingtaine d’années.
Depuis quelques mois, l’importance du statut accordé au sol dans la loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages s’inscrit dans cette direction.
L’article L 110-1 du code de l’environnement mentionne, depuis que la loi sur la reconquête de la biodiversité est promulguée, que « les processus biologiques, les sols et la géo-diversité concourent à la constitution du patrimoine commun de la nation ». Le sol, support ancestral de l’activité agricole est dorénavant le support d’un patrimoine écologique commun qui impose le respect de nouvelles règles. Il sert à satisfaire les besoins présents et des générations à venir. En conséquence, le nouveau statut du sol déséquilibre encore les droits des propriétaires au profit des tiers et de la défense de l’intérêt général. Il ne mentionne pas que l’agriculture est productrice de biodiversité.
En fait, les propriétaires ont jouissance de leurs biens tant que leurs intérêts n’ont pas d’emprise sur l’intérêt général. Mais une nouvelle hiérarchie des valeurs s’instaure. Dorénavant, la protection de l’environnement et la préservation des ressources naturelles concurrencent de plus en plus leur liberté d’entreprendre.
« Le monde agricole se sent dépossédé de sa terre et de sa propriété en faveur des autres, des voisins des générations futures et les autres usagers de l’espace » qui « sont perçus comme autant d’éléments exogènes à l’univers agricole comme autant de colonisateurs de l’intérieur », écrit Carole Hernandez Zakine.
Selon elle, on assiste à un nouvel éclatement du droit de la propriété « porté par un étatisme environnemental restreignant sans cesse les droit de l’individu sur son patrimoine ».
A défaut de collectiviser leurs terres, les agriculteurs doivent ainsi s’attendre à vivre une forme de colonisation de leur usage. Cette dépossession est déjà en place dans les expropriations. « Elle est portée par l’état et ses démembrements au nom de la gestion d’un patrimoine commun affecté à un collectif d’individus : les générations futures », rapporte Carole Hernandez Zakine.
En fait, l’environnement porte atteinte au triptyque usus, fructus, abusus en encadrant les usages et donc en limitant les profits. Dit autrement, il a un poids croissant sur l’utilisation des biens. Et les agriculteurs sont en première ligne de cette évolution puisque ces valeurs renversent peu à peu le modèle économique dominant.
Aussi, un équilibre devra être trouvé pour que les intérêts du propriétaire et de la collectivité convergent. Or la loi sur la biodiversité n’indique pas comment il est possible de concilier la liberté d’entreprendre, inhérente au droit à la propriété, et la protection des sols, source de création de valeur environnementale.
Carole Hernandez Zakine rappelle que la Fao considère que les services rendus par les hommes à la nature et les activités agricoles sont complémentaires. Elles sont, ensemble, productrices de biodiversité. Autrement dit, la dimension environnementale de l’agriculture est intégrée, selon la Fao, dans une logique économique a fortiori durable. Et c’est à ce titre que les services rendus pourraient être rémunérés, ce qui rééquilibrerait les droits en faveur des propriétaires.
« Nous croyons au développement des services environnementaux et de leur paiement par des dispositifs de droit privé, afin de reconnaître que les acteurs agricoles, en particulier en participant à l’intérêt général environnemental », écrit l’auteure de l’article du Déméter 2018. Ces services rémunéreraient le stockage de carbone, la lutte contre les inondations, la fourniture d’eau salubre ou encore la conservation de la biodiversité.
Toutefois, ce principe de complémentarité est lui aussi sujet à diverses interprétations. Pour Ségolène Royal, ancienne ministre de l’Environnement, « il pourrait servir à remettre en cause l’agriculture dans ses pratiques les plus intensives », mentionne Carole Hernandez Zakine.
En conséquence, de nouvelles réglementations restrictives ne sont pas exclues. Les propriétaires agricoles et les fermiers seraient alors encore plus dépossédés de leurs droits d’usage du sol en ne pouvant plus décider les types d’agriculture acceptables et les mesures de police qui pourraient être adoptées.