Produire du lait pour être transformé en beurre et en poudre destinés à l’export paie plus que produire du lait livré à des industriels du fromage. C’est l’amère expérience vécue par les producteurs laitiers français, en conventionnel et même en bio !
Les prix des intrants et de l’alimentation animale ne cessent de progresser. Mais ceux du lait et les cotations vaches de réforme aussi.
Les 1000 litres collectés ont été facturés aux éleveurs sur la base d’un prix standard de 398 € en moyenne en février dernier. Mais « le prix du lait augmente davantage pour les producteurs livrant à des industriels fabricant des produits intermédiaires beurre/poudre, analyse l’Institut de l’élevage dans une note de conjoncture parue le 20 avril dernier (Idele). A contrario, il est réévalué plus lentement par les transformateurs spécialisés dans les produits finis, dont la valorisation est plus stable ».
Après avoir atteint en 2021 son pire niveau annuel moyen depuis 2016, « la Marge IPAMPA sur Coût Total Indicé (marges sur coûts de production) se redresse depuis le début de l’année, constate encore l’Idele. Elle s’établit à 108 €/1 000 l (+25 € /2021), un niveau saisonnier qu’elle n’avait plus atteint en février depuis 2014 (où elle culminait à 157€ /1 000 l) ».
Dans l’Union européenne, les 1000 litres auraient été payés 443 € en moyenne en février dernier. En Europe du nord, où le lait collecté est essentiellement transformé en beurre et en poudre pour être exportés, les prix du lait augmentent plus fortement qu’en Europe du sud.
En Belgique par exemple, le seuil de 500€ les mille litres est franchi depuis le mois de janvier dernier (519 €/1 000 l en mars) et a dépassé allègrement le prix du lait bio (490 €/1 000 l).
En Europe, les prix record permettent aux éleveurs de retrouver des marges confortables.
Pour profiter de la conjoncture, les éleveurs laitiers français gardent davantage leurs vaches à défaut d’avoir des primipares prêtes à produire du lait. Depuis juin 2021, la baisse du nombre d’animaux réformés est presque continue (- 6 % sur les semaines 12 et 13 par rapport à 2021).
Cependant, le prix conventionnel standard en France pourrait rattraper le prix du lait bio standard. En février, ce dernier était encore payé 469 € les 1 000 litres. Mais comme le prix du lait bio est amené, comme chaque printemps, à baisser fortement d’ici les deux mois à venir, il s’alignera au cours sur le prix du lait conventionnel qui ne cesse, lui, de progresser.
« La portée symbolique de cet évènement pourrait marquer les esprits, même s’il ne s’agira que d’une inversion passagère », souligne l’Idele. On observe d’ores et déjà quelques fermes en déconversion.
A la fin de l’année dernière, on a observé une baisse de 3 % du nombre de livreurs alors que le Cniel prévoyait une hausse de 6%. Autrement dit, ce ne sont pas que les éleveurs en fin d’activité qui ont cessé de produire du lait bio mais aussi des producteurs récemment convertis. Autrement dit, les nouveaux éleveurs fraichement convertis cette année vont affronter une situation très délicate avec des prix du lait inférieur à l’attendu.
Semaine après semaine, la désaffection des Français pour les produits laitiers bio se poursuit. « Les ventes de beurre, de fromages et de crème enregistrent des chutes spectaculaires sur les 3 mois derniers mois (respectivement -21%, -22% et -30% sur un an)», rapporte l’Idele
Or dans le reste de l’Union, le marché reste porteur même si « l’écart de prix entre le lait conventionnel et le lait bio se résorbe, le second étant surtout valorisé en produits finis dont les prix sont plus stables », précise l’Idele.
En fait, les prix du lait bio augmentaient toujours au début de l’année, mais moins que ceux du lait conventionnel.
« En janvier, les prix du lait bio étaient supérieurs à leur niveau de l’an dernier en Autriche (+9% /2021 à 505 €/t), en Allemagne (+5% à 523 € /t), en Suède (+10%, 505 €/t) et aux Pays-Bas (+10%, 520 €/t) », rapporte ainsi l’Idele.
Hors bio, l’optimisme retrouvé dans toute l’Europe ne se traduit pas encore dans tous les pays par une hausse de la collecte de lait. Si bien qu’à l’échelle des Vingt-sept, celle-ci demeurait stable en février dernier. Mais surtout, cet optimisme retrouvé n’est pas partagé par les éleveurs laitiers américains et océaniens.
Hormis l’Argentine, qui renoue avec la croissance en février dernier grâce à des conditions climatiques, les autres grands bassins de production majeurs de la planète voient toujours leur production de lait baisser, mais à un rythme plus modéré.
« L’USDA prévoit une collecte de lait en repli durant le deuxième trimestre 2022 de -0,7% par rapport à 2021», rapporte l’Idele. En Australie et en Nouvelle Zélande, la collecte de lait se replierait fortement (jusqu’à – 8 % par rapport à février 2021). Les conditions climatiques n’ont pas été favorables à la production de fourrages et les deux pays ont fermé leur marché du travail aux travailleurs saisonniers étrangers. Les prix du lait vont rester durablement élevés.
Très discrète, la Biélorussie fait partie des pays exportateurs majeurs de produits laitiers de la planète. Mais son principal client est la Russie importatrice nette de produits laitiers. Au cours de ces derniers mois, le pays a été épargné par les soubresauts conjoncturels. Sa production de lait s’est au moins maintenue.
Légende photo: En Belgique, bas-relief dans le centre historique de Bruges