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Plaidoyer pour des éleveurs de porcs debout !

Tribune cosignée par Sébastien Louzaouen (président de JA Finistère)
et Thierry Merret (président de la FDSEA du Finistère)

Sommaire

La filière porcine française est confrontée à une double crise, une crise structurelle au même titre que l’ensemble de l’élevage français, et une crise conjoncturelle européenne plus spécifique au porc.

Nous restons convaincus qu’il existe un avenir pour les éleveurs de porcs, et toute la filière. Un avenir qui ne pourra reposer que sur un collectif décuplé pour reconstruire une filière forte et conquérante dans l’intérêt d’abord des éleveurs, mais aussi des entreprises de première transformation (l’abattage/découpe), nos partenaires.

Osons sortir de notre quotidien, qui plutôt que de nous fédérer, ne cesse de nous diviser non seulement entre acteurs de la filière, mais aussi entre groupements de producteurs. Nous le refusons !

Des dysfonctionnements à tous les étages

L’état des lieux permet d’identifier plusieurs obstacles au bon fonctionnement de la filière porcine.

– Les abatteurs, abatteurs-distributeurs, producteurs-abatteurs-transformateurs… Par leur diversité, ils ne peuvent et/ou ne veulent s’entendre à agir collectivement tant leurs objectifs sont différents.

– Les salaisonniers charcutiers, pour les plus grands d’entre eux, en arrivent aujourd’hui à prendre des positions officielles anti-françaises : augmenter et faciliter l’approvisionnement afin de pouvoir toujours se servir au moins cher en Europe, voire dans le monde ! Si on n’y prend pas garde, il n’y aura pas que le capital qui sera étranger mais aussi la majorité de la matière première utilisée !

– Les groupements de producteurs, nos OP, face aux difficultés rencontrées et plutôt que de se renforcer ensemble, continuent à penser individuellement et en croyant qu’à force de différenciation, chacun restera le meilleur. Des différenciations, qui au-delà des cahiers des charges, peuvent aller très loin y compris jusqu’à masquer le réel coût de leurs services à leurs adhérents. Nous y reviendrons…

– Les autorités publiques plutôt que d’assumer leur rôle de facilitateur en donnant le maximum de moyens à tous les acteurs aussi divers soient-ils, ne trouvent rien de mieux que de tout mettre en œuvre pour encore plus diviser. Nous y reviendrons également…

Une situation inextricable qui nous conduit nous, éleveurs, à adopter des positions dures y compris à l’encontre de nos principaux partenaires : abatteurs, salaisonniers, entreprises de plats préparés et distributeurs, qui ne jouent pas le jeu de l’origine France.

Mais comment pourrait-il en être autrement ? Pris individuellement, l’éleveur devient toujours et encore la variable d’ajustement avec la pression que nous mesurons au quotidien dans nos exploitations et nos familles… Là aussi, c’est une question de survie pour nous !

Jeunes et moins jeunes, nous devons reprendre l’initiative et nous en avons les moyens ! Nous y croyons et il y a de nombreuses raisons d’espérer !

1/ Repenser notre mode de commercialisation pour une vraie négociation collective

Nous sommes arrivés au bout d’un cycle !

Le déséquilibre dans l’activité d’abattage provoqué par la fermeture de l’abattoir Gad de Lampaul en 2013 (maintes fois dénoncée) et la mise en place de l’embargo sanitaire russe en février 2014 ont généré une chute des cours au marché du porc breton (MPB) pour atteindre 1,11 €/kg en décembre 2014. Puis 1,06 €/kg en décembre 2015.

Notre système actuel est le fruit de la volonté de nos aïeux d’organiser la production dans un esprit mutualiste, fondé sur un même prix pour tous au travers du MPB, un kilo de porc via Uniporc pour une même référence  (1 kg = 1000 g !) dans tous les abattoirs, sur des règles collectives contrôlées et respectées par tous pour une transparence de marché. Aujourd’hui, l’éloignement de la production des abattoirs contribue à fragiliser toute l’organisation.

Le MPB étant approvisionné à 60 % de cochons finistériens, l’augmentation des coûts de transport en 2014 a fait baisser de façon anticipée la cotation, cotation qui, pour rappel, fait la référence au niveau national ! L’embargo russe et la moindre valorisation sur le marché chinois faisant le reste par la suite.

En août 2015, face au maintien d’un prix qualifié de politique, deux abatteurs ont décidé unilatéralement, sans d’ailleurs avoir été rappelés à l’ordre pour non respect de la convention du cadran, de quitter le MPB mettant ainsi fin à la cotation le 5 octobre. C’est seulement après deux mois de réunions, réflexions et projets de convention que le MPB a repris avec seulement 30 000 porcs, soit 8 % de la production de l’ouest, et pas avec tous les abatteurs. Nous considérons que la montagne a accouché d’une souris !

Malgré la cotation, nous sommes rentrés dans la pagaille des prix différenciés avec autant de prix que d’abattoirs, voire même plus selon leur proximité par rapport à l’élevage avec marges arrière et fléchages négociés entre groupements et abatteurs !

A croire que nous sommes revenus 50 ans en arrière, au bon vieux temps des maquignons, qui bien que très sympathiques, n’étaient pas là pour défendre l’intérêt des producteurs. Ce qui était vrai il y a 50 ans reste toujours d’actualité, ne nous laissons pas berner.

Sans réelle concentration de l’offre, c’est soit la porte ouverte aux maquignons d’hier, soit la porte ouverte à l’intégration de demain ; en fait, c’est le retour à l’asservissement des éleveurs !

La contractualisation à la mode Le Foll : une fausse bonne idée

En prônant des contrats tripartites producteurs-industriels-distributeurs sans la moindre référence aux groupements de producteurs ou organisations de producteurs, le projet laisse toujours et encore le producteur tout seul face à ses partenaires. Une orientation qui n’aura pour effet que de sanctuariser les déséquilibres. En effet, le secteur du lait est un exemple à part entière : la contractualisation individuelle obligatoire imposée en 2011 n’a pas permis d’éviter les crises, pas plus qu’elle n’a contribué à préserver la filière française face à ses concurrents européens.

Pire encore, face à la diversité des abatteurs, en quoi la négociation tripartite apporterait un plus alors même que les négociations annuelles bipartites entre abatteurs et distributeurs ne fonctionnent pas, preuve en est donnée en ce moment.

Sauf à souhaiter au travers de ce projet de contrats tripartites que la filière porcine française ne devienne demain l’équivalent de la filière britannique d’aujourd’hui avec seulement 57 % d’auto approvisionnement, il n’y a qu’un pas. Aujourd’hui, certes, il n’y a pas de crise au Royaume-Uni mais à quel prix ? Il faudrait une baisse drastique de 30 % de la production pour tomber à 14 millions de porcs, avec l’arrêt de centaines d’éleveurs. Cela, nous le refusons !

Oui à la contractualisation, si et seulement si elle est organisée collectivement.

2/ Utilisons les outils européens à notre portée pour peser collectivement

Depuis des années, nous appelons de nos vœux une réforme de la commercialisation, notamment en organisant le marché de manière collective. Pour nous producteurs, il nous faut aussi prendre nos responsabilités et faire en sorte que nos organisations travaillent ensemble pour le bien de tous. Pour ce faire, les Associations d’Organisations des Producteurs (AOP) disposent d’outils pour nous aider à agir sur de nombreux sujets : cadran, plate-forme export commune, cahier des charges, pesées, classement, contractualisation collective avec les abattoirs… Et bénéficier  pourquoi pas comme la PAC l’autorise dans le lait, l’huile d’olive, les céréales, de dérogations au droit de la concurrence pour permettre une meilleure négociation collective de nos groupements. Nous le pouvons, seule la volonté de travailler ensemble des groupements manque !

Contribuons à la mise en place d’une plate-forme commune entre les OP pour un export pérenne

Si nous saluons la mise en place récente de la plateforme SAS France Viande Export, sous l’égide de Stéphane Le Foll, nous dénonçons son manque d’ambition. Aussi, afin de véritablement lancer cette plateforme SAS France Viande Export, nous proposons que les éleveurs donnent symboliquement un cochon par 200 truies, soit plus de 7 000 cochons au niveau France. Cela permettrait d’assainir le marché intérieur et de réduire le problème actuel de fluidité dans les élevages : c’est du gagnant-gagnant ! La balle est à présent dans le camp du ministre. A bon entendeur… Mais une plateforme export doit s’inscrire durablement au sein d’une AOP.

C’est l’occasion pour les groupements de travailler de concert pour, ensemble, accompagner les abatteurs de façon collective à conquérir de nouveaux marchés. Nous sommes persuadés qu’une plateforme commune à l’export, professionnalisée et pérenne pour conquérir des marchés de façon durable, est devenue indispensable pour redonner un élan à la production porcine et à tous les acteurs de la filière. Faut-il encore établir des règles de discipline communes et les faire respecter !

Libérons nos organisations de producteurs (OP) du carcan dans lequel ils se sont enfermés

Pour que les groupements (nos OP) reprennent en main la commercialisation des porcs de leurs adhérents, il est essentiel qu’ils se libèrent d’un système dévoyé depuis de nombreuses années.

En effet, la multiplication démentielle des cahiers des charges paralyse le système car, soit les cochons concernés passent hors marché du porc breton (MPB), soit ils sont pré fléchés en amont du MPB vers tel ou tel acheteur. Nous relayons ici la voix des éleveurs qui demandent aux acteurs de la filière porcine de rétablir transparence et simplification dans l’approvisionnement au MPB.

Mettons également fin avec courage aux marges arrière. Il s’agit d’un financement que l’abattoir rétribue au groupement pour le volume de porcs qu’il lui adresse, en vente directe abattoir, ou en pré fléchage, donc sans passer par une réelle confrontation de l’offre et de la demande. Cette dérive est apparue à la fin des années 1990, à une époque où les charges de groupements sont montées en flèche pour répondre notamment au déploiement des réglementations environnementales. Dans un contexte très concurrentiel, ils ont développé des services à leurs adhérents sans contrepartie financière sur leur cotisation. Les ressources des groupements ne proviennent pas que des abattoirs mais aussi de la génétique ou encore des produits vétérinaires. Avec ces modes de fonctionnement, les groupements ont perdu leur liberté de décisions…

Nous dénonçons ces marges arrière qui sclérosent toute la filière ! Eleveurs, êtes-vous prêts à payer le juste prix des services rendus par votre groupement et à acheter, de façon similaire, au meilleur prix votre génétique et vos produits vétérinaires ?

Les groupements doivent se recentrer sur leur objectif premier, qui est la valorisation de la production de leurs adhérents pour en obtenir le meilleur prix ! Il leur est nécessaire de retrouver un niveau de cotisation cohérent par rapport à leur coût réel de fonctionnement. L’organisation de l’achat d’intrants et de services doit aussi se faire au meilleur prix pour l’adhérent, que ce soit sur les activités d’aliment, de la génétique, des bâtiments, des produits vétérinaires. Arrêtons de nous tirer une balle dans le pied, en dévoyant des organisations qui ont été mises en place au service du plus grand nombre !

Unis avec une réelle volonté professionnelle, nous serons d’autant plus forts pour que l’Etat français nous accompagne dans notre vision pour l’avenir de la filière et nos ambitions pour la vie de nos territoires.

3/ La France doit armer la filière porcine pour passer le cap

La crise conjoncturelle du moment provient d’une augmentation de la production européenne confrontée depuis ces deux dernières années à des perturbations de marché totalement indépendantes de nos compétences, qui relèvent de stratégies géopolitiques. Face à l’embargo russe, la France et les acteurs français de l’abattage/découpe et du commerce ont été en mesure pourtant de faire aussi bien que les autres pays européens pour trouver de nouveaux marchés.

Après avoir perdu un marché de 65 000 tonnes de produits à destination de la Russie depuis 2014, les abatteurs français ont développé leur part de marché sur la Chine de + 20 %, sur la Côte-d’Ivoire de + 55 %, et sur la Corée de + 100 %.

Si toute chose était restée égale par ailleurs, nous ne devrions donc pas être en pareille situation eu égard à la fluidité et au décrochage des prix.

Mais entre-temps, sur la même période, l’Espagne, l’Allemagne et à présent la Pologne ont décuplé leurs exportations à destination de la France de respectivement + 50 %, + 18 % et + 40 % de tonnes de porcs !

Qu’on se le dise, nous sommes entrés dans une vraie guerre de bassins de productions où celui qui résistera le plus longtemps à la faiblesse des prix (quitte à tricher) récupérera les parts de marchés.

L’Etat doit rendre obligatoire l’étiquetage des produits transformés

Les marchés intérieurs et les marchés export ont une complémentarité qu’il ne faut pas négliger : nous avons besoin de ces deux débouchés, car ils n’exploitent pas les mêmes pièces du cochon. La conquête de nouveaux marchés et la valorisation de notre production, tant sur le marché intérieur qu’à l’export, est indissociable d’une mise en avant de l’origine France. Le « made in France » est gage de qualité et de traçabilité, et doit être un atout pour le commerce.

Les FDSEA et la FRSEA Bretagne ont demandé par courrier (*) au Premier ministre le 27 novembre 2015 de légiférer de toute urgence sur l’étiquetage obligatoire de l’origine des viandes dans les produits transformés. Toujours pas de réponse à ce jour !

L’Etat doit compenser les distorsions de concurrence que nous subissons aujourd’hui

L’embargo russe a été malheureusement le déclencheur de la prise de conscience du décalage compétitif de la France. Nous subissons par ailleurs des importations liées à des distorsions de dumping fiscal, dumping social… Des distorsions qui tirent à la baisse les prix pour aller jusqu’où ?

Il aura fallu attendre le 17 août 2015, pour que Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, après avoir nié, concède qu’il y a « des progrès évidents à faire en Europe en termes d’harmonisation fiscale et sociale ». De qui se moque-t-on ? Ignore-t-il aussi l’existence du forfait TVA en Allemagne qui avantage considérablement les éleveurs Outre-Rhin ? Nous en restons abasourdis tant, depuis des années, nous alertons sur les conséquences de ces distorsions de concurrence, qui asphyxient chaque jour un peu plus les exploitations et les filières agricoles et agroalimentaires. Sans être à armes égales avec nos voisins européens, comment pourrions-nous être compétitifs ?

Cette situation est tout simplement intenable pour les éleveurs ! Alors, si le prix qualifié de politique, obtenu cet été, a permis pour quelques semaines de se refaire une trésorerie, il n’était pas durable à moyen terme. Les éleveurs auraient préféré avoir des annonces structurelles immédiates pour obtenir durablement 20 centimes de charges en moins, plutôt que 20 centimes de prix en plus !

Nous exigeons que l’Etat prenne à bras le corps le combat contre les distorsions de concurrence (fiscales, sociales et environnementales) pour une réduction des charges rapide et efficace mais aussi qu’il compense intégralement les distorsions liées à des choix politiques.

4/ En conclusion, nous producteurs, avons deux choix à notre disposition

Continuer à être résignés quitte à être intégrés voire à disparaître, ou organiser un sursaut collectif pour mener à bien un projet ambitieux fédérant les producteurs.

Il nous faut changer de posture en nous imposant des règles de disciplines communes et en les faisant respecter ! Il est urgent d’inverser la tendance ! Avec volonté et clairvoyance, les producteurs via leurs groupements peuvent reprendre la main en se contraignant mutuellement à passer un pourcentage significatif de leur production au MPB. Si rien ne bouge dans les semaines à venir, nous n’excluons pas de recréer une nouvelle organisation de producteurs, libre de tout lien avec l’amont et l’aval et commercialisant via le cadran ! Le MPB doit devenir incontournable pour l’ensemble des abatteurs. Une plateforme export pérenne doit voir le jour, même si ce n’est, dans un premier temps, qu’avec quelques groupements.

Le producteur doit retrouver sa fierté d’entrepreneur et les groupements, leur capacité à valoriser au mieux la production de leurs adhérents.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins, avec le choix de subir individuellement, ou d’agir collectivement. Tant pour les acteurs économiques que pour l’Etat, nous appelons à la cohésion et à la cohérence. Il est important de mettre en place des solutions collectives afin que la filière porcine retrouve ambition et perspectives !

En tout état de cause, nous porterons tous, paysans, élus professionnels, dirigeants économiques, la responsabilité des choix que nous faisons aujourd’hui, et de l’héritage que nous laisserons aux générations futures.

Sébastien Louzaouen (président de JA Finistère)
& Thierry Merret (président de la FDSEA du Finistère)

(*) http://www.fdsea29.fr/sites/d29/dossiers/porc/2015/12/151123_crier_ministre_etiquetage_obligatoire_vf.pdf (le courrier en question).

Les photos ci-dessous qui illustrent la tribune de Sébastien Louzaouen et Thierry Merret ont été prises lors de la manifestation nationale du 3 septembre 2015 à Paris.

Ci-dessous, les deux auteurs de cette tribune. D’abord Sébastien Louzaouen…

… et Thierry Merret.

2 Commentaire(s)

  1. Les organisations de producteurs, coopératives sont grandement responsables, ils n’ont rendu aucun service mais poussé vers un système au service de l’agro-business ! La question est simple qui est à la tete de ces OP, des coopératives ?

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