70 ans après le « serment de l’unité paysanne » et la « révolution silencieuse »… Oser l’audace d’une véritable concertation pour sortir de la crise.
Comment sortir de ce que beaucoup appellent la crise agricole mais qui est surtout le fruit de notre immobilisme collectif. Davantage qu’une crise nous sommes en réalité depuis 10 ans dans une profonde crise d’adaptation à un nouveau contexte radicalement différent du précédent et que nous refusons d’admettre : celui de l’ouverture au monde, de la fin de la gestion publique des marchés et donc l’arrivée d’une volatilité « normale » des prix. Le tout dans un contexte de prix et de revenus variables mais jusqu’à maintenant globalement en hausse ! Cela nécessite pour les agriculteurs une vraie gestion économique et non patrimoniale de leurs fermes. Pour certains une vraie révolution.
Nous devons gérer une transition écologique qui en agriculture entraine un changement de pratiques et parfois de système.
Nous traversons une profonde crise de défiance de nombreux agriculteurs vis à vis des élus, des institutions et même de leurs organisations et de leurs responsables. A cela s’ajoute un sentiment global de manque de reconnaissance par l’ensemble de la société. Cette absence de vision commune et de confiance dans l’avenir agricole creuse insidieusement depuis plusieurs années le sillon d’une grave crise morale qui éclate aujourd’hui.
Nous devons faire face à des écarts croissants de performances des exploitations que ce soit au plan technique ou économique et cela dans toutes les productions et dans toutes les régions. Les moyennes ne veulent plus rien dire, certains agriculteurs sont désespérés alors que les résultats globaux sont loin d’être catastrophiques.
L’agriculture française dans sa diversité a un énorme potentiel pour répondre à ces défis. Elle doit s’appuyer sur ses propres ressources sans chercher de bouc émissaires ni rêver aux miracles et encore moins céder à la tentation du repli et de la fermeture…
Nos devons absolument définir collectivement en 2016 une ambition nationale agricole et un projet stratégique avant les négociations sur la prochaine réforme de la PAC.
Pour cela il convient de laisser de coté les revendications, les invectives ou les postures. Il faudrait engager d’urgence une démarche de vérité associant toutes les parties prenantes : l’ensemble des syndicats agricoles, les industries agroalimentaires, les consommateurs, la société civile, le commerce, les élus, l’Etat. Il faut une réflexion large, un débat méthodique de quelques mois avec sans doute une phase de débats décentralisés. Cela permettrait de redéfinir une ambition agricole nationale.
Il conviendra de clarifier quelques questions simples du type : quelle diversité d’exploitations voulons nous, qu’entendons-nous par entreprise familiale, quelle ambition exportatrice avons nous, quelle organisation de filière souhaitons nous ?…
Il y a soixante-dix ans, l’angevin Eugène Forget au premier congrès de la FNSEA faisait adopter le serment de l’unité paysanne. Aujourd’hui l’époque est à la diversité mais cela ne doit pas occulter la cohérence et tous les syndicats agricoles devraient rapidement se mettre autour d’une même table pour définir le socle minimal de ce qu’ils partagent comme vision du métier d’agriculteur pour 2030. Les convergences de fond sont très certainement largement plus nombreuses que les divergences. Cela contribuerait à retrouver la confiance des paysans et à engager la négociation avec les autres parties prenantes sur notre stratégie agricole nationale.
N’oublions jamais que la grande modernisation de l’agriculture des années 60 est issue d’une vision audacieuse souvent appelée « Pisani-Debatisse ». Cette vision a été rendue possible par de longues discussions hors des appareils, le soir entre « hommes libres et de bonne volonté» : Edgar Pisani ministre mandaté par le général De Gaulle, quelques experts, Michel Debatisse entouré de quelques agriculteurs. Michel Debatisse l’a ensuite qualifiée de « Révolution Silencieuse ».
Après le serment de l’unité paysanne et la révolution silencieuse , saurons-nous aujourd’hui oser la concertation pour sortir de notre immobilisme agricole tonitruant ?
Jean-Marie Séronie
agro-économiste indépendant
Cette tribune est également en ligne sur le blog de Jean-Marie Séronie
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Anael tout à fait d’accord avec toi , d’où l’appel à une coordination des syndicats
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Aujourd’hui, les outils pour mener ce genre de concertations sont sur la table :
réseaux sociaux pour ratisser plus larges, toucher les jeunes générations et les personnes qui ne pourraient pas se déplacer physiquement à un débat, même décentralisé,
capacité de traitement des données collectées à grande échelle sur interne,
des syndicats qui sont encore représentatifs (cf. taux de participation aux élections des chambres) comparés aux syndicats sensés représenter les salariés,
la société civile serait prête à se mobiliser si on la sollicite sur les territoires, afin d’éviter un débat uniquement entre la FNSEA et quelques ONG opposées à tout compromis en dehors du vegan et de la biodynamie,
Ce type de concertation doit être porté par un organisme fort, et pas par une coopérative ou un syndicat directement.
Si l’ensemble des syndicats le portait, ça pourrait marcher ! Sinon, un ministre de l’agriculture disponible pourrait le faire…