Les télépilotes se voient confier un drone. Ils devront à terme l’acheter pour un montant de 5000 € environ. Un investissement normalement amorti dès la première saison.
En ce contexte de volatilité sur les prix des engrais, l’usage du drone pour l’édition de cartes de modulation de la fertilisation azotée fait son retour sur le terrain. Parmi les start-ups aux manettes de cette renaissance, nous avons suivi en janvier le travail de la lyonnaise Exo.expert à l’issue d’une réunion avec le GRCETA de l’Eure bien connu pour avoir mis sur pied l’outil Defisol (devenu l’outil BeApi). Des ETA sont déjà adhérentes du dispositif.
Qui ne se rappelle pas avoir vu des propositions de cartographie par drone en vue de moduler les apports de l’azote au cours des années 2015 à 2019 ? Après avoir quasiment disparu des radars pendant quelques années suite à la cessation d’activité d’un des principaux acteurs, ce service semble aujourd’hui entamer sa renaissance avec de nouvelles entreprises comme la start-up lyonnaise Exo.expert menée par ses quatre jeunes fondateurs aux expertises complémentaires. Nous les avons rencontrés sur le terrain en janvier en pleine campagne de cartographie des lins d’hiver et des colzas, à l’issue d’une démonstration avec le GRCETA (Groupement de Recherche sur les Cultures et Techniques Agricole) de l’Eure, connu dans le domaine de l’agriculture de précision pour avoir mis sur pied l’outil de modulation des apports de phosphore et de potassium Defisol (devenu l’outil BeApi au sein de l’union de coopératives InVivo).
Exo.expert déploie sa solution commercialement sur le terrain pour la deuxième campagne consécutive pour le colza et pour la première année pour le lin et le blé. D’autres cultures sont déjà à l’études, comme l’orge d’hiver, afin de pouvoir élargir l’offre de services. Conformément à la réglementation, la prestation comprend : un rapport certifié Comifer (Comité Français d’Étude et de Développement de la Fertilisation Raisonnée), des cartes de biomasse et de préconisation à utiliser pour moduler les doses automatiquement ou manuellement avec une application dédiée.
Sept télépilotes
Le système mis au point par les entrepreneurs s’appuie sur une plate-forme automatisée qui permet d’obtenir et de gérer les autorisations de vols des drones, d’organiser les tournées de drones pour les pilotes, de créer le plan de vol optimisé des drones au-dessus des parcelles… « De fait notre système intéresse déjà beaucoup le secteur du drone qui voit dans notre application un excellent outil pour pouvoir simplifier le travail », constate Alan Usseglio Viretta, l’un des jeunes fondateurs … L’application des jeunes ingénieurs intègre également l’analyse d’image et l’édition des cartes de préconisations. Elle s’appuie actuellement sur un réseau de 7 télépilotes agréés en France. Le territoire national a vocation à être couvert intégralement à terme, grâce au recrutement de nouveaux télépilotes indépendants. Ceux-ci sont rémunérés par la plate-forme avec un chiffre d’affaires qui peut atteindre 10 000 €HT par mois et par pilote en pleine saison de cartographie. Les pilotes se voient confier un drone pour se lancer. Ils devront à terme l’acheter pour un montant de 5000 € environ. « Cet investissement est cependant amorti dès la première saison », explique Alan. Le retour sur investissement assez rapide du drone est une des raisons pour lesquelles l’imagerie par drone connaît une renaissance, tandis que des modèles développés à partir de 2015 mobilisaient des équipements à 35 000 €. Pour recruter de nouveaux télépilotes, la start-up privilégie des personnes ayant une bonne connaissance du milieu agricole, voire directement des agriculteurs qui souhaitent se diversifier. En une journée, un pilote peut prendre en charge environ 250 ha. « Avec 5 télépilotes on peut couvrir par exemple 7 000 ha de colza en une semaine ce qui représente les besoins pour le territoire d’une belle coopérative », explique Alan. Aujourd’hui, le service est proposé aux entreprises de travaux agricoles, aux négoces, aux coopératives, aux conseillers indépendants en agronomie, à des groupes d’agriculteurs ainsi qu’à des agriculteurs en direct).
Selon la culture et l’objectif visé, le drone passera environ deux ou trois fois pour cartographier la parcelle. Une fois la carte éditée, l’ETA n’a plus qu’à l’utiliser dans sa console d’autoguidage. La carte peut également être utilisée avec de vieux outils qui ne sont pas équipés de débit proportionnel à l’avancement (DPA) ou pour lequel le DPA est débrayé. « Nous donnons alors une consigne de modulation de la vitesse d’avancement du tracteur », précise le jeune startuper.
Souplesse de vol
Le drone a un rayon d’action d’un kilomètre. Ce rayon permet d’optimiser les tournées et de réaliser plusieurs parcelles à chaque vol. Le télépilote peut avantageusement utiliser cette capacité pour trouver un point de décollage du drone approprié, avec de la place pour pouvoir se garer comme le parking d’une église par exemple. En ce cas, attention de ne pas se laisser surprendre par l’effet écran du bâtiment qui peut gêner la communication radio entre le drone et la plate-forme de pilotage.
Les conditions météorologiques ont leur importance. Le drone tolère une pluie fine et des vents en-dessous de 70 km/h. Un autre piège à éviter est la buée qui peut parfois se former sur les six lentilles de la caméra dont les drones sont équipés. « Concrètement, on regarde de près les prévisions météorologiques avant de lancer une journée de vol, souligne Timothée Craig un des autres associé fondateur de l’entreprise. Des pluies éparses ne poseront pas trop de problème. En revanche, s’il pleut toute une journée il vaut mieux ne pas sortir. Cependant, la tolérance du drone est vraiment assez souple pour nous permettre d’être serein dans notre capacité à fournir les cartes en temps et en heure pour les clients ».
Sur le terrain, l’équipe de « tournage » est assez discrète. Le drone prend très rapidement son envol et devient vite invisible à l’œil nu. L’acceptation du drone par les riverains est plutôt bonne avec le recul. Les pilotes ont malgré tout parfois besoin d’expliquer leur présence. Ils expliquent alors leur travail et montrent qu’ils ont toutes les autorisations de vol nécessaires.
Une grande réactivité
La force de la solution développée est aussi qu’elle permet d’éditer en temps réel les cartes de modulation directement sur le terrain à partir d’un Ipad. C’est très réactif pour le domaine des travaux agricoles qui a parfois besoin de voir très vite la situation pour intervenir rapidement en fonction des fenêtres de tir climatiques. La rapidité est d’ailleurs la principale valeur ajoutée du drone par rapport aux observations satellites qui sont inopérantes par temps couvert, et dont le délai d’édition des cartes est parfois important. Par ailleurs, le système ne requiert aucune connexion Internet contrairement à d’autres systèmes où les données doivent être envoyées sur des serveurs pour pouvoir être analysées. Avec Exo.expert, l’algorithme de traitement des données est optimisé pour travailler avec la seule puissance de calcul de la tablette électronique (Ipad). La start-up livre généralement aux parties-prenantes les cartes de modulation dans un délai de 24 h à 48 h maximum. La carte étant déjà produite sur l’Ipad du pilote, la seule manipulation nécessaire consiste pour le pilote à charger les cartes en fin de journée et de les envoyer par mail grâce à la connexion Internet de son domicile.
Fiabilité des mesures
La précision du dispositif est importante – de l’ordre d’un centimètre carré par pixel selon les situations de vol, ce qui laisse entrevoir des applications futures pour de l’agriculture d’ultra-précision. « En outre, le drone ne se laisse pas piéger par des parcelles de formes atypiques – qu’elles soient par exemple très étroites ou très découpées, souligne Timothée. Il n’y a pas de risque de surdosage lié à la prise en compte d’éléments qui ne font pas partie de la parcelle ».
Le service est proposé à l’achat de cartes à hauteur de 12 €/ha environ avec un gain économique brut moyen de 40 à 60 €/ha selon le prix des engrais. Les consignes de fertilisation peuvent facilement varier de 0 à 150 unités d’azote au sein d’une même parcelle. « L’enjeu n’est pas forcément d’en mettre moins, mais d’éviter les pertes d’azote en apportant la bonne dose au bon endroit. Au final on peut économiser des engrais et améliorer les rendements », développe Alan.
Pas d’investissement
Ce service a comme avantage pour une ETA, de ne pas nécessiter d’investir dans des équipements coûteux d’analyse en temps réel de modulation de l’azote. Il peut ainsi permettre de réduire les charges opérationnelles tout en proposant la modulation des apports clé en main aux clients. Cela donne aux entrepreneurs une dynamique nouvelle à leurs prestations d’épandage d’engrais, tout en sécurisant les prestations avec des engagements en amont. En effet les commandes de cartographie par drone se font en général en morte saison, de sorte qu’en sortie d’hiver, tout est déjà plus ou moins planifié. « Actuellement on prépare déjà la saison prochaine », soulignait Alan le 18 janvier 2022. Du côté des ETA, la plate-forme d’Exo.expert permet aussi de gérer de façon fluide une multiplicité de clients différents en automatisant de très nombreuses tâches. Sur la plate-forme, il suffit de commander la cartographie des parcelles. C’est ensuite la plate-forme qui gère toute la logistique des tournées et attribue un télépilote automatiquement, et qui effectue la traçabilité des opérations en plus de l’automatisation des plans de vols et des demandes d’autorisations de vols.
Alexis Dufumier
Les cartes de modulation répondent aux préconisations du Comifer. Elles sont éditées après le vol du drone en temps réel.