La moisson est une activité au caractère mythique. Dans l’inconscient collectif de la nation française, elle est une des activités qui symbolisent encore fortement le monde agricole, même si elle n’a plus rien de commun avec celles d’antan. Je vous raconte celle qui m’a concerné au premier chef… Journal d’un moissonneur.
C’est aussi le temps des beaux jours de l’année où l’agriculteur parcoure ses champs jusque tard dans la nuit et où il peut profiter de la nature. A la tête de son exploitation et de son activité de négoce de paille, Guy est un de ces agriculteurs pour qui la moisson est la « période de l’année ! ». Il faut faire un peu de moisson et surtout récolter les pailles pour la clientèle. Aucun employé n’est permanent sur cette structure trop petite et dont l’activité est trop saisonnière. Des jeunes saisonniers se chargent de l’activité de récolte de paille, mais pour faucher c’est différent. Guy ne le dit pas mais il adore ça ! Alors tant que la paille ne lui prend pas trop de temps, il conduit sa batteuse et voit ainsi tous les copains et voisins.
Malheureusement, l’économie et la rationalité de l’activité prime. Et il faut déléguer. Lâcher le volant de la batteuse ne peut se faire qu’à une personne à qui on accorde sa confiance… Et voilà comment la moisson se déroule entre copains!
Je suis absent pour la semaine. Il ne pleut pas sur la Picardie maritime où je suis. Les machines sortent, poursuivent les escourgeons et entament les colzas. J’envoie un SMS à Guy, retour immédiat ! Ici on fait du blé, 14 % d’humidité ! On a 15 jours d’avance!
La moisson se poursuit mais au final ce n’est pas très mur. Guy est contraint de revenir sur son exploitation dans une parcelle où la maturité est bonne. Seuls 10 hectares sont fauchés ce jour. Un coup de fil pour s’organiser, on décide de la journée du mardi suivant où je serai de retour.
La machine est au pied du champ chez Thierry, agriculteur au village voisin. Des gouttes tombent de manière insistante puis il pleut. La machine rentre sans avoir fauché le moindre épi!
Il pleut…
Pas de pluie, mais il faut que ça sèche…
Le temps est gris, l’hygrométrie est élevée, le blé n’est pas très mûr. Finalement je ne viendrai que le jeudi.
Il faut être à 11 heures sur une parcelle de Thierry. C’est un peu tôt chez nous. Je fais le tour de la machine. Guy est en train de la préparer. Je me charge du graissage, histoire de jeter un œil un peu partout. Je suis à l’heure au pied du champ. Il y a de la place pour décrocher la coupe sur un dépôt à betteraves mais il faudra traverser la route avec les 6 mètres de coupe ! Un détail chez nous…
C’est parti ! Le blé est droit comme un « I ». Je passe en revue les réglages sur le moniteur de la machine. Un coup d’œil dans la trémie, le grain est propre. La saison est lancée pour moi… Les 5 hectares sont passés en revue en moins de 3 heures. Une première panne survient : le réseau téléphonique est coupé. Guy ne parvient pas à me joindre et vient au champ.
On va chez Cédric. 7 hectares au programme. Je prends la route pour une dizaine de kilomètres. Les remorques sont là. On attaque la parcelle de 20 ha sur un côté où la maturité est atteinte. La paille est broyée. Les 7 hectares sont vite fauchés, en fait plutôt 8 ou 9 hectares. Il y a encore une petite parcelle de 4 hectares de l’autre côté du chemin. On tente ? Elle est partiellement versée. Surprise : l’humidité est à 13,5 %, on continue de faucher !
21 h 30. On a fait 18 hectares environ. Mais on ne va pas rentrer si tôt. Et si on essayait dans le versé de la grande parcelle ? J’entame le premier passage ! Ça monte bien, le sol n’est pas trop humide, je peux baisser la coupe et raser le sol. Je n’avance plus qu’à 3 km/h, la machine grogne ! Une première remorque est faite. Toujours 13,5 % d’humidité… On poursuit dans le versé, on a laissé du « droit » pour terminer la nuit.
Minuit. Mince les fonds sont bas dans le réservoir ! J’appelle Guy. Il me faut du gasoil, je vais être trop juste si on fauche jusqu’au matin ! Je crois que je l’ai tiré de son lit. Il tourne déjà depuis plusieurs semaines et les heures de sommeil sont précieuses…
On fait l’appoint mais un bruit de roulement sur le palier intermédiaire du broyeur nous inquiète. On tâte… Pas très chaud. Rien de grave donc, ça roule !
Je m’acharne dans le versé ! Un orage a frôlé la parcelle et a couché le blé sur ce secteur. Je roule parfois en dessous des 3 km/h. La paille est trempée, l’humidité gagne dans le grain, une remorque est à 16%. Cédric me demande de faire du « droit ».
2 h 30. Le silo est fermé et les remorques sont pleines. Je suis contraint de rentrer mais plus de 25 hectares ont été moissonnés. Une excellente première journée pour moi.
La nuit a été courte, je n’arrive qu’à 9 h 30. Guy prépare la machine. On retourne chez Thierry aujourd’hui. Les 5 hectares de la veille ne l’ont pas contenté. Aujourd’hui, il veut deux parcelles.
Super ! 9 hectares !
Je graisse et fais le plein. On inspecte le palier du broyeur. Guy a enlevé la courroie pour ne pas faire tourner le palier inutilement. De toute façon, on ne fait que de l’andain aujourd’hui.
Le téléphone sonne, c’est Thierry, il a un petit champ à faire au passage… On se marre ! C’est toujours comme ça…
Je prends la route, je décroche sur une bande enherbée. Je monte la coupe et reprends la route pour faire les 300 mètres qui nous amène au petit champ de 1,4 ha. Le blé n’est pas beau. Le retour à ôtons est gorgé de matière, probablement des menues pailles, mais ça le capteur ne le dit pas. Je bricole tous les réglages… Rien à faire ! Toujours dans le rouge ! Et la parcelle est finie…
On reprend la route. Un coin de blé fauché, grand comme un timbre poste. Je n’ai pas le choix, il faut décrocher ici et déborder sur la départementale pour monter la barre de route. Mais Thierry revient, il est content. Il a fait 100 quintaux/hectare dans son blé aux allures minables !
La parcelle fait 4,5 ha. La fourrière est au moins deux fois plus longue que les tours : cherchez l’erreur ! On est donc obligés de vider à l’arrêt tellement ils sont courts.
On passe à la troisième parcelle. Du blé à droite et à gauche. On ne voit pas les limites et Thierry me guide pour faire le premier tour. Ça fauche facile, mais on sent que la nuit a été courte. Les voitures s’arrêtent au bord de la route départementale, idem pour les remorques. Des curieux en profitent pour discuter avec Thierry. La moisson, c’est aussi du lien social...
J’appelle Guy. Je suis à la fin du travail prévu. On décide Thierry à en faire une dernière.
Le problème : elle est à 7 km, perdue dans la plaine et fait 2,5 ha. De toute façon, il faudra la faire et c’est la seule dans ce coin!
Mauvaise surprise, elle est versée à 50 %. En avant pour le premier tour. Un claquement dans le convoyeur survient. Bilan, deux sections et un doigt de coupe cassés. Nos amis les chasseurs ont laissé un égrainoir dans le champ pour alimenter le gibier. Je change les pièces, je récupère l’intrus dans le convoyeur et le reste se termine sans difficultés, même le versé. Il est 21 h 30. Retour sur la ferme de Guy, on fait tranquillement 7 hectares de blé pour lui au pied du hangar de stockage…
Retour chez Cédric. On finit sa moisson aujourd’hui, à peine 13 hectares encore… Mais en 4 parcelles !
Il veut broyer, mais on n’a pas remis la courroie. Guy prendra sa paille pour son négoce. La première parcelle se passe sans difficulté. La deuxième est à 200 mètres, mais il faut décrocher la coupe pour traverser le lotissement qui les sépare : les joies de l’urbanisme moderne.
Cédric n’est pas confiant sur la maturité du champ. On charge la récolte dans les deux remorques, et il va vider avec l’aide de sa compagne. Je reprends encore la route. Cette fois la nationale. Un parking grand comme un confetti pour décrocher en bord de route, et moissonner les 70 ares.
Enfin, me revoilà dans la grande parcelle de l’avant-veille. Je me remets à faucher le versé. Ça n’avance pas à plus de 3,5km/h. Soudain, les rabatteurs se bloquent. Je stoppe la coupe. Ils ne veulent plus monter. Je descends et je me rends compte qu’un paquet de blé a tout bloqué. Ça ne m’était jamais arrivé après plus de 15 campagnes ! Ce n’est pas surprenant non plus : la paille est trempée, et probablement à plus de 30 % d’humidité avec un grain à 14 %.
Il est 20 heures, je reviens sur l’exploitation de Guy, il faut s’occuper d’une parcelle de 4,5 hectares, elle est versée à plus de 50 %. A certains endroits, c’est même collé au sol. Les rabatteurs tirent la récolte mais il faut pianoter en permanence sur les boutons, il y en a dans tous les sens. Je m’organise pour faire le versé dans le bon sens. Le gyrophare tourne, le chauffeur sursaute et la remorque arrive mais il n’a pas vu que la vis de vidange est du mauvais côté.
23 heures, la parcelle terminée, un coup de fil à Guy : « On passe à celle de 8 hectares ? Je n’ai pas à décrocher pour une fois. » Il me répond en riant : « Tu veux une plainte avec un coup de fusil en prime ? Tu vas réveiller les gens qui dorment… » Fini pour aujourd’hui.
On prépare la machine, je graisse. Ça coince sur un graisseur, je force sur la pompe… Et tout m’éclate à la figure ! Je me retrouve avec de la graisse en guise de mousse à raser. Guy est mort de rire!
Ce matin, Daniel a 5 hectares au programme. La parcelle est versée, ce qui est exceptionnel chez Daniel : il est tellement économe de son engrais et de ses phytos.
J’entame la parcelle, mais il n’y a personne et seulement deux petites remorques pour stocker un peu de blé, que Daniel revend ou resème selon ses besoins. J’appelle Guy et cinq minutes après Daniel est là. Bizarre… Mais bon on peut vider, c’est l’essentiel.Le soleil brille, et le versé est conclu sans encombre.
15 heures, retour sur la parcelle de 8 hectares derrière les maisons. C’est dimanche, mais en journée. Je décroche. Zut, il tombe des gouttes. J’attends, j’arrête le moteur, le temps est noir sur certains secteurs et l’orage monte. La parcelle est sur une hauteur. Je vois les machines de l’ETA voisine qui rentrent. Ça se gâte. Henri passe avec son tracteur et s’arrête. Je ne l’ai pas vu depuis deux ans et pour cause. Notre voisin n’a pas été gâté par la vie et il remercie la médecine moderne pour ses miracles. Henri est heureux de pouvoir être assis ce dimanche dans son tracteur… Une vraie émotion !
Mais ce dimanche est le jour des miracles, Henri est content et le soleil ne brille qu’au dessus de notre champ.
La parcelle est vite récoltée. Et la journée se finit sur la terrasse entre amis. C’est aussi cela la moisson !
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battu blé dur mercredi,
ça chaume pas
semis colza samedi
ça Beauce !! pic.twitter.com/TfpafgR7SL