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WikiAgri est heureux de diffuser une tribune qui donne le point de vue espagnol sur la capacité de la France version Emmanuel Macron à conserver (ou non) une Pac (politique agricole commune) forte en Europe. Elle est signée Tomás García Azcárate, qui fut maitre de conférence à Bruxelles et reste un fin connaisseur des évolutions des politiques européennes.
La nouvelle a causé grand émoi parmi les partenaires européens de la France. Certains s’en sont réjoui, mais les partisans du maintien d’une politique commune forte sont inquiets. J’ai même utilisé sur les réseaux sociaux l’expression « orphelins ». La France aurait abandonné sa position traditionnelle de défense de la Pac pour épouser « la cause de la modernité ».
L`influence, certains diraient même l’emprise, de la France sur la génèse et le développement de la Pac, a été décisive. De Rabot à Legras, les directeurs généraux français marquèrent la politique. La réforme de 1992, connue comme la réforme « Mac Sharry » marqua un point de rupture. Aussi bien le gouvernement que les syndicats agricoles français furent pris à contrepied. Le point culminant de ce divorce fut peut-être quand l’attaché agricole du cabinet Delors rejeta, après un voyage à Paris, une proposition de réforme vin élaborée par les services car elle poussait les producteurs à vendre. Plus tard, le Président Chirac réussit au Sommet de Berlin à faire capoter la réforme du secteur laitier, donnant ainsi à certains responsables professionnels l’illusion que les quotas laitiers étaient éternels.
Petit à petit, cependant, la France récupéra une capacité de proposition et d’innovation. Au Parlement Européen, les rapports des députés Bové sur la chaine alimentaire et Le Foll sur le changement climatique furent approuvés à une très large majorité et servirent de base aux positions politiques du Parlement. Durant les législatures suivantes, le travail patient (voire obstiné) de Michel Dantin, renforcé aujourd’hui par Angélique Delahaye, sur le rôle des organisations de producteurs et le droit de la concurrence, le rapport Andrieu sur l’emploi agricole, marquent des étapes de ce retour sur le centre de la scène.
Au niveau franco-français, le développement de l’agriculture raisonnée en général et du réseau Farre en particulier ; la montée en puissance de l’agroécologie et l’agroforesterie ; l’application nationale courageuse des ministres Le Maire et Le Foll des décisions prises à Bruxelles ; l’agriculture écologiquement intensive promus par mon collègue de l’Académie Michel Griffon ; le travail et le prestige européen de Xavier Beulin pesèrent sur les débats.
Lors des discussions sur les perspectives financières actuelles, la Commission proposa une augmentation du budget européen mais la France rejoigna le, sympathiquement appelé dans les couloirs de Bruxelles, « club des radins » qui voulait (et obtint de) diminuer le budget européen, elle se retrouva au côté du Royaume-Uni, du Danemark, de la Suède et des Pays-Bas mais, en accord avec l’Allemagne, exigea (et obtint) le maintien d’un budget agricole à la hauteur des ambitions affichées.
Tout cela semble remis en question aujourd’hui, malgré les messages diffusés dans les milieux bruxellois par la Représentation permanente de la France, qui affirment que la France est bien là où on l´attend, comme grand pays producteur agricole européen.
Je peux donner une explication à ce qui, dans le meilleur des cas, serait un regrettable cafouillage, sur la base de l’expérience que nous vivons en Espagne dans la préparation de la position espagnole sur le sujet.
Comme ce genre de négativations n’ont (heureusement) lieu que tous les 7 ans, chaque fois nous nous retrouvons avec des nouveaux responsables aux ministères de l’Economie et des finances. Economistes éclairés, ils partent toujours du préjugé que l’agriculture, c’est ringard, c’est l’Espagne d’hier, et que l’avenir se trouve du côté des nouvelles technologies, de la recherche et de l’innovation. Tout en reconnaissant l’importance de ces sujets, commence un long travail d’une éducation que je qualifierais de « sentimentale » de ces nouveaux responsables pour leur rappeler l’importance de l’agriculture pour l’Espagne, son rôle de premier contributeur à l’équilibre de la balance des paiements du pays, les défis environnementaux et territoriaux qui se posent et l’importance du retour budgétaire agricole.
Encore une fois cette année, ce travail a porté ses fruits et la position du gouvernement espagnol est claire et unanime, pour défendre une Pac forte dotée d´un budget suffisant.
J’ai l’impression que l’ampleur du renouvellement politique qui a eu lieu en France est telle que ce travail pédagogique de la part des services de l’Etat, pour la prise en compte des réalités économiques et budgétaires, n’a pas culminé à temps pour le début des grandes manœuvres.
Heureusement, et c’est une grande différence par rapport à toutes les négociations budgétaires précédentes que j’ai suivies, l’Allemagne, suite à l´accord de gouvernement entre le SPD et la CDU-CSU, apparait aujourd’hui comme le principal défenseur du budget agricole européen, avec l’argument que l’on ne peut que difficilement demander plus aux agriculteurs, en particulier sur les volets adaptation et mitigation du changement climatique, et réaliser en même temps des coupes budgétaires sombres.
Tomás García Azcárate
chercheur au CNRS espagnol et membre de l’Académie de l’Agriculture de France
En savoir plus : http://tomasgarciaazcarate.com/index?l=FR (site internet de Tomás García Azcárate) ; @Tgarciaazcarate (son compte Twitter).
L’illustration ci-dessous est issue de Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/167482013.