Il existe un paradoxe à propos des semences en France. Le « modèle français » de la filière est une réussite. Il n’en fait pas moins l’objet de vives critiques de la part de la société civile et d’une partie de l’opinion publique.
Le think tank SAF Agr’iDées organisait le 24 juin dernier à Paris une journée consacrée au thème « Les semences : une pépite française » en partenariat avec l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV). Les semences présentent, en effet, la particularité d’être à la fois indispensables à la survie de l’humanité, un marché mondial en expansion, « une pépite française », pour reprendre l’expression de la SAF Agr’iDées, et en même temps d’être souvent très décriées par une partie des organisations de la société civile, de l’opinion publique et des médias, en particulier autour de la question des OGM.
Si c’est au XIIe siècle que l’on a parlé pour la première fois de semences, François Burgaud, le directeur des relations extérieures du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), indique que, dans l’Ancien Testament, Dieu a créé la semence le cinquième jour, ce qui fait que les semences ne peuvent pas être traitées comme des produits comme les autres. Elles créent par conséquent un certain nombre de responsabilités.
La FAO, de son côté, rappelle que « les semences sont l’élément le plus indispensable à la subsistance de l’homme. Il faut améliorer les cultures et donner accès aux agriculteurs à des semences et à du matériel végétal de variétés sélectionnées de qualité supérieure pour garantir une amélioration de la production végétale et faire face aux problèmes d’environnement croissants. La sécurité alimentaire passe donc par la garantie des approvisionnements en semences des communautés agricoles. » Elle indique également que, sur les 30 000 espèces de plantes supérieures comestibles, 30 sont cultivées pour nourrir la planète et seulement 5 céréales fournissent 60 % de l’apport énergétique de la population mondiale. Il s’agit du riz, du blé, du maïs, du mil et du sorgho. C’est sans doute la raison pour laquelle la devise de l’ISF (International Seed Federation, en français Fédération internationale des semences) est « la semence c’est la vie » ; ou que l’Union française des semenciers (UFS) parle de « la semence à la source de toute vie ».
Il est évident que les semences sont absolument cruciales pour l’agriculture moderne en contribuant notamment à accroître sa productivité comme l’ont montrées les données divulguées dans la synthèse « Semences, concentrés de valeurs » élaborée par Marie-Cécile Damave-Hénard, la responsable innovations et marchés de la SAF agr’Idées. C’est ainsi en partie grâce à l’amélioration constante de la qualité des semences que la production agricole mondiale a pu tripler depuis le début des années 1960, alors même que la progression des surfaces agricoles utiles était relativement faible (+12 %), et qu’en France, la valeur des productions animales et végétales a pu être multipliée par 5,3 entre 1970 et 2013.
Cette croissance de la productivité agricole tend néanmoins à se ralentir depuis quelques années, notamment en lien avec les dérèglements récents du climat : épisodes de sècheresse, températures élevées, etc. Le rendement du blé en est l’un des symptômes. S’il a quadruplé en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il tend à stagner dans la plupart des pays depuis les années 1990. On observe également depuis le milieu de cette décennie, une stagnation des rendements d’autres céréales comme l’orge d’hiver et le colza.
L’enjeu-clef désormais est d’augmenter les niveaux de production dans un contexte de changement climatique en améliorant la résistance des semences aux « stress biotiques (maladies et ravageurs) et abiotiques (azote et eau) » (selon Marie-Cécile Damave-Hénard). Cela soulève bien entendu la question ô combien controversée de l’amélioration génétique des plantes.
Les semences représentent désormais un secteur d’activité très important avec, selon les données fournies par l’ISF, 7 500 entreprises dans le monde qui réalisent un chiffre d’affaires de 48 milliards de dollars et des échanges internationaux croissants pour un montant de 12,5 milliards de dollars. Les entreprises semencières les plus connues sont Monsanto, Bayer, Syngenta ou encore Vilmorin du côté français.
Le commerce international de semences a beaucoup progressé en particulier depuis le début des années 2000. Selon Michael Keller, le secrétaire général de l’ISF, qui intervenait à la SAF, cette forte croissance des échanges s’explique notamment par la production de contre-saison (dont l’un des symptômes est, par exemple, la montée en puissance du Chili qui était le 6e exportateur mondial de semences en 2011) et le développement des OGM. Les échanges internationaux sont dominés par les Européens. La France est ainsi le premier exportateur mondial de semences en volume, très largement devant les Etats-Unis, et aussi en valeur, devant les Pays-Bas et les Etats-Unis. On assiste néanmoins ces dernières années à une percée significative de l’Asie, de l’Amérique latine et même de l’Afrique. Ainsi que l’affirme Michael Keller, « les autres arrivent » dans un marché de plus en plus globalisé. Les deux plus gros marchés intérieurs mondiaux pour les semences sont ceux des Etats-Unis (environ 12 milliards de dollars) et de la Chine (plus de 10 milliards). La France était en 2011 le troisième marché intérieur au monde, devant le Brésil, l’Inde, le Japon, l’Allemagne et l’Argentine.
Michael Keller observe plus globalement quatre tendances majeures dans le monde pour le marché des semences. La première de ces tendances est que, désormais, les agriculteurs n’achètent pas que des semences, ils achètent un « package », ce que Michael Keller a appelé à plusieurs reprises une « boîte à outils », comprenant des semences, mais aussi un certain nombre de services, comme par exemple la protection des plantes. Les autres tendances résident dans des techniques de sélection plus efficaces, la création de productions en contre saison, ainsi que des variétés ayant un cycle de vie plus court qu’auparavant, de 5 à 6 ans en moyenne. Il note également l’existence de débats un peu partout dans le monde à propos des semences, relatifs au climat, à l’environnement ou encore à la fermeture des marchés nationaux.
Un petit film du GNIS diffusé au début de la conférence de la SAF agr’Idées, tout comme la synthèse « Semences, concentrés de valeurs » ont rappelé à quel point le poids de la filière française des semences et des plants était important. L’Union française des semenciers parle même de la France comme du « premier jardin mondial des semences ».
La France est, en effet, le premier producteur européen de semences, le troisième marché intérieur mondial et le premier exportateur mondial. Les entreprises françaises sont présentes dans 150 pays, même si les exportations françaises se dirigent avant tout vers le marché européen. La première espèce exportée est le maïs. La balance commerciale est très excédentaire, avec un excédent de 733 millions en 2013/2014, même si cet excédent était moins élevé que l’année précédente.
La filière française de semences et de plants, dont le chiffre d’affaire s’est élevé à 3,2 milliards d’euros en 2013/2014, est représentée par 73 entreprises de sélection, 244 entreprises de production, 19 000 agriculteurs multiplicateurs qui produisent les semences, 23 000 points de vente, au total plus de 50 000 emplois, 450 000 agriculteurs et 15 millions de jardiniers utilisateurs. Enfin, cette filière représente aussi un important effort de recherche & développement. Celui-ci s’élève à 13 % du chiffre d’affaire, soit quasiment autant que le secteur de la pharmacie (14 %) et bien davantage que celui de l’agroalimentaire (1,8 %). La R&D dans cette filière, c’est également un quart du nombre de personnes employées en équivalent temps plein, soit tout de même 2 300 personnes.
Comment peut-on expliquer cette réussite de la filière française ? Marie-Cécile Damave-Hénard avance trois arguments : (1) un environnement pédoclimatique favorable, (2) un réseau d’agriculteurs multiplicateurs, et (3) une filière structurée.
Au-delà des conditions pédoclimatiques ou de l’importance accordée à l’agriculture dans le pays, François Burgaud explique ce succès de la filière française par d’autres facteurs qui sont autant de spécificités françaises. Pour lui, le premier de ces facteurs est ce qu’il appelle « le modèle règlementaire français » fondé, selon lui, sur trois éléments : (1) le Catalogue officiel des semences pour garantir l’authenticité et la qualité des semences (il contient 6 500 variétés de 250 espèces différentes) ; (2) la certification des semences par les autorités officielles ; et (3) la rémunération de la recherche grâce aux droits de propriété intellectuelle. Le deuxième facteur, qui est aussi une spécificité française, réside dans l’« innovation partagée par les différents acteurs du secteur », avec le rôle très important joué par les agriculteurs multiplicateurs qui produisent les semences pour les entreprises. De nombreuses entreprises, notamment asiatiques, font ainsi appel à eux. Le troisième facteur, qui est encore une autre spécificité française, est que les entreprises de la filière semences sont implantées sur l’ensemble du territoire. Enfin, le quatrième et dernier facteur, est le travail en filière qui s’exprime à travers une interprofession incarnée par le GNIS.
Les semences n’en ont pas moins souvent mauvaise presse, en particulier autour de la question des OGM, tout comme les semenciers, plus précisément Monsanto, qui sont accusés de tous les maux. Les contestataires dénoncent ainsi les « semences industrielles », l’emprise des semenciers, en particulier de Monsanto, l’impact des semences sur l’environnement compte tenu de la nécessité de recourir, selon eux, à davantage d’intrants chimiques, le brevetage du vivant et ce que les militants appellent la « bio-piraterie », l’impossibilité pour les agriculteurs de ressemer les graines récoltées ou encore une forte réduction de la diversité des plantes cultivées au profit de « semences standardisées » (selon la Confédération paysanne), notamment au détriment des variétés anciennes ou locales en incriminant de ce point de vue le rôle jouée par le Catalogue officiel des espèces et variétés, sans parler des OGM. Ils tendent enfin à militer, au contraire, en faveur de ce qu’ils appellent des « semences paysannes ». La Confédération paysanne parle même de « la guerre des semences » menée contre les « lobbies des semences, des pesticides et des produits pharmaceutiques » opposant « semences paysannes » aux « semences industrielles ».
Cette vision est en particulier portée par des associations de défense de ces semences paysannes ou des semences bio, comme l’association Kokopelli, le réseau Semences paysannes, Semences biologiques ou Germinance, un réseau de producteurs de semences biologiques, ou encore le collectif « Semons la biodiversité » et les Maisons des semences paysannes. Ces dernières sont présentées comme des lieux de conservation et d’échanges de semences, mais aussi de savoir-faire. Il en existe une quarantaine en France.
Dans un contexte de défiance d’une grande partie du public par rapport aux pesticides et aux plantes génétiquement modifiées, la voix de ces groupes obtient à coup sûr une certaine audience. Cela explique aussi sans aucun doute le « suivisme » dont font souvent preuve les hommes politiques et les gouvernements en la matière en développant la réglementation pour « rassurer » l’opinion, ce que déplorent les semenciers qui, par la voix, de Michael Keller expliquent que « l’industrie veut de la réglementation, mais de la bonne réglementation et pas de la sur-réglementation ».
En savoir plus : www.safagridees.com/evenement/les-semences-une-pepite-francaise/ (informations sur la conférence « les semences : une pépite française » sur le site de la SAF Agr’iDées avec la possibilité d’avoir le texte ou les présentations de quelques interventions et de voir le film du GNIS mentionné dans le texte), www.fao.org/seeds/fr/ (source de la citation de la FAO et des données mentionnées), www.safagridees.com/publication/semences-concentres-de-valeurs/ (synthèse « Semences, concentrés de valeurs » de Marie-Cécile Damave-Hénard dont l’accès est réservé aux adhérents de la SAF Agr’iDées), www.worldseed.org/isf/seed_statistics.html (partie statistiques du site internet de la Fédération internationale des semences), www.gnis.fr/index/action/page/id/23/title/Les-chiffres-cles-du-secteur-semences (statistiques sur la filière semences et plants du GNIS), www.ufs-semenciers.org/quisommesnous/Lists/pages/chiffrescles.aspx (source de la citation de l’Union française des semenciers), www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=2790 (partie du site de la Confédération paysanne consacrée à la « guerre des semences »), http://cat.geves.info/Page/ListeNationale (catalogue officiel des semences).
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Bonjour,
Vous avez dit dérèglement climatique. En fait on note une augmentation de 0,7°C sur un siècle, en pause depuis 18 ans. Le réchauffement actuel a commencé à la fin du PAG (petit âge glaciaire), et est le HUITIEME réchauffement depuis la fin de la glaciation de Wûrm (-11Ka). Tous ont été entrecoupés de refroidissements comme le PAG, et tous ont été plus importants en T° ( optimum médiéval +3°C/aujourd’hui).
Les réchauffements apparaissent comme favorables à l’agriculture, alors que les refroidissements causent de mauvaises récoltes. A la fin de l’Optimum Médiéval la population en Europe avait augmenté de 20% grâce aux conditions plus favorables.
Les réchauffements/refroidissements sont NATURELS , et se sont toujours produits sans pour autant mettre en danger notre planète.
Cdt